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Sur l’annulation d’un mariage pour non virginité

6 juin 2008

par Nora Taouche

Nous publions ici, avec son autorisation, la réponse que Nora Taouche, une Québécoise originaire de Kabylie (Algérie), a donnée au message d’un membre d’une liste féministe au sujet de l’annulation d’un mariage pour non virginité, à Lille en France. Il y est aussi question au passage des prises de positions de Françoise David de Québec solidaire.

Nora a écrit le 30 mai

Lisez cet article.
Cela se passe en France, un jeune homme né et élevé en France, bardé de diplômes, répudie sa femme la nuit de ses noces parce qu’il découvre qu’elle n’est pas vierge. Il impose pareille humiliation non pas qu’il a découvert qu’elle a un casier judiciaire, non, juste qu’elle a menti sur sa virginité !

Quand j’entends Mme David de Québec solidaire se gargariser de grandes envolées sur le féminisme et la solidarité et en même temps soutenir le voile, j’ai simplement envie de pleurer. Quand les intellectuels, en Occident démissionnent, que peuvent espérer les femmes, là-bas ?

Heureusement qu’il y a parfois des éclairs de lucidité.

Comment peut-on ne pas sentir les relents de pareille barbarie !?

Un participant de la liste de discussion, lui répond que l’annulation du mariage pour cause de non virginité représente pour l’épouse une "sortie de crise", lui permettant d’échapper au mariage. Il invoque l’appui de Rachida Dati, Garde des Sceaux, au jugement et l’annulation du mariage de cette femme, arrangé sous pression de sa famille. Depuis cet échange, Rachida Dati a demandé qu’on aille en appel de la décision du Tribunal de Grande Instance de Lille. Il se demande si la "France ne glisserait pas vers le genre de chasse aux sorcières dont on sort à peine au Québec". Pour cet interlocuteur, l’indignation suscitée par un tel jugement n’est qu’une autre manifestation anti-musulmane, toute critique devant se faire dans "le respect et l’écoute des premières concernées". Il suggère de « balayer dans sa cour » d’abord.

Nora lui a répondu le 31 mai :

Je vais prendre le temps de vous expliquer certaines nuances, en espérant que cela vous ouvre quelques possibilités de compréhension de la réalité de femmes encore sous le joug de la tyrannie religieuse. À moins que vous ne soyez définitivement vissé à vos certitudes idéologiques et dogmatiques figées. Auquel cas, je ne peux rien pour vous.

J’aurais ri à vos simagrées comparatives et relativistes si ce n’était le sérieux de la situation, situation dramatique de femmes mises au ban de la société pour avoir flanché, avoir succombé au désir hors mariage.

Vous ne m’apprenez rien des « méfaits » de la religion chrétienne quant à la femme et à son droit de disposer de son corps. Elle s’en est libérée ; j’en suis fort aise, et je suis si admirative du combat de la femme occidentale pour sortir de la nuit religieuse.

Permettez que je nourrisse cet espoir pour les miennes, dont je connais la réalité dramatique un peu mieux que vous !

La femme a consenti à l’annulation de mariage, car elle n’avait pas d’autre choix. Encore heureuse qu’elle vive en France. Ailleurs, son intégrité physique aurait été, peut-être, en danger.

Ceux, celles qui ont vécu uniquement en Occident ne peuvent comprendre le poids de l’exigence de virginité pour la femme en islam. Lisez un peu la grammaire de l’honneur de Bourdieu, vous en saisirez peut-être l’ampleur.

Bien sûr que le culte de la virginité existait bien avant l’avènement de l’islam dans tout le pourtour méditerranéen. Mais cet archaïsme n’a survécu avec une telle ampleur, un tel poids écrasant que sur la rive sud de la Méditerranée. Est-ce un hasard ? Bien sûr que non ! Car l’islam s’est emparé de cette coutume et l’a sacralisée, à travers les nombreux versets et hadith sur la chasteté de la femme, l’histoire des vierges au paradis, etc. Justement, sur la « tradition » d’exhiber le drap nuptial, voilà ce qu’en dit l’ethnologue Gaudio Attilio, ce qui explique parfaitement le comportement du mari « floué » :

« La coutume très répandue dans beaucoup de pays islamiques, qui prévoit l’exposition du linge taché après la nuit nuptiale, trouve sa justification dans le droit coranique qui considère en effet que le contrat de mariage n’a une validité effective qu’à partir du moment où le mariage a été consommé, et exige, sous peine d’annulation du mariage, la preuve de cette consommation. C’est d’ailleurs à ce moment-là seulement que la jeune femme cesse d’être soumise au pouvoir paternel pour passer au pouvoir du mari. », in La révolution des femmes en islam, Ed. Julliard, Paris, 1957, p. 54. Lire ici.

