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Comment la pornographie influence les jeunes consommateurs
Avec la collaboration de Mélanie Claude

1er juin 2015

par Richard Poulin, sociologue

Extraits du livre Enfances dévastées, tome II : pornographie et hypersexualisation, par Richard Poulin, avec la collaboration de Mélanie Claude. Un essai de la collection « Amarres », l’Interligne, Ottawa, 2008. À paraître bientôt.



Confrontés à des images pornographiques, les jeunes ressentent un éventail d’émotions allant de l’excitation à l’agressivité en passant par la curiosité et le désir de ne plus voir ce type d’images. Peu importe le sentiment éprouvé, une certitude demeure : l’image consommée n’est pas neutre. Le psychothérapeute américain James Wright constate que les enfants qui ont été exposés à la pornographie sont plus dépressifs, centrés sur eux-mêmes et caractériels. Ils présentent soit des troubles affectifs, soit ils ne démontrent aucune émotion (1). Pour le pédopsychiatre Stéphane Clerget, « le contact précoce et répété avec la sexualité des adultes via le porno est à l’origine de nouveaux comportements chez les jeunes, caractérisés notamment par l’absence de gradation. »(2) Sexe buccal, baiser, relation vaginale et anale, tout se catapulte. La sexualité ne se construit pas, elle est immédiate, consumériste, anesthésiante. Après avoir tout expérimenté dès les premiers pas, que reste-t-il après ? Les expériences sexuelles extrêmes ? Cela n’engendre-t-il pas, par ailleurs, une sexualité en mal d’amour (3) ?

Si notre enquête révèle que l’incidence de la pornographie sur les comportements et les attitudes des jeunes ne relève pas d’une relation de type causal, les données obtenues n’en confirment pas moins que la pornographie inspire et influence les pratiques sexuelles des jeunes et qu’elle a une incidence sur les modifications déjà opérées sur leur corps et sur celles qu’ils voudraient y apporter. La pornographie est leur principal lieu d’information sexuelle et elle sert de modèle, ce qui n’est pas sans conséquences à la fois sur l’estime de soi des jeunes femmes et les rapports sociaux et sexuels entre les sexes.

L’imitation ou l’incidence de la pornographie sur les comportements des jeunes

Selon la théorie de l’exemplification de Dolf Zillmann, l’ensemble des actes sexuels dépeints dans la pornographie se présente comme ce que serait la réalité de la sexualité, facilitant du coup la généralisation de comportements qui lui sont associés (4). Ainsi, les images pornographiques qui montrent des femmes qui crient d’extase lorsqu’elles subissent la pénétration anale, induisent chez le consommateur l’idée que la pénétration anale est très agréable — même sans la préparation technique et la lubrification indispensable qui ne sont pas souvent montrées dans les films X —, et que les femmes réagiront de la même manière que les hardeuses (5). Les jeunes qui s’essayent se posent des questions : « Pourquoi, quand on essaie de sodomiser une fille, ça fait mal au pénis, genre il se tord ? », demande un adolescent (6). « Est-on obligé de faire les trois trous la première fois ? », questionne une adolescente (7). « Dois-je prendre la piste de boue si la route est ensanglantée ? », interroge un jeune homme de seize ans (8).
De nombreux cas d’imitation d’actes pornographiques ont été portés à l’attention du public. Leur multiplication est certainement un indicateur de l’influence de la pornographie sur les jeunes.

En 2001, une jeune Américaine âgée de onze ans a été accusée d’avoir masturbé un enfant de cinq ans alors qu’elle le gardait. La jeune fille a avoué à son thérapeute qu’elle n’avait que reproduit les actes vus en compagnie de sa sœur alors qu’elles naviguaient sur Internet (9). En 2003, en Ontario, un garçon et une fille, tous deux alors âgés de treize ans, ont commis des agressions sexuelles sur d’autres jeunes. Le jeune homme a eu une relation sexuelle avec une fillette de sept ans pendant qu’il la gardait. Pour sa part, la fille a fait des attouchements sur plusieurs enfants qu’elle gardait. Lors de l’interrogatoire, les policiers ont appris que ces jeunes avaient été inspirés par la pornographie vue en ligne et à la télévision par câble (10). En 2004, une étudiante du primaire à New York s’est filmée en train de se masturber et de simuler une fellation sur un balai, ce qui s’est retrouvé sur le Web (11).

