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Le refus de la prostitution gagne du terrain

10 novembre 2008

par Élaine Audet

Dans le sillage de la dernière élection aux États-Unis, la proposition K sur la décriminalisation de la prostitution, mise en référendum à San Francisco, a été défaite par 57,6 % contre 42,4%. Cette mesure aurait imposé à la ville de cesser d’appliquer les lois, non seulement contre la solicitation et les bordels, mais également contre les trafiquants, les proxénètes et les clients. Elle aurait mis fin au financement des groupes qui luttent contre la prostitution et la traite à des fins d’exploitation sexuelle (1).

Alors que Barack Obama déclare clairement que la prostitution et la traite à des fins de prostitution constituent une violation des droits fondamentaux, les opposant-es à la décriminalisation totale de la prostitution rappellent que celle-ci ne peut jamais être un travail sûr, un mode de vie sécuritaire, un "empowerment", parce qu’elle normalise la violence sexuelle, les insultes et le mépris envers les femmes. Comment la décriminalisation des clients et des proxénètes pourrait-elle améliorer la sécurité physique et émotionnelle des femmes prostituées ? Indépendamment de son statut juridique, la prostitution reste extrêmement nuisible pour celles qui en font les frais.

L’abus sexuel, l’agression et le viol des femmes prostituées sont à la base même de la prostitution. Qu’elle ait lieu dans la maison du client, une voiture, un hôtel, un salon de massage, l’isoloir d’un club de danseuses nues, un bordel légal, ou dans la rue, elle met par son existence même la vie des femmes en danger. Des chercheur-es, des agences de services, des maisons d’hébergement pour itinérantes et pour femmes battues, affirment que plus de 90% des personnes prostituées voudraient en sortir si elles en avaient la possibilité.

La Maison d’hébergement des femmes prostituées de San Francisco constate, dans une étude publiée en 2008 après l0 ans d’existence, que :
 75 % des femmes prostituées ont été itinérantes pendant plusieurs années
 90 % ont eu des problèmes de santé mentale
 90 % ont subi enfant des mauvais traitements et l’inceste
 90 % souffrent de toxicomanie
 57 % n’ont jamais achevé l’école secondaire
 75 % sont des mères avec des enfants dans le système
 Elles ont passé en moyenne 19 ans dans la prostitution depuis l’âge de 12 ans.

En Norvège, une loi pour interdire l’achat de services sexuels

La Californie n’est pas le seul endroit où les citoyen-nes expriment leur désir d’un monde sans prostitution. Le Comité de la justice du Parlement norvégien a donné, le 5 novembre 2008, son aval à un projet de loi omnibus ayant entre autres pour effet d’interdire l’achat de services sexuels. Cette loi s’appliquera non seulement en Norvège, mais à l’achat de services sexuels par des Norvégiens à l’étranger. Il s’agit, pour Gunilla Ekberg, de la Coalition contre la traite des femmes (CATW) d’un pas important dans le processus menant à un vote du parlement norvégien sur ce projet de loi, prévu pour la fin novembre. (2)

Au Royaume-Uni, non à la décriminalisation de la prostitution

Au Royaume-Uni, la National Federation of Women’s Institutes a rejeté, le ler novembre, la légalisation des bordels et la décriminalisation de la prostitution. Si la résolution avait été adoptée à l’échelle nationale, les 250 000 membres de la Fédération auraient été incitées à faire pression sur le gouvernement pour décriminaliser le système prostitutionnel laissant ainsi la voie libre à la marchandisation du corps des femmes et des enfants par les proxénètes et les clients prostitueurs (3).

À Québec, lancement d’un guide de prévention et d’intervention en prostitution juvénile

Dans la ville de Québec, à la suite d’une concertation de la Table régionale sur la prostitution juvénile (TRPJ), créée en 2005 en lien avec « l’enquête scorpion », un guide de prévention et d’intervention en prostitution juvénile a été lancé le 4 novembre. Il servira d’outil de formation aux intervenant-es des milieux policiers, municipaux, scolaires, de la santé et de la jeunesse. Les formations débuteront dès l’hiver 2009.

On se souvient qu’en décembre 2002, l’Enquête Scorpion a démantelé un important réseau de prostitution juvénile impliquant 17 filles âgées de 13 à 17 ans. L’enquête a permis de rencontrer des centaines de jeunes filles, témoins ou victimes de ce phénomène et de procéder à l’arrestation de plusieurs proxénètes et clients. Le Guide de prévention et de formation permettra de former des intervenant-es qui travaillent en première ligne et qui pourront à leur tour transmettre leur formation à leurs collègues (4).

La prostitution, pas encore reconnue comme une forme de violence en soi ?

À l’approche du 19e anniversaire de la tuerie de l’École Polytechnique où 14 jeunes femmes ont été assassinées en 1989 simplement parce qu’elles étaient des femmes. la Fédération des femmes du Québec lance une campagne contre la violence envers les femmes avec la participation de plusieurs groupes dont le groupe montréalais Stella (5).

Comme on le sait, Stella valorise la prostitution comme un métier et proclame depuis plusieurs années que la violence envers les femmes prostituées ne provient pas de la prostitution en soi, des prostitueurs et des proxénètes qui exploitent le corps et le sexe des femmes comme une marchandise. Cette violence proviendrait plutôt, selon Stella, d’une part, de la criminalisation de la prostitution et du proxénétisme, et d’autre part, des groupes et des individus militant pour l’abolition de la prostitution, un esclavage qui persiste grâce à la complicité du patriarcat et du néolibéralisme.

Pourtant, la violence des clients, des proxénètes et de la prostitution elle-même n’a pas disparu, ni même diminué, dans les pays qui ont décriminalisé complètement le proxénétisme et la prostitution. En outre, au cours des dernières années, Stella a vivement reproché aux féministes de ne pas soutenir la journée que le mouvement international pro-prostitution a décrété Journée contre la violence faite aux personnes prostituées (le 17 décembre). En réalité, cette journée en est une de militantisme pour la décriminalisation du proxénétisme et de la prostitution. C’est pourquoi plusieurs ne veulent pas s’y associer.

Il faut espérer que cette campagne dénoncera énergiquement la prostitution comme une des formes de violence les plus misogynes et brutales envers les femmes, comme la principale forme mondiale d’eslavage au XXIe siècle.

Notes
1. Voir le site Vote No on K.
2. Lu sur la liste de la CATW.
3. "WI’s bid to legalise brothels rejected", Hampshire, 1er novembre 2008.
4. Mélanie Tremblay, "Guide de prévention et d’intervention en prostitution juvénile", Le Journal de Montréal, 4 novembre 2008.
5. Voir le site de la FFQ.

Lire également : Joan Smith, "Damaged women are safer now, thanks to Jacqui Smith", The Independant, , 23 Novembre 2008 .

Mis en ligne sur Sisyphe, le 3 novembre 2008.

Élaine Audet


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