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Qui est déconnectée ? Réponse à Nathalie Collard

9 novembre 2008

par Stéphanie LeBlanc

L’éditorialiste Nathalie Collard a prétendu que les jeunes féministes, qui se sont rassemblées les 11, 12 et 13 octobre à Montréal, étaient "déconnectées" parce qu’elles ont choisi un rassemblement non mixte. Stéphanie LeBlanc, qui a participé à ce rassemblement, lui répond. Notez que cette lettre a été envoyée à Mme Collard, à La Presse, mais le quotidien ne l’a pas publiée.



Madame Collard, mon commentaire concerne votre billet intitulé "Rebelles ou déconnectées ?". J’ai moi-même participé au rassemblement des jeunes féministes. Pour votre information, la décision de faire du rassemblement "Toujours Rebelles" un évènement non mixte n’a pas été prise par l’ensemble des 500 participantes, mais vraisemblablement par le comité d’organisation. Même si, personnellement, je préfère les activités mixtes, je comprends tout à fait que certaines femmes se sentent plus à l’aise d’aborder des thèmes comme les agressions sexuelles, par exemple, devant un public exclusivement féminin, en particulier lorsqu’elles décident de raconter des expériences vécues.

Nous ne sommes pas contre les hommes. Lors d’un atelier auquel j’ai participé, une jeune femme a dit que beaucoup d’hommes sont féministes, une autre encore a dit en plénière qu’il fallait inclure les hommes dans notre combat. Nous ne faisons pas que "chiâler" non plus, j’ai moi-même mentionné en plénière qu’il fallait faire du renforcement positif et encourager les publicités et autres médias qui respectaient l’égalité des sexes et ne pas seulement dénoncer les oppressions.

Quelle déception de constater que vous semblez réduire le féminisme à une question d’obtention de droit de vote ou d’avortement, comme si tout avait été réglé pour les femmes en changeant quelques lois (le projet de loi C-484 a pourtant failli d’être adopté). Les injustices que vous mentionnez dans votre 7e paragraphe justifieraient à eux seuls la continuation du combat féministe. Nous nous battons contre la violence conjugale, la violence et l’exploitaton sexuelle, l’inéquité salariale, la discrimination à l’embauche ou dans le logement pour les femmes enceintes, le fondamentalisme religieux, etc. De plus, des thèmes comme la lutte contre le racisme, l’homophobie et la pauvreté, les enjeux environnementaux et les droits des autochtones ont été explorés lors du rassemblement et font désormais partie des revendications de beaucoup de regroupements féministes.

Vous semblez également oublier que le monde ne s’arrête pas aux pays occidentaux. Nous nous battons pour les femmes des autres pays qui vivent des injustices comme le mariage forcé, les mutilations sexuelles, la lapidation, la défiguration ou le viol de guerre, et qui n’ont pas accès à l’éducation la contraception ou à l’avortement, ne parlons même pas de droit de vote.

Le monde aura besoin des féministes tant et aussi longtemps que perdurera le sexisme (qui ne concerne pas que les femmes d’ailleurs). Certaines pratiques comme l’excision ou le mariage forcé commencent à s’ajouter aux injustices déjà présentes dans les pays occidentaux. Informez-vous avant de prétendre que le féminisme n’évolue pas. S’il est agaçant de devoir expliquer encore et encore le féminisme à des hommes étroits d’esprit, il est particulièrement décourageant de devoir le faire lorsqu’on s’adresse à des femmes que nous tenons pour intelligentes et instruites.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 3 novembre 2008

Stéphanie LeBlanc

P.S.

 Lire le Manifeste des jeunes féministes.




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