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Équité salariale - Radio-Canada à pas de tortue

1er juillet 2008

par Paule des Rivières

Certains dossiers ont le don de traîner en longueur. Celui des inégalités salariales à Radio-Canada entre incontestablement dans cette catégorie.



En janvier 2005, la Gazette des femmes publiait un dossier sur les embarrassants écarts de salaires entre hommes et femmes à la Société Radio-Canada (SRC), mis au jour en 2002. Les choses ont-elles progressé depuis ? Selon toute apparence, pas beaucoup. Après six ans d’études, d’examens, de rapports et d’échanges, les femmes présentatrices, animatrices et journalistes demeurent moins bien payées que les hommes à la société d’État.

Tout indique qu’à tâches égales, les hommes continuent à gagner plus que leurs consœurs. Les conventions collectives sont-elles foncièrement inégalitaires ? En réalité, non, puisque les salaires de base sont les mêmes. Mais la télé et la radio publiques ont instauré un système de primes en fonction du prestige, de l’excellence et de l’affectation. Celles-ci sont négociées à la pièce et peuvent représenter 10, 20 ou 30% du salaire - voire 50 ou 100% dans certains cas. Et au jeu de la prime, les hommes remportent la mise : la rémunération globale des animatrices, des journalistes-présentatrices, des commentatrices et des recherchistes est, de manière quasi systématique, moins importante que celle des messieurs.

Le cas de la journaliste Anne Panasuk illustre fort bien la torpeur radio-canadienne. En 2004, elle était journaliste à l’émission Zone libre (elle est depuis passée au Téléjournal). En son nom et en celui de six de ses collègues de Zone libre et d’Enjeux, le Syndicat des communications de la SRC a déposé cette même année un grief pour protester contre le fait qu’aucune femme n’était aussi bien payée que le moins bien payé des employés masculins. Quatre ans plus tard, toujours pas d’entente. En désespoir de cause, le dossier sera finalement confié au ministère du Travail. « Ça n’en finit plus », résume Anne Panasuk, déçue.

Précisons tout de même que depuis le dépôt de ces plaintes, la direction a revu les critères d’attribution des primes. Ces nouveaux paramètres sont-ils plus satisfaisants ? Non, répond le Syndicat des communications qui, à l’été 2007, a protesté contre le montant largement insuffisant consenti à quelque 40 professionnelles de la SRC pour l’année 2006-2007. C’est dire que la controverse n’est pas résolue.

La seule véritable amélioration concerne le rachat du temps supplémentaire - une prime déguisée -, qui était accordé de manière arbitraire au tournant des années 2000. Le ménage a été fait : aujourd’hui, les employés liés à une même émission sont payés pour un nombre d’heures supplémentaires à peu près égales pour leurs heures supplémentaires

La loi du silence

Malgré tout, un écart de plus de 19% continue de séparer les rémunérations des hommes et des femmes, selon le Syndicat des communications. Pourtant, compte tenu des six années écoulées depuis que les inégalités salariales ont été mises au jour - au grand embarras de la SRC -, les disparités devraient être choses du passé. La direction n’avait-elle pas formellement promis de redresser la situation ?

Gisèle Lalande, journaliste depuis 30 ans et porte-parole dans ce dossier, note que « la direction a habilement noyé le poisson » avec ses nouveaux critères. Le président du Syndicat des communications de la SRC, Alex Levasseur, abonde : « En six ans, nous n’avons pas fait grand chemin. » Et son collègue Daniel Raunet note que « les primes sont toujours consenties à la gueule du client ».

À en juger par les réticences des employées à parler de cette question, le dossier est de surcroît très délicat. En effet, en dehors des porte-parole, le mot d’ordre semble être motus. « Dans l’état actuel des choses, je crois qu’il vaut mieux que je ferme ma grande gueule », confie une animatrice sous le couvert de l’anonymat.

La saga des primes

Il serait cependant faux de conclure que rien n’a bougé depuis le conflit de travail de 2002. En 2006, la direction s’est donné des règles visant à faire le ménage dans l’attribution des primes, en privilégiant l’objectivité des critères et leur transparence. « L’ancien système soulevait des questions, car il laissait place à l’arbitraire », reconnaît Michel Hamelin, directeur général des ressources humaines à la SRC.