Au Québec, des fillettes offrent des fellations dans les cours d’école et les garçons participent à des concours de masturbation sur les bancs d’école (12). En 2006, quelques images de pornographie juvénile mettant en scène des élèves d’une école secondaire de Coaticook, au Québec, ont été diffusées à l’intérieur des murs de la polyvalente (13). Lors d’une entrevue effectuée par le magazine la Gazette des filles auprès de cinq jeunes, un adolescent rapportait, qu’au cours d’une fête auquel il assistait, « il y avait une fille qui branlait un gars dans un coin devant tout le monde. »(14) Autre exemple : quatre cégépiennes ont réalisé un documentaire-choc dans lequel des filles âgées de quatorze à dix-huit ans dansaient dans une discothèque de façon provocante en simulant des fellations avec des popsicles, des glaces sur bâtonnet de bois (15). En 2008, en France, deux préadolescents ont violé une fillette après le visionnement d’un film pornographique dont ils ont voulu reproduire des scènes sexuelles. Ils ont filmé leur agression. La vidéo a été diffusée à leur collège au moyen du téléphone sans fil.

En raison du rôle central joué par la pornographie dans les actes sexuels de ces jeunes, ces exemples ne peuvent pas être interprétés uniquement à travers le prisme de l’éveil sexuel adolescent. Ils mettent en lumière le problème de l’usage des images pornographiques à titre de modèle ou d’inspiration.

L’adolescence est une période marquée par la recherche de modèles identificatoires, surtout en matière de rapports sexuels. Ce que souligne le psychanalyste Gérard Bonnet pour qui l’attrait de la pornographie se trouve dans le fait que ces images présentent des « recettes » qui sont à la fois infaillibles, simplistes et directes (16). Toutefois, le modèle identificatoire qu’elle offre pose problème, car il invite les enfants et les jeunes à la reproduction d’actes sexuels adultes comme si cela allait de soi (17).
La pornographie est une source d’inspiration pour les rapports sexuels chez les jeunes. Les données de notre enquête indiquent que 27,4 % des répondants déclarent avoir déjà demandé à leur partenaire de reproduire un acte vu dans la pornographie ; les jeunes hommes sont plus nombreux à l’avoir fait que les jeunes femmes (40,3 % contre 21,6 %).

Plusieurs aimeraient pouvoir demander à leur partenaire de reproduire certains actes pornographiques. Plus la consommation est fréquente et régulière, plus les jeunes déclarent désirer pouvoir demander à leur partenaire de reproduire les actes vus (34 % des jeunes hommes contre 26 % des jeunes femmes). Ils aimeraient également convaincre leur partenaire de consommer de la pornographie (70,8 %). Plus la consommation de pornographie est fréquente, plus les jeunes sont susceptibles d’avoir déjà demandé à un partenaire de reproduire un acte pornographique. Lors des entrevues, un bon nombre de jeunes nous ont dit qu’il leur arrive d’essayer certaines positions sexuelles vues dans la pornographie. La pornographie sert à « pimenter » (spice things up) (18) leur vie sexuelle.

Les images pornographiques ont engendré l’idée que la relation typique mise en scène — fellation, rapport sexuel, éjaculation — ne suffit plus. Dès les premières expériences sexuelles, les jeunes essaient d’imiter les actes vus, car pour eux la pornographie a été un lieu d’apprentissage des comportements féminins et masculins. Dans ces conditions, les jeunes deviennent rapidement blasés des rapports sexuels et cherchent à pousser l’expérience plus loin. Sans compter que les rapports de domination mis en scène par la pornographie sont actualisés dans les rapports sexuels et amoureux des jeunes, comme nous le verrons au prochain chapitre.

Par ailleurs, le caractère prescriptif de la pornographie peut rapidement devenir la cause d’anxiété et de questionnements, notamment chez les jeunes filles. Un manque d’information sur le développement physique et sexuel génère chez les jeunes filles, parfois d’âge prépubère, des complexes physiques inspirés des images pornographiques. Ce que montre les prochains témoignages tirés du site Tel-jeunes (19). Une jeune fille de treize ans questionne : « Doit-on raser ou pas les poils pubiens avant une relation sexuelle ? Parce que des fois, je regarde sur des sites de pornographie mais les poils sont parfois raser [sic] et sur d’autres photos ils ne le sont pas […] et l’autre fois vous m’avez dit que […] je devais pas trop me fier au site pornographique !!!! Alors je répète, ma question est : doit-on raser ou pas les poils pubiens avant une relation sexuelle et surtout si c’est la première ??? »

Si les poils pubiens inquiètent les filles que dire maintenant des petites lèvres du vagin. Une fille de quatorze ans écrit : « Bonjour, ma question cest que jai un chum, depui tres longtemp, et jai eu des relation sexuelle avec lui. Mais le probleme cest que jai jamais voulu lui montrer ma vulve parce que jai vrm un gros clitoris et des grosse levre. Je me demande si cest normale ? Et si sa va raptisser un jour, pasce mes amies semble dire que elle on des petites levres et un petit clitoris. Merci » [sic]. Une fille de quinze ans témoigne : « Mais moi mon problème c’Est que je comprend pas pourquoi mais les lèvre supposé petite de mon vagin sont vraiment grosse genre quand je suis debout elles pendent de komme _ cm ou plus je ne sais pas trop j’ai regarder des photos et je ne suis pas comme les autres… je voudrais juste savoir si c’est normal ou si y’a une anormalie ??? Et aussi pour les poil on les enleve comment au complet ??? Parce qu’a la cire ça doit faire mal et au rasoir ca repousse trop vite et ça donne des voutons rouge ! » [sic].

