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Prostitution et traite des êtres humains - Les mensonges du réglementarisme

17 décembre 2010

par La Fondation Scelles

Pour faire face au récent essor des formes de prostitution, des États ont choisi d’encadrer et de réglementer cette activité et ses lieux d’exercice. Quel est aujourd’hui le bilan de ces législations ? Le réglementarisme est-il la réponse au problème prostitutionnel ?

En Europe, les migrations liées à la traite des êtres humains pour la prostitution ont connu un essor fulgurant au cours des deux dernières décennies. Avec l’apparition de ces filières de traite, le monde prostitutionnel s’est profondément transformé. À côté de la prostitution de rue, une prostitution « cachée » s’est développée : salons de massage, bars à hôtesses, agences matrimoniales. Marché très lucratif, la prostitution suscite les convoitises des criminels, ainsi que des États qui en retirent des profits importants. C’est la raison pour laquelle, malgré l’engagement abolitionniste de la communauté internationale, un courant libéral prône la décriminalisation de la prostitution et fait pression pour que soit reconnue l’existence d’une prostitution volontaire et que le système proxénète soit institutionnalisé.

Le paradoxe du débat réglementariste : la liberté au soutien de l’esclavage

Le débat relatif à la liberté de se prostituer, résultat de revendications féministes concernant la libre disposition de son corps, sert de fondement au réglementarisme. Les partisans de ce régime justifient leur combat par la défense des droits des personnes prostituées. Selon eux, le droit à la libre disposition de soi est un droit fondamental devant s’appliquer à toutes les femmes. Les revendications actuelles vont donc dans le sens d’une reconnaissance sociale des personnes prostituées. Jacques Solé parle de la « lutte syndicale des prostituées ». La prostitution est présentée comme un métier, et les personnes prostituées comme des « travailleuses du sexe » qui bénéficient à ce titre de la sécurité sociale et du régime de retraite.

Des considérations d’ordre moral et de santé publique entrant cependant en jeu, la prostitution est limitée à certains endroits et soumise à des contrôles notamment sanitaires, d’où l’intervention de l’État qui organise l’exercice de cette activité. Au début des années 1990, avec l’apparition du VIH, resurgit la question du contrôle sanitaire des personnes prostituées, celles-ci étant perçues comme un vecteur potentiel du virus. Certaines associations de prévention se réclament d’une démarche de santé communautaire. C’est ainsi que naît en France l’association Les Amis du Bus des Femmes à Paris où des « traditionnelles » effectuent un travail de prévention sur le terrain, comme le font aussi, entre autres, Stella à Montréal et le Durbar Mahila Samanwaya Committee qui regroupe en Inde environ 60 000 personnes prostituées.

Rappelons que les revendications en vue de la reconnaissance du droit de se prostituer sont le fait d’une minorité de personnes prostituées et du système proxénète. Pour la majorité des personnes prostituées, la prostitution est vécue comme une violence.

Se fondant sur les revendications de cette minorité de personnes qui se disent libres et heureuses de se prostituer, des États ont établi une distinction entre la prostitution forcée et une prostitution dite « volontaire ». Ils ont érigé des systèmes juridiques qui autorisent, organisent et institutionnalisent l’activité, faisant des proxénètes de respectables hommes d’affaires. Pour légitimer l’adoption du régime réglementariste, ces pays invoquent la lutte contre les réseaux de traite des êtres humains et l’exploitation de la prostitution des enfants, la protection des personnes prostituées, le contrôle sanitaire et la prévention du trouble à l’ordre public… Les Pays-Bas sont les meneurs de cette tendance qu’ils ont réussi à imposer à l’Union européenne. On compte aussi parmi les pays réglementaristes : l’Allemagne, la Grèce, l’Autriche, la Suisse, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

Le bilan alarmant des régimes réglementaristes : une expansion de la prostitution

Aujourd’hui, le bilan de l’application de ces législations montre que le réglementarisme est un échec. Il n’a pas atteint les objectifs que les États s’étaient assignés et a facilité l’expansion massive, la diversification de l’industrie et l’explosion des formes d’exploitation. La prostitution semble en progression dans les pays qui l’ont réglementée, encourageant le tourisme sexuel. Selon le sociologue Richard Poulin, « l’exemple des Pays-Bas est un bon indicateur de l’expansion de l’industrie sexuelle et de la croissance de la traite : 2 500 personnes prostituées en 1981, 10 000 en 1985, 20 000 en 1989 et 30 000 en 1999. À Amsterdam où il y a 250 bordels, 80 % des personnes prostituées sont étrangères et 70 % d’entre elles sont dépourvues de papiers, ayant été victimes de la traite. En 1960, 95 % des prostituées des Pays-Bas étaient néerlandaises, en 1999, elles ne sont plus que 20 % ».

