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Des violeurs dans les rangs de l’armée

21 juin 2008

par Jane Harman

Les récits choquent par leur brutalité et leur simplicité. Une recrue militaire est retenue au sol à la pointe d’un couteau et violée à plusieurs reprises dans sa propre caserne. Même si ses agresseurs portaient des masques, la victime les a reconnus grâce à leur uniforme : il s’agissait de ses compagnons d’armes. Au cours de son examen gynécologique de routine, une femme soldate est agressée et violée par son médecin militaire. Une autre jeune femme soldate, encore en période d’adaptation à la vie en zone de guerre, est violée par son commandant. Ne voulant pas compromettre sa place au sein de l’unité, elle semble n’avoir aucun recours.

Il s’agit de véritables récits et, malheureusement, ce ne sont pas des cas isolés. Les femmes qui servent dans l’armée des États-Unis risquent plus d’être violées par un collègue que de mourir sous le tir ennemi en Irak.

J’ai pu constater la véritable portée du problème lors d’une visite au centre hospitalier des anciens combattants de West Los Angeles, où j’ai rencontré des patientes et leurs médecins. Je suis restée estomaquée d’apprendre des médecins que 41% des anciennes combattantes du centre affirment avoir été victimes d’agressions sexuelles pendant leur service et que 29% disent avoir été violées. Ces femmes mentionnent leur terreur continue, leur sentiment d’impuissance et des tournants sombres que leur vie a empruntés à la suite de ces événements.

Les données fournies par le département de la Défense (DOD) révèlent un scénario révoltant. En 2006, 2 947 agressions sexuelles ont été rapportées, soit 73% de plus qu’en 2004. Le dernier rapport du DOD, publié ce mois-ci (avril 2008), indique que 2 688 rapports ont été faits en 2007, mais un changement récent concernant le recensement, autrefois effectué selon l’année financière et maintenant effectué selon l’année civile, rend les comparaisons plus difficiles.

Le département de la Défense a tenté d’enrayer cette épidémie - particulièrement en 2005, à la suite de courriels anonymes reçus par les médias au sujet d’agressions sexuelles survenues à l’Air Force Academy. Face à l’attention minutieuse des médias et du Congrès concernant l’affaire, le DOD a créé le Centre d’intervention et de prévention des agressions sexuelles (Sexual Assault Prevention and Response Office). Depuis sa création, le bureau a mis sur pied des programmes de formation et d’éducation qui ont fait augmenter le nombre de cas rapportés de viols ou d’autres agressions sexuelles. Il faut cependant prendre d’autres mesures pour prévenir les agressions et la responsabilisation.

On trouve au cœur de cette crise une incapacité ou une réticence à poursuivre les violeurs dans les rangs. Selon les statistiques du DOD, seulement 181 des 2 212 militaires qui ont fait l’objet d’une enquête pour agressions sexuelles en 2007, y compris 1 259 rapports de viol, ont été renvoyés en cour martiale, l’équivalent militaire d’une poursuite au criminel. De plus, 218 cas ont été réglés par des mesures administratives non punitives ou une libération, tandis que 201 accusés ont fait l’objet de “mesures disciplinaires non judiciaires”, ce qui signifie qu’ils ont été confinés à leur logement, contraints à exécuter des tâches supplémentaires ou qu’ils ont reçu d’autres sanctions aussi banales qu’une tape sur les doigts. Dans près de la moitié des cas qui ont fait l’objet d’une enquête, la chaîne de commandement n’a pris aucune mesure et la raison évoquée dans plus du tiers de ces cas était une “insuffisance de preuve”.

Cette situation constitue un contraste frappant avec la tendance qui se dessine dans le secteur civil au sujet des poursuites pour agressions sexuelles. En Californie, par exemple, selon le ministère de la Justice (California Department of Justice), 44% des viols signalés mènent à des arrestations et 64% des personnes arrêtées sont poursuivies en justice.

Le DOD doit combler cet écart et éliminer les obstacles qui entravent l’efficacité des enquêtes et des poursuites. Ignorer ces recommandations entraîne deux conséquences nuisibles : les victimes ne voudront pas dénoncer les agressions et les agresseurs ne seront pas dissuadés de recommencer. Le manque de rigueur dans les poursuites prône une culture qui tolère les agressions sexuelles - une attitude du genre “il faut que jeunesse se passe”.

J’ai abordé ce sujet avec le Secrétaire à la Défense, Robert Gates. Même si le secrétaire semble préoccupé par la situation, la réponse de l’armée est loin d’être impressionnante - et le manque flagrant d’urgence pour traiter ce problème est inexcusable.

Le Congrès n’est pas plus efficace en la matière. Même si les statistiques sur les agressions sexuelles sont facilement disponibles, notre vigilance a échoué devant l’ampleur de la crise. La nature répugnante et explicite des rapports peut rendre les gens mal à l’aise, mais ça ne justifie pas l’inaction. Il est urgent de procéder à des audiences du Congrès pour souligner l’échec des politiques actuelles. Hommes ou femmes, la plupart des militaires sont des travailleurs acharnés, patriotes et courageux qui symbolisent le meilleur de la vie américaine. Le fait de ne pas aborder le problème des agressions sexuelles chez les militaires va directement à l’encontre de ces valeurs et nous fait honte à tous.

Publié le 2 avril 2008, dans AlterNet. © 2008 Los Angeles Times. Tous droits réservés. Traduction française pour Sisyphe : MDC, traduction, 514-826-3323.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 4 juin 2008

Jane Harman


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