Pour une fille de seize ans : « Bin moi cest que jvoulais savoir si stais normal que ma vulve l’a, bin que les petites levres soit plus..longues genre p-e ke sa sort d’environ 1 cm ou 1.5 cm…Pke je trouve sa laite pi les autre ça fait pas ça…Jvoudrais que sa soit comme quand on était petites la toute égal. Ça me gêne qu’un gars me voit toute nue a cause de ça pke je trouve ça laid et sa me gêne. J’ai une autre question aussi : jusqu’à quel âge nos seins poussent ? L’a j’ai 16, sa la commencé il y a 2 ans peut-être, et je porte du 34 B. J’aimerais en avoir plus, ke mes seins soit plus rapprochés Merci » [sic].

Les seins sont une préoccupation, même lorsque la fille est très jeune. Une adolescente de quatorze ans demande si elle est normale : « Bonjour je faudrait savoir si je suis normal je suis ds le 34 c ou 36c et on dirais de mes seins sont pendant que le maleon est plus vers le bas et quand je regarde les site porno mais ca arrive la leur mamelon sont plus haut. Que faire aidez-moi svp. Je vx savoir si je suis normal » [sic].

Pour d’autres, ce sont les positions sexuelles de la pornographie qui sont le sujet de préoccupation. Une jeune fille de douze ans écrit : « Mon chum veut que je fasse des position qui a vu sur les sites, et moi, je ne sais pas si je devrai. Ça me tente pas vrmt. Jé peur qui me lais si je dis non, quoi faire ????? » [sic].

Non seulement les questions posées illustrent le rôle qu’occupe la pornographie dans l’éveil sexuel, mais elles montrent aussi toutes les difficultés avec lesquelles les jeunes filles se débattent. Quels sont les comportements sexuels adéquats ? Quelles sont les limites à ne pas franchir ? Quels sont les comportements sexuels propres à leur âge ? Quel corps faut-il avoir ? Faut-il se faire opérer les seins et réduire les petites lèvres du vagin ? Quand doit-on s’épiler (et non doit-on s’épiler) ?

Ces questionnements sont symptomatiques d’une société envahie par la pornographie.

Notes

1. James E. Wright, The Sexualization of America’s Kids and How to Stop It. New York, Lincoln, Shanghai, Writers Club Press, 2001, p. 71.
2. Stéphane Clerget, Ils n’ont d’yeux que pour elle. Les enfants et la télé, Paris, Fayard, 2002.
3. Selon l’expression de la sexologue Jocelyn Robert, Le sexe en mal d’amour, op. cit.
4. Dolf Zillmann, « Exemplification theory of media influence », dans Jennings Bryant et Dolf Zillmann (dir.), Media Effects. Advances in Theory and Research, New Jersey, Lawrence Erlbaum Associates, 2002.
5. Pamela Paul, op. cit., p. 18.
6. Agathe Fourgnaud, Les jeunes et le sexe, Paris, Presses de la Renaissance, 2006, p. 35.
7. Marie Allard, « Sexe et ados. Fleur bleue ou Gang bang », La Presse, le 6 décembre 2003.
8. Louisa Allen, « “Looking at the Real Thing” : Young men, pornography, and sexuality education », Discourse : Studies in the Cultural Politics of Education, vol. 27, no 1, 2006, p. 73.
9. Agathe Fourgnaud, op. cit., p. 68.
10. Pamela Paul, op. cit., p. 187.
11. Ibid., p. 141.
12. Marie-Andrée Chouinard, « Alice au pays du Porno », Le Devoir, 16-17 avril 2005.
13. René-Charles Quirion, « Un reflet de la sexualité proposée aux ados », La Tribune, 2 octobre 2006.
14. Danielle Stanton, « Sexe vérités et vidéos », La Gazette des filles, septembre-octobre 2006, p. 18-21.
15. Lisa-Marie Noël, « Encore fillettes, déjà “salopes” », La Gazette des femmes, septembre-octobre 2005, p. 24-26.
16. Gérard Bonnet, op. cit., p. 139.
17. Ibid., p. 140.
18. Expression tirée de l’entrevue d’une jeune femme de vingt ans.
19. Tel-jeunes est un organisme qui offre un service téléphonique et Internet anonymes aux jeunes. Ces derniers peuvent poser, en tout anonymat, leurs questions. Les questions ne traitent pas uniquement de la sexualité, mais aussi de la santé, des relations parentales, etc. En 2006-2007, 35 085 jeunes ont consulté Tel-jeunes [site consulté le 15 avril 2008] Richard Poulin, sociologue



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