Précisons que, dans un contexte libéral, si la prostitution augmente, le marché illégal de cette prostitution augmente également. Amsterdam – devenue la première ville de destination du tourisme sexuel en Europe – a récemment procédé, pour 15 millions d’euros, au rachat des vitrines des personnes prostituées dans le Red Light District, qu’elle considère aujourd’hui comme un lieu d’esclavage moderne et un repaire du crime organisé. Il faut rappeler que, déjà en août 2006, elle avait refusé le renouvellement des licences à 37 des plus gros propriétaires de ces maisons closes, sur un total de 169.

En outre, à partir du moment où la prostitution est légitimée comme une pratique commerciale acceptable, peu de barrières morales existent pour empêcher les formes nouvelles et brutales de l’asservissement de la personne - trafic d’enfants et de femmes qui alimentent les « bordels » locaux ; services sexuels exigeant toujours plus de la personne et ceci dans des conditions plus à risques - parce que dans cette industrie comme dans les autres « tout se vend, tout s’achète ».

Une stigmatisation persistante des personnes prostituées

Le réglementarisme affirme que la prostitution est un métier comme un autre, et qu’à ce titre, les personnes prostituées doivent bénéficier d’un statut légal lié à l’exercice de cette « activité, dite professionnelle ». Malgré cette prise de position, on observe une persistance de la stigmatisation des personnes prostituées. Personne ne souhaitant que la prostitution s’exerce dans son quartier, la légalisation de la prostitution implique une limitation de cette activité à des zones géographiques précises. En outre, les indépendantes, de même que les exploitants des maisons closes, doivent faire face à la réticence des assureurs et des banquiers, pour l’obtention d’un crédit, d’une assurance ou même pour l’ouverture d’un compte en banque. Ainsi, nombreuses sont les personnes prostituées qui ne souhaitent pas se déclarer de peur d’être stigmatisées.

Une violence inhérente au système prostitutionnel

Il est faux de penser que la légalisation de la prostitution protège les personnes prostituées sous prétexte que des lieux contrôlés spécialement dédiés à cette activité sont mis en place, que des examens médicaux sont réalisés, etc. Violence, contrainte et exploitation sont inhérentes au milieu prostitutionnel, quel que soit le régime adopté. La violence sexuelle et les agressions physiques y sont fréquentes. Une étude sur les personnes prostituées de rue en Angleterre établit que 87 % d’entre elles ont été victimes de violences au cours des douze mois précédents ; 43 % d’entre elles souffrent de conséquences d’abus physiques graves. D’autre part, les femmes prostituées courent de grands risques d’infection au VIH à cause de la pression des clients, mais aussi des patrons de bordels pour des rapports sans préservatifs.

Un métier comme un autre ?

Les gouvernements réglementaristes, en organisant l’activité prostitutionnelle, affirment reconnaître la réalité du phénomène et tentent de l’assimiler à une activité professionnelle ordinaire. Le bilan de leurs législations montre pourtant que, ce qui devait être une solution à l’insécurité, à la violence, au crime – situations auxquelles les personnes prostituées sont confrontées chaque jour dans la rue – s’est avéré être un cercle infernal d’esclavage dans lequel la violence, la consommation de drogues, la peur se sont conjuguées au rejet et à l’exclusion.

Par ailleurs, la prostitution peut-elle être seulement considérée comme une activité « banale » ? À ce propos, Ursula Von der Leyen, ministre allemande de la Famille et de la Condition féminine, déclarait le 24 janvier 2007 : « La prostitution n’est pas un métier comme les autres ». Le rapport « Prostitution : quelle attitude adopter ? » réalisé par Leo Platvoet souligne le fait que, pour la plupart des personnes, la prostitution n’est en aucun cas une profession comme une autre. C’est notamment pour cette raison qu’un certain nombre de personnes, malgré des situations personnelles difficiles, préfèrent ne pas entrer dans la prostitution, et que la grande majorité des personnes prostituées décident de rester dans l’anonymat et d’exercer dans la plus grande discrétion.

Eu égard à la diversité des situations de détresse qui poussent ces personnes à se prostituer et à la stigmatisation dont elles sont victimes, comment peut-on soutenir la distinction entre prostitution « forcée » et prostitution « volontaire » ? Comment ne pas reconnaître que l’entrée dans la prostitution résulte d’une absence de choix, plutôt que d’un choix ? Quel que soit le régime juridique adopté et quelle que soit la démarche initiale de la personne prostituée, les risques encourus dans l’exercice de la prostitution ne se retrouvent dans aucune autre activité.

M.N. / A.P.

 Source : Newsletter de la Fondation Scelles, le 10 septembre 2008, et l’article en ligne.

 Pour recevoir la lettre d’information de la Fondation Scelles : fsinfos@fondationscelles.org.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 13 novembre 2008.

La Fondation Scelles

P.S.

 Lire une critique d’un aspect de ce texte : "Libre disposition de son corps et liberté de se prostituer", par Michèle Dayras, présidente de SOS-SEXISME




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