source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=3055 -



Le "droit de prostituer" n’est pas un droit de l’homme

8 septembre 2008

par Élaine Audet

Nous publions ci-dessous une version abrégée d’un article d’Élaine Audet, paru dans l’important dossier sur la prostitution de Labrys, une revue féministe académique et engagée, multidisciplinaire, multilingue, gratuite, publiée deux fois par an depuis 6 ans. On y trouve des articles de Janice Raymond, Sheila Jeffreys, Marie-Victoire Louis, Lyne Kurtzman et Matiada Ngalikpima. (Sisyphe)



Aujourd’hui, beaucoup de progressistes, adversaires du néolibéralisme, réclament la décriminalisation de la prostitution, défendent l’impunité des « clients » et la liberté de vendre et d’acheter l’accès au corps des femmes. Le silence face à la mondialisation de l’esclavage sexuel des femmes et des fillettes laisse la voie libre à l’expansion illimitée des industries du sexe et au renforcement des rapports sexuels de domination qui en sont indissociables. Le patriarcat s’y ressource et y trouve de nouveaux arguments pour perpétuer la subordination des femmes, tout en prétendant que l’égalité entre les sexes est atteinte. On met de l’avant « le droit de SE prostituer », alors qu’il s’agit plutôt du droit des hommes de prostituer des femmes, des enfants et, de plus en plus, des garçons et d’autres hommes qu’on traite comme des femmes.

En Suède, lors de la lutte pour l’abolition de la prostitution à la fin des années ’90, on avait placardé partout des affiches qui, au lieu de montrer l’image habituelle d’une femme aguichante penchée à la fenêtre d’une auto, renversait l’angle de vue en montrant le visage de l’homme qui s’apprête à payer pour violer l’intimité d’une inconnue. J’aimerais, à mon tour, retourner l’objectif vers ces hommes qui trouvent normal de prostituer des êtres humains au nom de leurs prétendus besoins sexuels irrépressibles, vers ces prostitueurs anonymes, invisibles (maris, pères, frères, fils, collègues), sans qui la prostitution n’existerait plus. […]

Ces hommes qui prostituent des femmes

On dispose de bien peu d’études sur les « clients » de la prostitution. Elles constitueraient environ 1 % de toutes les études sur ce sujet (1). C’est la première fois que les hommes, bien qu’au cœur d’un problème, recueillent si peu d’attention, ce qui démontre, en réalité, l’étendue de leur solidarité pour occulter le rôle peu reluisant qu’ils jouent en tant que proxénètes ou prostitueurs. Si le rôle du « client » dans le commerce du sexe a été si rarement abordé, c’est que l’idée fondamentale qu’un groupe de femmes doive être accessible aux besoins sexuels des hommes est demeurée ancrée dans toutes les sociétés patriarcales à travers l’histoire. Ainsi, le « client » est toujours resté anonyme et invisible. La seule image du « client » qui prévaut se construit autour d’une vision de la sexualité masculine biologiquement déterminée à laquelle on ne pourrait rien changer. Cette approche nie le fait que la sexualité est construite socialement et culturellement, et que c’est seulement dans cette perspective qu’elle peut devenir compréhensible et que l’on peut commencer à agir sur elle.

Alors que les premières grandes enquêtes sur la sexualité (Kinsey en 1948, Simon en 1972) établissaient à un sur deux le nombre d’hommes ayant déjà payé pour un acte sexuel, des recherches plus récentes (MacLeod et al, 2008 ; Legardinier et Boumama, 2006 ; Dufour, 2005 ; Månsson, 2002) parlent de 15 à 20 % de la population masculine, entre 35 et 50 ans, la plupart ayant déjà prostitué des femmes avant d’atteindre l’âge de 25 ans.

