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Un débat public sur la procréation assistée est nécessaire

21 novembre 2008

par Élaine Audet

Le premier ministre, M. Jean Charest, en campagne électorale pour obtenir un nouveau mandat, le 8 décembre prochain, a annoncé le 17 novembre qu’un futur gouvernement libéral ferait en sorte que la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) assume les coûts des deux premiers traitements de fécondation in vitro. Chaque traitement coûte entre 10 000 $ et 15 000 $. Cet engagement représente un coût annuel de 35 millions. (1) L’ancien ministre de la Santé et des Services sociaux, M. Philippe Couillard, s’opposait à ce que l’État paie ce traitement de pointe, alors que l’Action démocratique du Québec et du Parti québécois y étaient favorables. En juin dernier, au moment de l’étude du projet de loi 23 visant à réglementer la procréation assistée, Philippe Couillard avait déclaré qu’avoir des enfants, "ça ne fait pas partie des droits fondamentaux des individus".



La production de bébés représente une très lucratrive entreprise dont les femmes font les frais. Il y a des années que les cliniques de fertilité réclament que la fécondation in vitro (FIV) soit couverte par la RAMQ. En entrevue, la Dre Abby Lippman, professeure en épidémiologie à l’Université McGill parle du vide juridique qui entoure la procréation assistée, aussi bien au Québec qu’au Canada, et regrette que le Collège des médecins n’ait pas encore jugé bon d’établir des balises, notamment sur le nombre d’embryons qu’il est éthique d’implanter chez une femme (2). La chercheuse avait déjà évoqué sur Sisyphe (3) les dangers d’abus que constitue la législation sur la procréation assistée.

Louise Vandelac, professeure de sociologie à l’Université du Québec à Montréal, a été parmi les premiers chercheurs québécois en sciences sociales à s’intéresser à ces phénomènes que sont la fécondation in vitro et la transplantation embryonnaire (FIVETE) et à en dévoiler les hauts risques pour la santé et même la vie des femmes. Elle a mis en garde contre le choix de financer la reproduction humaine qui "fait appel à une autre rationalité, celle de la logique économique dominante : programmation, performance, sélection, rentabilité, efficacité." On ne peut s’empêcher de se demander pourquoi, sous couvert de lutter contre l’infertilité, des technologies dont le taux de réussite est très bas et les risques si élevées bénéficient de tant de publicité. On peut imaginer l’importance des enjeux quand on sait qu’aux États-Unis, l’industrie de l’infertilité dépasse les deux milliards de dollars, dont plus de 80% sont consacrés aux produits pharmaceutiques.

Jean Charest profite du désir d’avoir un enfant de la majorité des femmes pour mettre le remboursement de la procréation assistée à son agenda électoral, même si on ignore encore les conséquences à long terme de tels actes médicaux et même si l’éthique qui préside à ce choix pose de nombreuses questions. Comment ne pas s’inquiéter en constatant qu’aucun débat public n’a eu lieu sur une question éthique aussi cruciale pour l’avenir de l’humanité et la santé des femmes ? Voici l’introduction d’une entrevue que Jeanne Morazin a réalisée en 1993 avec Louise Vandelac, dont l’analyse reste d’actualité, même si des données peuvent avoir changé au cours des années.

Les nouvelles technologies de reproduction, pour ou contre ?

Qui ne rêve pas un jour d’avoir, bien à soi, un joli poupon dans les bras ?

Pour quelques personnes stériles ou qu’on déclarait auparavant stériles, ce rêve n’est plus irréalisable. Elles peuvent recourir à la FIVETE, la fécondation in vitro et transplantation embryonnaire. Mais à quel prix ?

Depuis une quinzaine d’années, l’actualité rapporte les "exploits" de la science en matière de reproduction humaine. Puisant dans les manchettes, le vocabulaire contemporain a intégré des expressions comme mère porteuse, bébé-éprouvette, banque de sperme. […] L’intérêt marqué de Louise Vandelac pour la santé des femmes - elle a contribué à la mise sur pied du premier centre québécois de santé des femmes en 1976 - et son regard résolument féministe, qui tient compte des rapports sociaux entre les sexes, orientent ses recherches. En 1988, elle obtient un doctorat en sociologie de l’Université de Paris. Sa thèse intitulée "L’alibi des technologies de reproduction" dévoile les véritables enjeux des travaux sur l’embryon. "La FIVETE, nous dit Louise Vandelac, inaugure la manipulation des ovocytes et des embryons et ouvre d’innombrables possibilités d’interventions biotechniques (congélation, diagnostic et trigénétique des embryons, etc.) Elle constitue l’une des principales clés d’intervention sur la genèse humaine." Selon la chercheure, les nouvelles technologies de procréation industrialisent les activités de reproduction et les assujettissent à la logique économique, au même titre que les activités de production. Ce virage est majeur et inquiétant. "Or, poursuit Louise Vandelac, les analyses critiques ont rarement réussi à entraîner un large débat public et une véritable évaluation sociale des nouvelles technologies de procréation."

