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Motus

10 juillet 2008

par Micheline Mercier

Une poussière dans l’œil, un caillou dans une chaussure, une vie n’aurait pas dû naître.

L’enfant non désirée celle dont la force vitale effrayait, celle qui criait au scandale. Petite fille qui parlait trop, qui aurait dû garder le silence et ne pas défier la loi du motus, une battante. Un cri primal devenu une gifle.

Je te crois mon amie, lorsque tu me dis que tu n’es qu’un morceau de chair entouré du vide laissé par ton père. Je te rassure et te dis encore que je crois ta vérité, puisque tu me l’as dite. Un coup de poing au ventre de ta mère aurait dû t’empêcher de naître, te décourager de venir embêter ce monstre d’égoïsme, et tel ne fut pas le cas.

Tu avais un père qui refusait de l’être, il était l’enfant qui ne voulait pas se perdre dans son jardin ni partager son monde imaginaire. Il marchait seul dans un sentier où tu n’avais pas d’espace et poussait au ravin les petits qui s’accrochaient à lui. Maître du nid, n’y entrait pas qui voulait.

J’éprouve un grand chagrin à t’entendre appeler le marchand d’âmes pour lui donner la tienne. Le prier de t’emporter au bout du monde, de te vêtir décemment et te donner un prénom d’éternité.

Alcool, tabac, luxure, paroles mordantes, poignard dans l’œil, coup de pied au derrière, punitions abusives et humiliantes.., retournons-la d’où elle vient celle-là, qu’en dites-vous ?

Et si dès maintenant, j’arrêtais le temps. J’ai envie d’entendre ton histoire à ne pas dormir debout. Je sais que tu aimes ce monde par-dessus tout mais je crains que tu n’aies plus envie d’y prendre part.

Depuis fort longtemps, tu cherches à donner un nom à l’impossible et tu affirmes que ce qui ressemble le plus à cette utopie pourrait bien être l’amour. Alors dis-moi, t’es-tu déjà endormie sur la main de cet impossible amour ? Comme un géant inaccessible, le monde qui t’entoure ne peut s’enfuir et s’effacer dans l’oubli.

Demanderais-tu à l’enfant s’il a mordu la pomme de son voisin ? Lui demanderais-tu seulement de se laisser bercer par le chant d’un passereau ? Comme une mère sans fard, pure comme l’espoir du nouveau-né, une lettre d’histoire d’amour qui n’a jamais débuté et qui ne peut prendre fin faute d’avoir essayé.

Sentir battre un cœur au bout de tes doigts gelés par un cœur de glace que tu as jadis tenu à la main et laisser couler une larme, une seule larme qui devrait éteindre le feu qui consume ton âme.

Je ne sais pas comment tu as survécu sans détruire cette âme que tu chéris par-dessus tout. Trop occupée à protéger ta place dans le monde des vivants, tu n’as pas encore vécu l’enfance et tu en es maintenant au zénith de ton combat. Féminin singulier, conjuguer l’amour, te laisser sombrer à la source des commencements, as-tu toujours envie de jouer la divine comédie ?

Quand pourrais-je me rappeler de toi, mon amie, du temps où tu bravais les grands, du temps où ils n’étaient pas des géants ? Te rappelleras-tu un jour quand ton voisin n’était pas à craindre ? Au temps d’avant qu’il devienne le loup du petit chaperon.

Te souviendras-tu de ces moments tendre à jouer à la marelle jusqu’au coucher du soleil ? Et voilà ! Tu es maintenant une femme qui se cache pour ne pas avoir mal, tu aimerais bien être le chat qui quémande une caresse en poussant sa tête sous une main, aimer sentir bouger des doigts sur tes rêves de jeune fille qui n’a plus ses règles depuis déjà fort longtemps. Combien de temps vivras-tu encore sans savoir ce qu’est le désir des amours qui ne meurent pas ?

Il y a toute une vie que je te connais et je sais que cet ermitage imposé t’a donné la force de te battre contre les ombres cachées sous ton lit d’enfant apeurée. Alors mon amie, dis-moi encore comment tu as pu garder ce magnifique sourire ? Et pourquoi ne me dirais-tu pas ce qui te brise encore le cœur ? Si je te prenais dans mes bras, me dirais-tu pourquoi tu veux mourir si tôt alors que tu ne sais pas encore ce qu’est vivre ?

Mis en ligne sur Sisyphe, le 18 juin 2008

Micheline Mercier


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