On remarque que ces hommes regardent régulièrement des vidéos pornographiques, qu’ils ont souvent fait partie des forces armées et que plusieurs ont été agressés physiquement ou sexuellement dans leur enfance. La plupart fréquentent des bordels, salons de massages, agences d’escortes et bars de danseuses nues, plus de la moitié sollicitent des femmes dans la rue et ont recours à la prostitution lors de leurs voyages à l’étranger. L’Internet permet d’observer un maillage de liens homosociaux entre ceux qui fréquentent certains sites pour échanger et se vendre des informations à propos de leurs expériences, leurs contacts et leurs transactions avec les femmes qu’ils prostituent dans leur pays ou à l’étranger. De telles alliances constituent à n’en pas douter un renforcement des privilèges sexistes, qui justifient et banalisent le libre accès aux corps des prostituées.

Les plus ardents défenseurs de la prostitution sont ceux qui valorisent davantage la domination des femmes et qui éprouvent méfiance et ressentiment à leur égard. Il est intéressant de noter que les hommes qui prostituent régulièrement des femmes avouent avoir aussi agressé sexuellement des femmes non-prostituées, alors qu’on retrouve moins souvent une telle incidence chez les « clients » occasionnels de la prostitution.
Les hommes justifient le recours à la prostitution de la même façon qu’ils justifient la violence physique envers les femmes. S’ils les battent, c’est qu’elles l’ont cherché. Ils se justifient également en disant que les femmes qu’ils prostituent s’enrichissent à leurs dépens ou, au pire, qu’elles font simplement un travail déplaisant, mais nécessaire, comme le travail en usine. D’autres invoquent le simple fait d’être des hommes pour justifier leur violence. En battant ou en prostituant les femmes, ils cherchent à restaurer leur domination sur elles. « Les hommes pensent que, s’ils peuvent acheter une femme en prostitution et la traiter comme un objet, ils peuvent faire la même chose à d’autres femmes », reconnaît l’un d’eux (2).
Les « clients » aiment croire que le droit au viol qu’ils achètent est un simple contrat entre adultes consentants. Ils défendent le « droit » des femmes de vendre des services sexuels, transformant ainsi l’institution intrinsèquement nocive de la prostitution en un droit fondamental pour les femmes prostituées. Pourtant, la majorité des femmes prostituées affirment clairement qu’elles préfèrent le « droit » de ne plus être prostituées. Il serait intéressant de voir combien d’entre eux accepteraient que leurs filles soient prostituées.
Ceux qui prostituent des femmes prétendent qu’ils peuvent ainsi apprendre à devenir de meilleurs amants, même si c’est le contraire qui est vrai, puisque les femmes prostituées entraînent les hommes à éjaculer rapidement afin de diminuer le traumatisme provoqué par la pénétration non-désirée de leur corps. Les hommes se font accroire que la moitié des fois, les femmes prostituées réagissent positivement durant la passe, alors que si l’on pose la question à ces dernières, seulement 9% d’entre elles disent avoir éprouvé un sentiment positif (MacLeod et al, 2008).
Dans une enquête sur les « clients » de la prostitution en France, Claudine Legardinier et Saïd Bouamama (3) montrent la responsabilité de ces derniers dans la montée de la traite à des fins de prostitution, du tourisme sexuel, des violences contre les femmes et, surtout, dans le maintien de l’inégalité entre les sexes. Cette enquête remet vigoureusement en question les modèles éducatifs et sociaux de production de la masculinité et de la féminité qui continuent à socialiser différemment les hommes et les femmes, en enseignant aux garçons le refus de toute frustration face à des besoins, qualifiés d’irrépressibles, qui requièrent une satisfaction immédiate, alors qu’on apprend aux filles la nécessité de s’en accommoder.

Les hommes qui prostituent des femmes ont une vision essentiellement mercantile de la sexualité, où le sexe est comparable à un produit de consommation plutôt qu’à une relation intime. Le sexe est avant tout perçu comme une nécessité physique irrésistible. Une telle perception remonte à l’idéologie patriarcale archaïque qui défend la prostitution hétérosexuelle comme un phénomène naturel inévitable. De plus en plus de prostitueurs pensent que les femmes sont responsables de leur propre dépendance à la prostitution. Les exigences féministes d’autonomie et d’égalité vont à l’encontre des fantasmes masculins de domination, du discours pornographique ambiant sur la sexualité et du modèle dominant de masculinité que la société continue à entretenir et à véhiculer.

