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"Je montrerai ce qu’une femme sait faire !" Artemisia Gentileschi

4 juillet 2012

par Ana Pak, féministe laïque

Une exposition d’oeuvres d’Artemisia Gentileschi a lieu au musée Maillol (Paris) jusqu’au 15 juillet 2012.

Artemisia Gentileschi est née en Italie en 1593, élève de son père Orazio, lui-même peintre et élève du Caravage. Elle est l’un des premiers peintres baroques, l’un des plus accomplis de sa génération. Elle s’est imposée par son art à une époque où les femmes peintres n’étaient pas acceptées, où les femmes n’étaient admises dans les académies que pour poser nues, où elles étaient mineures à vie, et où elles appartenaient à leur père, à leur mari, à leurs frères ou à leurs fils.

Artemisia Gentileschi a brisé toutes les lois de la société en n’appartenant qu’à son art. À 23 ans, elle a été la première femme à entrer à l’Académie de Florence et à faire carrière dans un monde totalement masculin.

Un peintre collaborateur de son père, Agostino Tassi, l’a violée alors qu’elle avait 17 ans. Elle porte plainte et connaît beaucoup d’humiliations pendant son procès. Elle réussit cependant à se reconstruire. Elle subit un mariage arrangé pour faire oublier ce viol. Après s’être séparée de son mari, elle mène une carrière autonome de peintre.

Elle est une véritable héroïne de l’art et de la condition féminine. L’une de ses fameuses toiles résume la fureur de son inspiration : Judith décapitant Holopherne. Sa vision unique nous laisse une Judith et sa servante différente de toutes celles que nous connaissons. Les autres peintres se bornent à montrer Judith et sa servante vieilles, victorieuses, orgueilleuses, angoissées, fragiles ou fuyantes, tout en brandissant la tête d’Holopherne.

Chez Artemisia, elles paraissent déterminées et tendues. Trois éléments aux coloris intenses se détachent du fond sombre : les manteaux des femmes, bleu pour Judith, rouge pour la servante, et le drap blanc, maculé de sang, où se débat le corps du général, évoquant la mort.

Dans un décor épuré, par le jeu d’ombre et de lumière, Artemisia pousse le réalisme à son extrême. Le giclement du sang, les draps ensanglantés, et l’expression révulsée du général nous saisissent, frissonnantes.

L’action se déroule sous nos yeux : la force puissante avec laquelle Judith use de l’épée comme d’un couteau de cuisine, qu’elle agrippe les cheveux du tyran d’une main et de l’autre lui tranche la tête. La tête d’Holopherne et les mains des femmes sont placées au centre du tableau.

La servante, dans une verticalité puissante, maintient le général renversé qui se débat et dont les traits sont déformés par la terreur. Les lignes tendues des bras évoquent le rapport de force engagé. Dans nos muscles, on sent ce corps-à-corps d’un réalisme cru. Elle le soumet, elle, le symbole des opprimés révoltés.

Puis il y a une extraordinaire oblique, la transgression : c’est Judith concentrée sur sa tâche. Calme, résolue, sûre de sa décision. Sa robe d’un bleu somptueux, bleu nocturne, la couleur rappelant deux des principaux éléments : l’eau et l’air, associés à la sagesse, mais aussi exprimant froideur et colère.

La violence de la scène de décapitation est rendue par le clair-obscur sur les visages. Le modelé des visages rend l’expression la plus juste : nul ne se trompe sur les sentiments des deux actrices de la scène. La beauté et l’horreur sont à leurs summum.

Artemisia eut un goût particulier pour ces thèmes, qui se déroulent dans une nuit libératrice. Judith, c’est elle, alors que Holopherne a le trait de son violeur, Agostino Tassi, peintre et ami de son père. La décapitation a souvent été associée symboliquement à la castration.

De chair et de sang, ses héroïnes sont tellement vivantes qu’elles traversent les siècles avec une humanité vibrante. Artemisia est un personnage emblématique pour les mouvements féministes avant l’heure.

 Exposition Artemisia Gentileschi au musée Maillol (Paris) du 14 mars au 15 juillet 2012

Mis en ligne sur Sisyphe, le 29 juin 2012

Ana Pak, féministe laïque


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