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L’ego et l’anorexie mentale

11 mars 2008

par Vittoria Pazalle

J’ai longtemps suivi les conseils d’un ami : mon ego.

Cohabitation avec un ami

Lorsque j’accomplissais une tâche ardue, je m’y attelais seule et sans rechigner.

Lorsque je me trompais, je recommençais tant que je n’y arrivais pas.

Lorsque j’avais une idée, je persistais à trouver différents moyens de la réaliser.

Lorsque l’on me froissait, je ne me plaignais pas et ne montrais aucun signe de faiblesse.

J’étais ainsi perçue comme une personne travailleuse, forte et persévérante.

L’arrivée d’un ennemi

Cependant, sans m’en apercevoir, cet ami est devenu un ennemi. Plus précisément est rentrée dans ma vie une compagne étrange et mystérieuse : l’anorexie. Et soudain en suivant les conseils de mon ego, j’ai fini par devenir méfiante, sombre et solitaire.

Puis grâce à une thérapie, j’ai découvert qu’alors que je me croyais forte de caractère, j’étais avant tout une personne hypersensible, très émotive, entêtée et rigide. A force de vivre en fonction de mon ego, je n’avais même pas conscience que je me repliais de plus en plus sur moi-même.

C’est ainsi que, dès je ressentais la faim, une petite voix me dictait que je ne devais pas succomber car ce besoin était vil et primaire, et que bien au contraire je devais l’ignorer et le dominer. Elle me faisait entendre que toute tentation et tout plaisir étaient impardonnables. J’ai fini par me sentir coupable d’avoir à me nourrir. Mais j’oubliais qu’en me laissant submerger par cette voix, non seulement je m’autodétruisais, mais aussi derrière une recherche de pureté se cachait surtout une peur de devenir adulte et femme.

Quand j’avais la meilleure note de la classe, alors que mes camarades étaient ravis avec la moyenne, je me traitais de minable car je n’étais pas parvenue à obtenir 20/20. Comment ne pouvais-je pas être une éternelle insatisfaite en visant toujours la perfection ?

Dès qu’on me disait « non », j’étais blessée car je me sentais personnellement rejetée. Mais qui a dit qu’un « non » correspond forcément à un désaccord avec quelqu’un ? Une personne peut tout simplement refuser une proposition parce qu’elle a réellement autre chose à faire ou n’est pas intéressée.

Quand je ne réussissais pas quelque chose, j’en déduisais aussitôt que j’étais une moins que rien. Or qui a dit que l’on doit toujours réussir la première fois ? Bien au contraire, on connaît davantage sa valeur à l’aune de son obstination et de sa patience. En outre, ne pas obtenir ce que l’on veut peut parfois s’avérer une chance.

Lorsque j’avais un souci, je le ruminais sans cesse, finissant alors par tomber dans le découragement. Mais comment peut-on s’en sortir si l’on ne sait pas prendre de recul ?

Quand je souffrais physiquement, je négligeais mon corps, m’occupant l’esprit avec mille et une occupations plutôt que de me l’avouer, prônant alors la maîtrise et le contrôle de moi-même. Mais la souffrance n’a rien de rabaissant, c’est essentiellement un signal pour que l’on s’occupe enfin de soi.

Dès que je faisais une erreur, je m’en voulais tant que j’étais incapable de me défendre. Or vivre, c’est aussi accepter de ne pas être irréprochable et donc de commettre des erreurs, comme tout un chacun, pour par la suite tenter de les corriger ou pour le moins de s’améliorer.

Si l’on me donnait des conseils, je pensais que l’on me prenait pour une idiote. Mais qui a dit que l’on est obligé de suivre tous les conseils ? Par ailleurs, un conseil peut se révéler judicieux et donner de nouvelles idées.

Lorsqu’une personne me heurtait, je boudais en silence et attendais que l’autre fasse le premier pas. Or la vie, c’est notamment savoir demander des explications, reconnaître les erreurs dans les deux sens, et oser faire le premier pas. En effet, qu’il est dommage de terminer une belle relation à cause de problèmes qui sont bien souvent des malentendus.

Dès qu’un changement se présentait, j’étais inquiète, doutant de mes capacités à faire face. Or vivre, c’est aussi savoir s’adapter aux changements qui se révèlent souvent mieux que la situation précédente. Il ne faut pas oublier qu’à chaque changement il n’y a pas d’idéal car se présentent autant des avantages que des inconvénients.

J’acceptais toujours de rendre service, mais je refusais que l’on fasse de même pour moi pensant que j’allais ainsi apprendre à être autonome, mais surtout parce que je ne voulais rien devoir à personne. Ou quand j’étais surchargée, j’étais incapable de demander de l’aide pensant que je devais m’en sortir seule, mais surtout parce que je pensais que c’était humiliant. Mais comment peut-on laisser l’autre s’approcher si on ne lui en donne pas l’occasion ? Et si l’on s’isole en permanence, comment peut-on se sentir autrement que très seule ?

Quand on m’offrait un cadeau, j’étais déconcertée. Je pouvais en faire aux autres, mais lorsque j’en recevais, je me sentais obligée, mais surtout désemparée parce que je pensais en mon for intérieur que je ne le méritais guère. Or accepter un cadeau, c’est aussi accepter que l’autre vienne vers soi et éventuellement qu’il se crée un lien.

Dès que l’on me faisait un compliment, je ne parvenais pas à éprouver du plaisir ou de la gratitude car je croyais que l’on voulait notamment m’attendrir pour obtenir quelque chose de moi. Mais finalement comment pouvais-je les accepter puisque je pensais que je n’en valais pas même la peine ? Or un compliment n’est pas forcément calculé. Cela est réconfortant et aide justement à trouver sa valeur.