La plupart des hommes expriment la nostalgie d’une époque disparue où "chacun était à sa place", et la "complémentarité" socialement valorisée. On doit interpréter ces réactions comme l’expression d’un véritable sentiment de perte, qui se traduit par le besoin de compensation ou de défoulement agressif envers les femmes. Dans un tel contexte, le recours à la prostitution constitue une forme de résistance au courant féministe qui a « rendu illégitime l’idée d’inégalité en raison du sexe » et une tentative de restaurer ou renforcer la suprématie masculine sur les femmes.

Dans son livre consacré à la parole de 20 femmes prostituées, l’anthropologue Rose Dufour (4) a aussi recueilli les témoignages de 64 hommes qui prostituent des femmes dans la ville de Québec. La prostitution est légale au Canada, mais la sollicitation pour offrir ou recevoir des services sexuels et les lieux d’exercice de la prostitution sont illégaux. En réalité, peu d’hommes sont poursuivis pour sollicitation ou proxénétisme, comparativement au nombre de femmes qui sont pénalisées, et les lieux de prostitution prolifèrent : agences d’escortes, salons de massages, bars de danseuses nues, et une quarantaine d’appartements utilisés à cet effet, etc. Comme les prostitueurs écossais, français ou suédois, ceux de Québec se considèrent « des bons gars avec des besoins normaux » ! La majorité de ces hommes se disent satisfaits de leur apparence physique et la moitié avoue avoir « une libido supérieure à la normale ». Plus de la moitié, 56%, achètent régulièrement des femmes une fois par semaine, à tous les quinze jours ou une fois par mois

Plusieurs de ces prostitueurs pensent que « si toutes les femmes faisaient attention à leur homme, il n’y aurait pas besoin de prostituées ». Dufour remarque qu’Ils sont très discrets sur les comportements avilissants et violents qu’ils font subir aux femmes prostituées. C’est surtout par les petites annonces des journaux qu’ils les contactent. L’un d’eux qualifie le Journal de Québec de « plus grand pimp » dans cette ville. Internet est aussi un outil important pour la prostitution. Ils pensent que les femmes « font ça pour la drogue », « on leur avance 500 piastres [$] de coke en partant, puis là, les filles sont embarquées dans le système ».

Ils soulignent que ce ne sont pas toutes les femmes qui acceptent la sodomie ou l’éjaculation faciale. Quand elles le font, ils disent qu’elles se dégradent. « Elle n’a plus aucun respect d’elle-même », constatent-ils. Et eux ? Ils ne se posent jamais de questions sur leur propre comportement. Même quand on leur parle des raisons qui amènent une femme à être prostituée, ils continuent à croire que c’est dans leur nature, qu’elles aiment le sexe. Et, pour eux, tout leur est permis, du moment qu’ils paient. Tout au long des entrevues, aucun d’entre eux ne manifeste d’intérêt pour les femmes qu’il prostitue. « C’est purement sexuel », affirment-ils. Quand la chercheuse demande à l’un d’eux s’il a des besoins particuliers de domination, il répond : « Non, non des fellations […], d’après moi, c’est des relations saines que je leur demande. » Le seul fait qui les dérange n’est pas de payer pour prostituer un être humain, mais le prix que cela leur coûte à la longue. Certains d’entre eux évoquent aussi le danger de fréquenter le milieu de la prostitution qu’ils estiment lié aux bandes criminalisées, donc au crime organisé. Une telle recherche confirme l’existence, dans une ville gouvernementale comme Québec, d’un important marché du sexe, très diversifié et accessible.
Le chercheur suédois Sven Axel Månsson (5), l’un des premiers à avoir étudié les motivations des « clients », dégonfle au passage quelques mythes chers aux prostitueurs, dont celui selon lequel la prostitution sauve des couples. Les chiffres montrent au contraire qu’il y a plus de divorces et de ruptures d’unions libres parmi les hommes qui ont des rapports avec les prostituées. Quant au mythe selon lequel la prostitution serait une solution pour les hommes seuls, il y a en réalité davantage d’hommes qui paient pour avoir des relations sexuelles parmi ceux qui ont de nombreuses partenaires sexuelles. Même chose pour le mythe si répandu des hommes qui, par nature, auraient des désirs sexuels irrépressibles. Difficile de défendre encore une telle théorie depuis que les sciences sociales ont démontré que la sexualité, tout autant que la différence des sexes, est socialement construite. On peut en dire autant d’un autre mythe qui a la vie dure, celui de la prostitution comme antidote contre le viol. Pourtant, les recherches les plus récentes démontrent qu’il y a davantage de viols là où la prostitution est légale comme, par exemple, dans l’État du Nevada aux États-Unis qui possède le plus haut taux de viols par rapport aux autres États où la prostitution est illégale (MacLeod et al, 2008).