Pour chacun des critères d’attribution des primes, soit le type d’affectation, l’expertise et le prestige, la direction a établi de nouvelles balises. « L’objectif fondamental, rapporte le document patronal de janvier 2006, est de s’assurer que, dans l’octroi de rémunération additionnelle, il n’y aura aucune discrimination basée sur le sexe. » Les critères seront « transparents et garantiront la neutralité des pratiques de gestion et de rémunération ». Ces belles intentions n’ont pas ému le syndicat, qui a refusé d’endosser des critères encore beaucoup trop flous.

Devant cette impasse, les parties ont convenu de s’adresser à une experte indépendante. Jeannine David-McNeil a donc pour mission d’étudier les fameux critères, mais également de scruter leur application. Le gros test, quoi ! C’est une chance pour les deux parties de pouvoir compter sur cette consultante. En plus d’être réputée pour ses qualités de médiatrice, elle connaît le dossier : c’est à elle qu’un comité patronal-syndical avait demandé, en 2002-2003, de se prononcer sur le « facteur sexe » dans la manière de faire de la direction.

La consultante ne cache pas que sa tâche, pour laquelle elle remettra un rapport ce printemps ou au début de l’été, est ardue, voire périlleuse. « Nous entrons, dit-elle, dans une zone floue au regard des habituelles normes en matière de relations de travail. » Elle devra établir la valeur de certains animateurs-vedettes et dire en quoi leur prestation vaut plus cher que celle d’un autre.

« Il y a eu des progrès, mais c’est le genre de dossier sur lequel il faut mettre du temps », note Mme David-McNeil, qui rappelle par ailleurs que la rémunération globale à la SRC s’apparentait à un véritable capharnaüm au début des années 2000. « Il était impossible d’établir clairement une grille de justification des primes. Nous avons démêlé tout ça. »

Au moment de mettre sous presse, Jeannine David-McNeil poursuivait sa recherche, mais n’était pas prête à se prononcer définitivement. Elle sait cependant que les primes liées au prestige et à l’excellence sont celles qui lui donneront le plus de fil à retordre. Dans son document sur ses nouveaux critères d’attribution des primes, la direction précise que les rémunérations additionnelles s’appuient sur le prestige et l’excellence reconnus chez les personnes, leur demande sur le marché des diffuseurs, leur notoriété positive et leur crédibilité auprès du public ainsi que sur leur impact sur l’auditoire.

« Tout cela relève de la notoriété, dit Jeannine David-McNeil. Supposons que j’estime que Bernard Derome a une très grande crédibilité, mais que vous croyez que Pascale Nadeau ou Céline Galipeau lui sont supérieures sur ce point... Cette prime est par nature plus subjective. Comment établir une prime en éliminant toute subjectivité ? Comment mesurer cela ? Sur quoi la direction s’appuie-t-elle pour ranger les gens ? C’est à ces questions que je tente de répondre. »

Des chiffres qui clignotent

Mme David-McNeil a en main plusieurs colonnes de chiffres. Elle sait notamment que les rémunérations additionnelles à la SRC s’élèvent à 5,3 millions de dollars, auxquels il faut ajouter 1,7 million en rachat d’heures supplémentaires, le tout sur une masse salariale de 70,2 millions.

La consultante a également reçu des compilations qui amènent le syndicat à conclure qu’il existe toujours un écart de 19% entre les salaires des hommes et ceux des femmes. Le syndicat a additionné les salaires des hommes par corps d’emploi et a fait de même avec les femmes. Il a ensuite divisé par le nombre de personnes employées dans chaque catégorie pour conclure que les salaires des hommes étaient en moyenne plus élevés que ceux des femmes. « Un tel exercice ne peut pas conduire à la conclusion qu’il y a discrimination basée sur le sexe, mais il représente un “clignotant” », dit l’experte.

Le syndicat persiste et signe. Selon lui, en décembre 2007, les animateurs gagnaient en moyenne 28,6% de plus que les animatrices, les journalistes-présentateurs 27,5% de plus que leurs vis-à-vis féminins, et les reporters au national ou spécialisés, respectivement 18,5% et 16,4% de plus s’ils étaient de sexe masculin. « Le véritable problème, c’est la position de la direction, conclut Gisèle Lalande. La différence de rémunération en rapport avec le sexe, elle n’y a jamais cru. »

  • La Gazette des femmes, juin 2008, est disponible en kiosque.
  • Site de la Gazette des femmes.

    Mis en ligne sur Sisyphe, le 20 juin 2008

    Paule des Rivières

    P.S.

    À lire aussi :

    "Radio-Canada et les femmes journalistes - Avancez par en arrière, Mesdames", par Nathalie Petrowski, La Presse.




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