Voilà qui nous ramène au coeur du problème. Monsieur, ce n’est pas pour rien que cet homme, qui est musulman de conversion et non de naissance, demande l’annulation du mariage et non le divorce. Il connaît bien la véritable motivation de sa démarche. Et qui mieux qu’un néo-converti pour nous renvoyer aux sources ! ? (L’époux est un Français converti à l’islam).

Comprenez-vous pourquoi ce mari demande une annulation et non un divorce ?

Un divorce par consentement mutuel aurait permis à la fille d’avoir un extrait de divorce sans motif qui y soit consigné. Elle aura alors le statut de divorcée et pourra refaire sa vie, avec le moins d’accablement et de pression possible. Vis-à-vis d’un éventuel futur « prétendant », cette femme est une divorcée et l’on comprendra qu’elle ne soit plus vierge.

En revanche, une annulation de mariage, cela signifie qu’il n’y a pas eu « consommation » de mariage, que le mari ne l’a pas « touchée », et le motif sera consigné sur les papiers d’annulation du mariage : « Répudiée parce que non vierge ».

Une espèce de marque au fer rouge qui poursuivra la fille durant toute sa vie.

Vous ne pouvez comprendre ni mesurer l’ampleur de l’humiliation et le désespoir de cette fille et de ses parents.

Ça ne vous rappelle pas La lettre écarlate, de Nathaniel Hawthorne ? Si vous ne l’avez pas lu, ce roman, faites-le.

La chasse aux sorcières, dites-vous. Je vous trouve bien inspiré dans vos métaphores. Sauf que vous ne les placez pas à bon escient ! Vous voyez maintenant la nuance, Monsieur ? On est loin de votre accusation sur le confort du mariage ! L’annulation du mariage de Dati lui a permis de sauver sa peau. Dans le cas qui nous intéresse, c’est une infamie ! Une humilation ad vitam aeternam !

De plus, que le tribunal retienne « la virginité » comme qualité essentielle ne vous choque pas ? Ça ne vous choque pas qu’une institution laïque réduise le corps de la femme à un simple produit dont on prouverait la qualité et les normes de pureté par un simple « opercule » à ouvrir ??? Vous viendrait-il à l’esprit d’aller devant un tribunal pour réclamer une annulation de mariage pour motif de non virginité ? Quelle serait votre réaction si cela arrivait à « une Québécoise pure laine » ?

Imaginez-vous l’ampleur du signal qu’envoie ce tribunal aux « communautés musulmanes » déjà assez crispées autour de questions identitaires ? Savez-vous que les femmes sont les premières victimes de cette crispation ?

Aussi, vous appuyez la défense des « femmes musulmanes » ! Pourquoi pas celle des « femmes chrétiennes », « boudhistes », « hassidiques », et que sais-je encore !

Pourquoi ne pas défendre les droits des femmes ? Des femmes, de toutes les femmes, point barre ! Y aurait-il des femmes plus aptes à la liberté que d’autres ?

C’est cette égalité, cette citoyenneté, cette modernité que vous voulez bâtir ? Un pachwork d’identités superposées ? De droits à la carte ?

Pour finir, sachez que je balaye devant ma porte », justement. Je l’ai déjà dit : je suis au Québec, mais je viens d’ailleurs. Mon coeur saigne pour toutes les femmes prisonnières de lois et d’idéologies que vos yeux endoctrinés et oublieux des combats des femmes, que votre mémoire amnésique subliment pour se donner bonne conscience ou avoir de quoi perrorer dans le confort des combats creux, lisses et sans danger !

Moi, je n’ai pas la berlue. Encore moins l’amnésie !

Bien à vous,

Nora

Mis en ligne sur Sisyphe, le 3 juin 2008

Nora Taouche

P.S.

Lire aussi :

"Y aurait-il des femmes plus aptes à la liberté que d’autres ?" Réponse à Françoise David, par Micheline Carrier




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