À mesure que s’intensifient les protestations féministes, les pressions de l’industrie du sexe et des groupes qui en défendent aveuglément les intérêts se font plus fortes dans toutes les instances sociales. On exige de laisser aux lois du marché le soin de réglementer l’offre et la demande de femmes et d’enfants à des fins sexuelles. Dans cette société néolibérale, l’argent seul compte et donne tous les droits. Le rôle des « clients » dans la perpétuation du système prostitutionnel est le secret le mieux gardé. Rien n’est fait pour les responsabiliser. Ils aiment s’imaginer que les femmes se prostituent par goût et par choix et sont horrifiés quand ils découvrent les violences qu’elles ont subies, quand ils entendent qu’elles les haïssent et que seul leur argent les intéresse.
[…]
Dans la majorité des pays, à droite comme à gauche et même au sein du mouvement des femmes, on ne considère pas la prostitution comme un phénomène suffisamment grave pour que son abolition devienne une priorité. La soumission à la violence et à l’esclavage semble être devenue un choix acceptable et plausible conformément aux valeurs sexistes promues par la pornographie et la culture néolibérale pour laquelle seule compte la rentabilité.

Au nom des prétendus besoins sexuels impératifs des hommes, sommes-nous en train d’envisager la prostitution comme un métier acceptable pour les filles ? Va-t-on ajouter aux programmes scolaires des cours d’apprentissage de la prostitution pour enseigner aux femmes à mieux répondre aux fantasmes des « clients », à se transformer en de simples marchandises malléables et interchangeables entre leurs mains, et à satisfaire ainsi aux exigences croissantes d’une industrie mondialisée qui rapporte désormais au crime organisé et aux proxénètes plus que la vente des armes et de la drogue ?

Une telle possibilité n’est peut-être pas si lointaine puisque, avec l’aval de du Service aux collectivités de l’UQAM, Stella, un groupe de Montréal qui travaille auprès des personnes prostituées et qui fait la promotion de la prostitution en tant que travail, a déjà organisé une formation intitulée « Travail du sexe : Tout ce que vous avez toujours voulu savoir et n’avez jamais osé demander », le 17 novembre 2006, à l’UQÀM. Cette formation s’adressait prioritairement aux groupes de femmes, aux personnes des milieux communautaires, du réseau des services sociaux et de santé, aux services de police (6). Les liens entre l’École de travail social de l’UQÀM et le groupe Stella ne sont pas nouveaux puisque, en 2006, Stella a bénéficié du support logistique de l’UQÀM pour l’organisation du Forum XXX, d’une durée de 4 jours, pour laquelle il s’est vu attribuer une somme de 270 000$ par l’Agence de santé publique du Canada. Les organisatrices de Stella avaient spécifié que ne pouvaient participer à ce Forum que les personnes qui défendaient la prostitution comme profession et sa décriminalisation totale, y compris celle des prostitueurs et des proxénètes (7).