Ce ne sont pourtant pas les questions qui manquent. Ces technologies sont-elles efficaces, sûres, justifiées, nécessaires et quels en sont les coûts véritables ? Quelles en sont les conséquences pour les individus et pour la société ? À qui profitent-elles réellement ? Comment empêcher une utilisation abusive ? Où se situe la frontière acceptable ? Louise Vandelac cherche à répondre à ces questions sur les enjeux, la genèse, les modalités d’implantation et de diffusion des nouvelles technologies de reproduction. Ce faisant, elle tente d’élaborer une sociologie de l’éthique, un axe de recherche qui prend chez elle une importance grandissante.

Faibles taux de succès, risques élevés

Quelle est la probabilité qu’une femme qui a recours à la fécondation in vitro ait effectivement un enfant ? Les taux de succès varient selon le point de départ (stimulation ovarienne, ponction des ovocytes, fécondation, transfert, etc.) et selon le point d’arrivée (premier test de grossesse positif, nombre d’accouchements, nombre d’enfants nés). En 1988, le Rapport du comité de travail sur les nouvelles technologies de reproduction humaines du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec situait le taux de succès de six cliniques québécoise entre 0 et 5 pourcent, en partant du nombre de naissances vivantes chez toutes les femmes ayant entrepris une stimulation ovarienne.. "Il serait temps, croit Louise Vandelac, que la notion de taux de succès soit redéfinie de façon homogène en fonction du nombre d’enfants conçus par FIVETE et en santé à l’âge d’un mois, comparé au nombre total d’indictions d’ovulation."

La probabilité d’une grossesse multiple est par contre très élevée. La FIVETE est responsable de 25 fois plus de grossesses multiples que normalement. Il arrive qu’on provoque l’avortement d’un ou plusieurs embryons. Ce n’est pas le seul danger de la fécondation extra-corporelle comme le montre le tableau de cette page. La FIVETE a aussi des effets secondaires, des maladies et des malaises étant associés à la stimulation ovarienne (nausées, kystes ovariens, hypertrophie des ovaires et possiblement certains cancers). Quelques femmes sont mortes durant ou à la suite d’une ponction d’ovocytes. Enfin, on ne sait pas encore si les substances utilisées pour provoquer l’ovulation sont inoffensives à long terme. "Ces problèmes, conclut Louise Vandelac, découlent principalement de stimulations ovariennes très musclées afin d’obtenir et de transférer davantage d’embryons. Cette façon de faire vient remédier à une non-maîtrise des conditions d’implantation des embryons dans l’utérus, responsable d’un taux d’échec dépassant 80%. Ainsi, pour la première fois de l’histoire de l’humanité, la médecine s’autorise à produire des êtres potentiels en série, qualifiés de "surnuméraires", pour pallier l’inefficacité d’une technique."

D’ailleurs, la sociologue s’étonne que la fécondation in vitro ne soit pas traitée comme une pratique expérimentale soumise aux règles habituelles d’évaluation, tenue de recueillir, au plan national et international, des données épidémiologiques et sociologiques fiables. "Les femmes, affirme Louise Vandelac, servent de cobayes, l’expérimentation sur les primates ayant été trop souvent escamotée. Implanter 8 ou 9 embryons dans l’utérus d’une femme, j’appelle cela un crime contre l’humanité ! Les technologies de fécondation ont été diffusées de façon incontrôlée avant qu’une évaluation complète et rigoureuse de leur efficacité, de leur fiabilité, de leur sécurité à court terme et à long terme et de leurs coûts ne soit menée, exigence toujours non remplie 25 ans après les premières tentatives sur les femmes."

Lire l’article intégral : « Les nouvelles technologies de reproduction, Pour ou contre ? », Le Regroupement inter-organismes pour une politique familiale au québec, Pensons famille, Volume 5, numéro 34, décembre 1993.

Notes

1. Robert Dutrisac, « Procréation assistée : Charest se rallie à l’opposition », Le Devoir, 18 novembre 2008.
2. Louise Leduc, « Procréation assistée : une promesse et beaucoup de questions », La Presse, 19 novembre 2008.
3. Abby Lippman, « Le projet de loi sur la procréation assistée, une porte ouverte aux abus ? ».

Mise en ligne sur Sisyphe, le 17 novembre 2008.

Élaine Audet


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