Quand une personne se montrait gentille avec moi, me remémorant des souvenirs relationnels pénibles, je préférais prendre de la distance pour ne pas me lier et surtout courir de nouveau des risques de trahison, abandon ou rejet. Comment ne pouvais-je pas avoir le sentiment de vivre dans un monde froid et cruel ? Et comment peut-on vivre sainement sans attachements ?

Quand j’avais un accrochage avec une personne, je me remémorais sans cesse les mauvaises expériences avec elle, accumulant la rancune telle un poison se diffusant dans mon corps. Mais la vie, c’est aussi savoir se souvenir des bons moments, vivre dans le présent et oser donner une nouvelle chance à quelqu’un. Comment peut-on vivre dans le présent si on se laisse engloutir par le passé ? Et comment ne pouvais-je pas avoir peur de la vie en ne retenant que le négatif ?

Dès qu’il fallait prendre une décision, j’avais si peur de l’échec que j’attendais toujours le dernier moment. Je voulais tant faire le choix parfait que j’espérais même que quelqu’un d’autre prendrait la décision à ma place. Mais comment peut-on choisir parfaitement sachant qu’il y a toujours des conséquences à assumer ? Comment peut-on savoir ce que l’on vaut si on laisse les autres décider pour soi ? Ou encore peut-on parler de vivre réellement si l’on ne prend jamais de risques, ne s’agit-il pas plutôt de survie ? Notre existence ne se mesure-t-elle pas davantage à l’aune du chemin parcouru pour arriver à notre but qu’au but atteint ?

Lorsque j’avais à m’affirmer dans une situation qui me déplaisait, j’attendais toujours le dernier moment pour agir. Autant dire que je me faisais du mal sans cesse passant une bonne partie de mon temps à fuir mes responsabilités. Mais vivre, c’est aussi savoir faire face aux soucis dès qu’on le peut, ceci évitant bien des souffrances inutiles et notamment un sentiment de lâcheté épuisant et néfaste.

Quand je sentais le chagrin m’envahir et les larmes monter, je me sentais si ridicule que je faisais tout pour me retenir. Je croyais ainsi que j’allais m’endurcir avec le secret désir de ne plus jamais souffrir. Autant dire que j’avais tort car j’ai alors développé une maladie de peau et des troubles du sommeil.

Paradoxes

Un être se déshumanise s’il ne vit qu’en fonction de son ego qui, sous une apparence d’opiniâtreté et de force de caractère, n’est souvent que de l’entêtement excessif, voire une façade pour dissimuler des doutes et craintes. J’étais alors devenue étrangère à moi-même, incapable d’analyser ce que je ressentais.

Ainsi j’avais fini par penser que personne ne m’aimait. Mais je n’avais pas conscience que c’était moi surtout qui étais sur la défensive, incapable de me livrer et de faire confiance à l’autre. En ne parlant jamais de moi et de mon intimité, comment l’autre pouvait-il me connaître ? Comment pouvais-je établir des liens alors que je ne me laissais jamais aller et m’abrutissais avec diverses activités pour éviter les sujets sensibles ?

C’est alors, en osant enfin parler de mes peurs lorsque j’avais des soucis, que j’ai pu sortir de cette prison que peut devenir l’ego. En ne gardant plus tout au fond de moi et en apprenant enfin à m’exprimer, me confier et m’ouvrir à mes émotions et aux autres, j’ai également appris à relativiser et à accorder moins d’importance à certains détails qui prenaient beaucoup trop d’importance, m’empoisonnant la vie et me rendant taciturne et pessimiste. Alors que je croyais qu’il était indécent et nombriliste de parler de soi, j’ai découvert qu’il est si bon de s’épancher et d’échanger des points de vue pour dédramatiser.

L’ego certes préserve, mais il ne doit pas devenir un guide au point de vouloir atteindre un contrôle de soi et une perfection impossibles qui conduisent à des travers autodestructeurs. A force d’écouter ce dictateur avec ses critiques récurrentes, je ne me rendais même pas compte que je devenais mon propre tyran. Alors que je me croyais modeste et humble, je ne voyais même pas que j’étais complètement repliée sur moi-même, amère et que je ne me respectais même pas en ne m’accordant pas la moindre erreur et surtout un minimum de place dans l’existence.

Derrière l’ego, tel un enfant qui a besoin que sa mère le remarque pour se sentir exister, peuvent se cacher bien souvent l’ignorance, un complexe d’infériorité, l’orgueil, la nécessité de subvenir à ses besoins et surtout la peur. Par ailleurs, être conscient de son ego ne veut nullement dire se détacher de ses émotions notamment pour ne plus faire face à la souffrance, croyant ainsi faussement être maître de soi. Il s’agit bien au contraire d’être conscient de ses émotions, de les accepter et d’apprendre à les gérer.

Ainsi l’ego peut être un bon conseiller, mais à un certain degré également un bien piètre soutien en nous bloquant sur le passé et les souvenirs douloureux. Alors soyons vigilant-es avec cet ami qui, sous une apparence de raisonnement logique, peut finir par développer mille et une astuces pour prendre la tête de notre mode de penser et de vivre en nous isolant de plus en plus, non seulement des autres mais surtout du meilleur de nous-mêmes et de la vie, dont assurément l’espoir, le courage, l’optimisme et l’amour. Par conséquent, en écoutant moins son ego et plus sa sagesse et son coeur, on peut ainsi apprendre à retrouver confiance en soi, à avoir une meilleure estime de soi-même et également une vie relationnelle variée, riche et basée notamment sur le respect de soi-même et des autres.

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    Mis en ligne sur Sisyphe, le 9 mars 2008

    Vittoria Pazalle


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