En Suisse, l’intégration sociale de la prostitution est encore plus avancée. Des agences spécialisées en services sexuels cherchent à développer une nouvelle clientèle auprès des personnes handicapées. Ce proxénétisme nouveau genre, déguisé en service de santé, annonce ainsi ses "soins" : "Après évaluation de sa demande, la personne en situation de handicap bénéficie d’un rendez-vous d’une heure, dans un lieu garantissant l’intimité, pour un prix fixe, quelles que soient les attentes" (8). Combien de temps faudra-t-il pour que l’amour ne soit plus qu’un souvenir remplacé par le "droit au plaisir" pour toutes et tous ? À prix fixe et à la carte !

Le droit des femmes de ne pas être prostituées

Au Québec, le Regroupement des Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) considère que « la prostitution relève de l’exploitation sexuelle des femmes et ne peut, d’aucune manière, être considérée comme un travail légitime ou comme une façon acceptable d’accéder à l’autonomie économique ». Les CALACS et la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES), créée en 2005, affirment avec force que la prostitution constitue une forme de violence envers les femmes et une violation des droits humains fondamentaux. Au Canada, des groupes de femmes comme Ex-Prostitutes Against Legislated Sexual Servitude (XPALSS) et l’Aboriginal Women’s Action Network (AWAN), la Canadian Association of Sexual Assault Centres (CASAC). s’opposent à la notion de « travail du sexe », à la légalisation de la prostitution, et à l’ouverture de bordels pour la tenue des Jeux olympiques à Vancouver en 2010.
Les survivantes de la prostitution et celles qui continuent à être prostituées commencent à se regrouper et à créer des lieux où elles peuvent se rencontrer, parler de leur vie et chercher ensemble les moyens de s’en sortir. Il est difficile de briser le silence, dans un milieu où le crime organisé impose sa loi, et de surmonter la peur, la honte et la dissociation émotionnelle dans laquelle les femmes prostituées sont emmurées. « Leur silence, comme celui des femmes battues, ne sauraient être interprété comme un consentement à être prostituées » (9), même si les chantres de la légalisation s’en autorisent pour prétendre parler au nom de toutes. Il faut lire et entendre leurs témoignages pour comprendre à quel point cela peut être insultant et blessant pour elles quand on qualifie leur enfer de simple métier comme un autre :

    Un homme paye pour te pénétrer, et après celui-ci, un autre et encore un autre. Tu te sens réduite à des orifices. Ce n’est pas drôle se faire pénétrer par tant d’hommes, dans le vagin, dans la bouche et l’anus. C’est dégeulasse, son sperme qui coule au coin de ta bouche et qui te donne envie de vomir. Sans égard à toi, ils te pénètrent avec leurs mains, des objets, leur pénis. Parfois, ils t’insultent. Parfois, ils te frappent. En tout temps, tu dois faire semblant de jouir et d’aimer ça. Lui, tu le trouves gentil, parce qu’il ne t’a pas pissé dessus, parce qu’il t’a dit que tu es belle, parce qu’il n’a pas baissé le prix prétextant que tu as des bourrelets. Mais, en même temps, tu le sais qu’il est comme les autres, qu’il paye parce qu’il n’a rien à foutre de toi, parce qu’il paye l’accès à ton corps pour se faire plaisir et que tu dois toujours faire semblant d’aimer ça (10).
    Je suis une ex, j’ai commencé à 13 ans initiée par mon petit ami de 20 ans qui avait besoin d’argent pour sa dope et ses études. En réalité j’ai commencé avant si on compte la fin du primaire où des gars nous obligeaient à leur faire des pipes pour ne pas être autrement "taxées". […] Vous comparez ça avec le travail en usine, le mariage, etc. Déconnage. En usine, vous êtes libre de partir, dans le mariage aussi, le divorce existe mais dans la prostitution, souvent vous n’êtes pas libres parce que votre vie appartient à d’autres ou qu’on vous tient par la drogue ou la menace de violence (11).


