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Réponse à Lise Ravary - Pardon ?

23 septembre 2008

par Valérie Laflamme-Caron, étudiante en anthropologie

Le mois dernier, Lise Ravary s’est fait un devoir personnel d’abolir le Conseil du statut de la femme. J’aurais sans doute pu l’appuyer dans cette voie, si son projet avait été porté par des valeurs humanistes. Malheureusement, je n’y ai trouvé que déresponsabilisation, mépris et ignorance.

En effet, Lise Ravary débute son article en mentionnant les publicités sexistes d’autrefois, « des choses qu’on ne voit plus ici aujourd’hui. » Pardon ? Des choses que l’on ne voit plus aujourd’hui ? Ce premier énoncé est complètement absurde et déconnecté de la réalité. Le sexe n’a jamais été aussi présent dans l’espace public qu’aujourd’hui. Si les images explicites sont réglementées et censurées, on ne peut nier que le second degré se fait aujourd’hui vicieux. Coors Light se dit « pour l’égalité du sexe : une fois chez lui, une fois chez elle ». American Apparel propose régulièrement de nouvelles publicités porno chic. Je ne sais pas dans quelle bulle elle vit, mais il me semble que nous ne vivons pas dans le même univers. Je me rappelle encore l’année dernière où, à l’Université, nous avions été invitées à participer à un party Playboy en nous déguisant en stéréotypes ou en bunny. Les hommes pouvaient aussi participer, ils avaient la « chance » de pouvoir se présenter en super pimp.

Non, on ne retrouve plus de calendrier Pirelli. Par contre, annuellement, la station CHOI radio X propose une campagne de promotion fondée sur la création d’un calendrier de pitounes, où chacun est libre d’y admirer la girl next door de sa région. Toutes celles qui se ruent afin de poser gratuitement pour cette campagne publicitaire sont sans doute libres, adultes et autonomes, mais cela n’empêche que chaque fois que je dois aller au dépanneur, je suis confrontée à cet énorme calendrier. Heureusement, ça ne dure qu’un mois par année. Et personne n’a été dupé, puisqu’on répétait sans cesse sur les ondes que si « ça ne pend pas jusqu’au nombril », il est inutile de s’y présenter. J’ai pensé me procurer le magazine Châtelaine pour y puiser quelques conseils de beauté, mais j’ai préféré laisser tomber. Oui, les temps ont vraiment changé, depuis les années 1970 et 1980.

Lise Ravary poursuit son éditorial en prétendant que le rapport du Conseil du statut de la femme, « ramène des théories datant de 1975 sur la socialisation par les pairs ». Décidément, elle ne sait pas que la théorie sociale, ce n’est pas comme le rose, ça ne change pas selon les saisons. Mon adolescence n’est pas très loin derrière moi. Je me rappelle encore l’été de mes douze ans. C’est l’été où j’ai, pour la première fois, hésité à mettre des shorts parce que j’avais encore du poil sur les jambes. Oui oui, du poil sur les jambes. Ça avait fait scandale dans mon cercle d’amies. Pourtant, ma mère m’avait transmise de bonnes valeurs. J’étais épanouie dans plusieurs domaines. Il faut croire qu’à un certain âge, les pressions de l’environnement sont plus importantes que les limites imposées par les parents. Surtout lorsque ces pressions sont exprimées dans TOUS les magazines lus par les jeunes. Oui, madame Ravary, TOUS les magazines féminins sont coupables de montrer une image dégradante de la femme. À l’exception sans doute de la Gazette des femmes, publiée quelques fois par année par le CSF. Et d’Authentik, créé par un groupe de jeunes en réaction à des magazines comme le vôtre.

À une époque où il est de bon ton d’exprimer de la pitié à l’égard de l’Orient, j’avoue ne pas avoir été surprise de lire qu’« en Iran et en Arabie saoudite, où l’espace public est asexualisé, ces problèmes n’existent pas. » Oui, et alors ? N’a-t-on que deux choix dans la vie, la chasteté ou la pornographie ? La Vierge ou la Putain ? Il me semble que madame Ravary manque d’imagination. Sans doute est-ce pour cela qu’elle semble trouver normal que certaines personnes aient besoin de recourir à des stéréotypes créés par la pornographie pour mettre du piquant dans leur vie de couple.

