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Affaire Sneep aux Pays-Bas - Condamnation de deux proxénètes qui ont exploité et maltraité 120 filles de l’Europe du Sud et de l’Est

19 juillet 2008

Accusés d’avoir monté et dirigé un réseau international de trafic de femmes, Hassan et Saban Baran, deux frères turco-allemands, ont été condamnés hier à deux ans et demi et sept ans et demi de prison ferme par le tribunal d’Almelo, une petite ville des Pays-Bas proche de la frontière allemande. Quatre de leurs complices ont aussi écopé de peines allant de huit mois à deux ans de prison ferme. La retentissante affaire Sneep, sans précédent aux Pays-Bas, s’est soldée par des peines beaucoup moins sévères que celles requises par le parquet. « Des erreurs ont été commises dans la formulation des chefs d’inculpation », reconnaît Elisabeth Venekatte, porte-parole du tribunal d’Almelo.

Sneep, c’est le surnom de la brigade criminelle néerlandaise qui a enquêté sur le dossier à partir de 2005. Les frères Baran ont été arrêtés en février 2007, après une course-poursuite digne d’un roman policier, à bord de leur Porsche, entre Amsterdam et Cologne. Les frères, âgés de 37 et 42 ans, avaient attiré 120 jeunes femmes, originaires de l’Europe du Sud et de l’Est. Séduites par de petites attentions, des cadeaux et des promesses de travail, les jeunes filles, une fois arrivées en Allemagne, en Belgique ou aux Pays-Bas, se voyaient confisquer leurs passeports.

Les familles étaient intimidées, tandis que les jeunes femmes étaient rapidement mises sur le trottoir ou dans les vitrines des quartiers rouges de Bruxelles, Anvers ou Amsterdam. Les frères Baran avaient pour habitude de faire tatouer leurs initiales sur le cou de leurs victimes. Surveillées 24 heures sur 24 par un réseau fourni de chauffeurs, d’hommes de main et de proxénètes, elles n’avaient aucun moyen d’entrer en contact avec l’extérieur. En perpétuel mouvement entre Amsterdam, Utrecht et La Haye, elles étaient épiées jusque dans les hôtels de passe par d’autres prostituées, les favorites des frères Baran. Certaines ont subi des avortements contre leur gré, d’autres des opérations de chirurgie esthétique pour faire grossir leur poitrine.

Des femmes ont raconté les tortures endurées pour avoir enfreint les règles du gang. Plusieurs ont été battues à coups de barre de fer ou de batte de base-ball, puis plongées dans une baignoire d’eau glacée pour ne pas avoir d’hématomes. Une autre a eu le nez cassé après avoir reçu des coups de porte. Certaines n’ont pu racheter leur liberté qu’au prix de 30 000 euros. Trois fois plus que le prix payé à un proxénète albanais par l’un des frères pour « acheter » une nouvelle recrue. En dix ans, le duo a réalisé, selon les enquêteurs, 19 millions d’euros de profits. L’argent était placé par leur propre mère sur des comptes en banque, dans des immeubles, des boîtes de nuit et des bordels, en Allemagne et en Turquie.

Contrôle

Aux Pays-Bas, le procès a réveillé les consciences. Tolérée depuis des siècles, la prostitution a été légalisée en 2000. Depuis, l’idée que des femmes peuvent choisir ce métier et payer leurs impôts comme tout le monde s’est enracinée. À partir de 2005, de grandes villes comme Amsterdam ont constaté que le trafic de femmes avait pris des proportions inquiétantes, faute de véritable contrôle. Aujourd’hui, les Pays-Bas sont une plaque tournante du trafic international d’êtres humains. Les poursuites sont rares, tant il est difficile de recueillir des témoignages.

Dans l’affaire Sneep, pas moins de 35 enquêteurs ont patiemment rassemblé des éléments de preuve. Aujourd’hui, des associations militent pour des programmes de protection des témoins, avec cartes de séjour à la clé pour ceux qui seraient en situation irrégulière. L’ex-procureur Fred Teeven émet des réserves : « Dans un tribunal, la défense peut vous accuser d’avoir acheté les témoins. » Ruth Hopkins, juriste américaine et auteure en 2005 d’un livre sur la prostitution aux Pays-Bas, estime que l’affaire Sneep n’est que le sommet de l’iceberg. À l’en croire, les autorités ne font que commencer à traquer les esclavagistes du sexe. « Pour un trafiquant arrêté, deux sont tout de suite prêts à prendre la relève », s’alarme-t-elle.

Source : Libération, le 18 juillet 2008 et Le Devoir, les 19 et 20 juillet 2008.

Mis en ligne sur Sisyphe, le19 juillet 2008




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