Au Québec, il y a un consensus pour que tous les niveaux de gouvernement cessent de traiter les femmes prostituées comme des criminelles et leur fournissent l’accès aux services sanitaires, sociaux, juridiques et policiers qu’elles réclament, à des refuges d’urgence et à des abris à long terme, que les auteurs de violence à leur égard soient poursuivis au criminel, que les policiers soient là pour les protéger et non pour les harceler et leur distribuer des contraventions. Là où il y a débat, c’est sur la décriminalisation tant des « clients » que des proxénètes. Il ne s’agit pas de lutter contre les femmes prostituées, mais contre la prostitution.

Il est impératif de tout mettre en œuvre pour changer les mentalités à long terme, tant chez les hommes que chez les femmes, afin qu’on cesse de banaliser la prostitution comme on le fait présentement, sous prétexte de respecter les libertés sexuelles. Il s’agit de sensibiliser tous les milieux et toutes les couches sociales, en commençant par les jeunes, aux effets néfastes de la prostitution et au fait que cette activité porte atteinte à l’intégrité humaine.

Quoi qu’en disent les groupes réclamant la décriminalisation de la prostitution, celle-ci n’est pas « le plus vieux métier du monde » et n’a pas toujours existée. Les femmes ont, longtemps avant, inventé l’agriculture, et exercé, entre autres métiers, ceux de guérisseuses et de sages-femmes. On fait habituellement remonter l’existence du mariage monogamique et de la prostitution à environ 3000 ans, lors de l’instauration du patriarcat et de la propriété privée qui ont marqué l’appropriation des femmes par les hommes (12). Mais, tout ce qui a un commencement a nécessairement une fin : il est donc possible, contrairement à ce que prétend la propagande sur l’inéluctabilité de la prostitution, d’imaginer un monde où des femmes et des hommes auront fait en sorte que la prostitution n’existe plus.

Lire l’article intégral ici.

Notes
1. PERKINS, Roberta (1991), « Pimps and Patrons : the “Boys” in the Business », Working girls : Prostitutes, their Life and Social Control, Canberra, Australian Institute of Criminology.
2. MACLEOD, Jan, Melissa FARLEY, Lynn ANDERSON, Jacqueline GOLDING (2008). Challenging Men’s Demand for Prostitution in Scotland. A Research Report Based on Interviews with 110 Men Who Bought Women in Prostitution, Glasgow, Women’s Support Project.
3. LEGARDINIER, Claudine et Saïd BOUAMAMA (2006). Les « clients » de la prostitution - l’enquête, Paris, Presses de la Renaissance.
4. DUFOUR, Rose (2004), Je vous salue…Le point zéro de la prostitution, Sainte-Foy, Éditions Multimondes.
5. MÅNSSON, Sven-Axel (2003) (trad. Malka Marcovich), Les pratiques des hommes « clients » de la prostitution : influences : orientations pour le travail social, [site visité le 15 juin 2004].
6. POPOVIC, Ana (2006). L’UQÀM est-elle complice de l’industrie du sexe ?, [site visité le 27 juin 2008].
7. CARRIER, Micheline (2005), $270 000 au groupe Stella pour une rencontre de 4 jours sur le « travail du sexe, Montréal, Sisyphe, le 5 mai 2005, [site visité le 23 mai 2005].
8. SIGNORELL, Mathieu (2008). "Le droit au plaisir", Le Courrier, [site visité le 1er juin 2008],
9. FARLEY, Melissa, Jacqueline LYNNE, & Ann J. COTTON (2005). « Prostitution in Vancouver : Violence and the Colonization of First Nations Women”, Journal of Transcultural Psychiatry, Vol. 42(2).
10. POPOVIC, Ana et Carole LIZÉE (2006). Au-delà du discours sur la prostitution, la vie réelle des femmes prostituées, [site visité le 2 juin 2008].
11. SYLVIANE (2005). ], Toute vérité est bonne à dire : témoignage de Sylviane sur son expérience de la prostitution, [site visité le 2 juin 2008.
12. O’BRIEN, Mary (1987), La dialectique de la reproduction, Montréal, Éditions du remue-ménage.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 11 août 2008.

Élaine Audet


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=3055 -