Puis vient l’énumération de quelques-uns des symptômes de l’hypersexualisation. Lise Ravary en appelle aux parents afin qu’ils mettent un frein aux désirs de leurs enfants. Soit. Mais qu’elle soit conséquente et cesse de véhiculer ces désirs à travers son magazine, composé à 40 % de publicités. Les médias doivent être responsables vis-à-vis des discours qu’ils produisent. Il est absurde de laisser les parents gérer individuellement ce qui relève en fait du social. S’ils doivent effectivement être plus présents auprès de leurs enfants, je crois qu’il ne faut pas se mettre la tête dans le sable. Plusieurs industries profitent de l’hypersexualisation. Ces industries ont beaucoup plus de ressources à canaliser dans la rééducation des enfants que les parents concernés. Omnikrom aura beau être interdit à la maison, Omnikrom passera à la radio étudiante, à la télévision, dans les boutiques… Sinon, ce sera Black Taboo, TTC, Girlicious, Les Pussycat Dolls, 50 cent, Britney Spears, les Joalliers, etc. Si elle n’interdit pas la télévision avant 21 h, ce sera Loft Story, Girlicious (elles sont partout !), Génération Séduction et j’en passe. Il reste encore les cinémas. Même si elle interdit le visionnement de films tels Sorority Boys, rien n’empêchera sa fille d’être invitée par le biais de publicité à se faire grossir le point G.

J’espère que Lise Ravary a beaucoup de temps à passer aux côtés de sa fille… Je crois avoir démontré que devant l’ampleur du phénomène, prôner des solutions individuelles serait absurde. Nous avons le choix entre mettre des œillères à la jeunesse ou modifier les messages qui sont envoyés dans l’espace public. Avons-nous oublié qu’il y a à peine vingt ans, il n’était pas normal de trouver dans l’environnement autant de références à la sexualité ? Avons-nous oublié qu’avant que le sexe devienne le sujet principal des divertissements destinés aux jeunes, ceux-ci étaient porteurs de changement ? Aujourd’hui, ils se noient dans la connerie.

Oui, le rapport du Conseil du statut de la femme a été subventionné. Il n’aurait pu en être autrement. Effectuer un bon travail de recherche demande des ressources en terme de temps et d’argent. La solution de rechange que propose Châtelaine est déconnectée de la réalité. Comment un conseil composé d’on ne sait qui (des sages proposés par le biais d’un site Internet) pourrait-il effectuer en profondeur une réflexion sur les rapports de genres et ce, en trois jours ? Lise Ravary n’est pas la seule à avoir dénoncé les conclusions du Conseil du statut de la femme et par le fait même, le Conseil en tant que tel. Serait-ce parce que ce rapport à justement atteint sa cible ? Serait-ce parce que celui-ci pourrait nuire à la prospérité de Châtelaine ? Je laisse le bénéfice du doute à la directrice. Cependant, je me demande qui pourra encore faire face aux médias. Les chaires universitaires d’études féministes effectuent ce type de travail, mais les résultats de leurs travaux restent souvent coincés dans un cercle d’initié-es. Le Conseil du statut de la femme (ou éventuellement, un Conseil du statut de la personne calqué sur le premier) permettait justement de porter ces réflexions au sein de la population en général.

Je suis pour un féminisme humaniste. J’aimerais que les êtres humains, quel que soit leur sexe, puisse échanger et accueillir l’expérience de l’Autre. J’aimerais croire en la bonne foi de Lise Ravary, mais son discours invite tant au désinvestissement du social que je ne peux la suivre. On ne peut espérer bâtir quelque chose de positif en se fondant sur la déresponsabilisation collective, le mépris et l’ignorance, caractéristiques sous-jacentes aux propos tenus par la directrice de Châtelaine.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 22 septembre 2008

Valérie Laflamme-Caron, étudiante en anthropologie

P.S.

 Signatures terminées, lien désactivé : Pour signer en ligne la lettre à la ministre Christine St-Pierre : "Ne laissez pas l’ignorance saper les acquis des Québécoises".




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