source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=3143 -



Témoignage - Moi, la femme de personne

24 novembre 2008

par Ghislaine Sathoud, écrivaine et militante

Ce 25 novembre, nous célébrons la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Il s’agit une problématique complexe et d’un problème universel, et les victimes (rescapées et défuntes) sont disséminées aux quatre coins du globe. D’où la nécessité pour les SURVIVANTES de s’engager dans ce combat.

Cette journée est une invite à la découverte des tenants et des aboutissants de la violence. Aussi, il nous appartient de poursuivre la sensibilisation sur la violence et ses effets collatéraux, de lutter contre ce fléau qui endeuille des familles à travers le monde, d’inculquer une culture de paix afin que plus jamais de telles horreurs ne se reproduisent. Oui, plus jamais.

Il va sans dire que la célébration de cette journée nous entraîne droit dans les sinuosités de la condition de la femme. La violence est une intimidation qui vise à marquer un coup fort, ceux qui affectionnent cette méprisable pratique veulent dénoncer les changements dans les us et coutumes, c’est-à-dire, signifier aux femmes qu’elles prennent trop de place, qu’elles révolutionnent les mœurs, qu’elles devraient demeurer des « citoyennes de seconde zone ».

Que pense la militante des droits des femmes que je suis de cette journée ? Que veut donc dire cette célébration pour moi, migrante Africaine installée au Canada depuis plus d’une décennie ? Cela me rappelle mon mariage, plus précisément les péripéties de ce passé, un passé relativement récent qui influence encore d’une certaine manière mon quotidien. D’une certaine manière seulement, d’autant plus que je me donne tous les moyens pour marquer la rupture définitive entre ces douloureux souvenirs et mes attentes face à l’avenir. Voilà pourquoi je refuse de me faire dompter, d’aucune façon je ne me laisserai faire, je me battrai, comme je l’ai toujours fait d’ailleurs, pour réclamer mon autonomie, mon droit à la vie, ma quiétude mentale : il n’y a aucun doute là-dessus, je ne me laisserai pas faire.

Par exemple, concernant mon expérience d’épouse, j’avoue que, mon cœur balance, je cherche des repères : le mariage a duré douze années, deux seulement se sont passées en Afrique, et les dix autres au Canada. Il en est d’ailleurs de même pour la maternité, j’ai eu un enfant en Afrique et les deux autres au Canada.

Tout compte fait, ces deux années dans mon pays constituent le socle de mon cheminement dans le mariage : non seulement elles marquèrent mes premiers pas dans la maternité et dans le couple, mais surtout, tous les balbutiements dans l’une ou l’autre tâche furent épauler par la famille, et ce, au sens le plus large du terme, d’autant plus que je fus mariée coutumièrement et civilement.

À vrai dire, cela ne me dérange pas de porter plusieurs casquettes, cette diversité me convient parfaitement. De plus, c’est au nom de cette pluralité que je m’insurge contre ceux qui, consciemment ou inconsciemment, ont voulu (et d’autres le veulent encore) m’enfermer dans une seule identité : celle d’épouse. Et la mère, qu’en faites-vous ? Et la fille, je suis d’abord la fille de mes parents avant de convoler en justes noces, vous en souvenez-vous ? Sans compter que je suis une personne à part entière, un être humain avec des besoins et des projets : et ça, j’y tiens !

En tout cas, le constat est patent : à l’instar des femmes dans nos pays d’origine et de celles du pays d’accueil, nous, les migrantes, ne sommes pas épargnées par les discriminations sexistes. Nous subissons de plein fouet l’influence de la culture d’origine, voire la métamorphose de celle-ci - ceux qui prétendent défendre les coutumes n’hésitent pas à les changer pour en tirer le meilleur profit – et, par-dessus le marché, nous héritons du sort des femmes de la société d’accueil. Sauf que, finalement, par la force des choses, nous sommes comme dans un « monde à part », ni avec nos congénères d’où nous venons, ni avec celles que nous côtoyons. Nous sommes « nulle part » ; nous sommes les femmes de nulle part.

Voilà pourquoi les mésaventures des unes et des autres nous concernent aussi dans la mesure où notre monde se situe à l’intersection de notre passé et de notre présent. Voilà pourquoi l’avenir des femmes de nulle part m’intéresse, voilà pourquoi j’aborde régulièrement des réflexions sur cette situation qui me préoccupe au plus haut point. Cette année, j’ai fait un choix décisif : je continue mon combat contre la violence à l’égard des femmes, quitte à lever le voile sur mon « intimité ». Quoi qu’il en soit, il y a fort à faire pour éradiquer ce fléau, il faut apporter des preuves tangibles, des exemples concrets qui justifient que les femmes tapent du poing, non pas pour attiser une haine contre les hommes, mais pour réclamer des droits inaliénables et sacrés, pour l’équité, pour la justice. C’est ce sens que je donne à mon engagement.

Somme toute, l’objet de ce témoignage est surtout d’amener une sensibilisation sur une problématique bien souvent méconnue : pas sûr que cela suffise à blanchir les migrantes qui sont souvent accusées, injustement disons-le, de bafouer la culture d’origine au profit de la culture du pays d’accueil. La violence est toujours dramatique : elle se caractérise par un désir d’exercer un contrôle sur la victime ; elle peut être physique, verbale, économique... et que sais-je encore. À coup sûr, pour la victime, les conséquences sont dévastatrices.

Je me considère comme une victime de la violence. Ça ne se voit pas ? En effet, les dégâts de ce mal sournois ne sont pas toujours perceptibles. De vous à moi, ce qui importe, c’est d’en sortir. Si mon visage ne porte pas les marques de ce douloureux passé, mon âme, elle, est bariolée à jamais par les scarifications. Comment oublier cela ? Pour tout dire, comme plusieurs femmes de nulle part, comme les migrantes africaines installées en Occident, je suis prisonnière de la perte de réseau social. Quoi qu’il en soit, je tenais à faire ce témoignage, ne fût-ce que pour mesurer le chemin parcouru, pour apprécier la grandeur de ma RÉSILIENCE. J’aurais pu perdre la boule !

En 2005, mon conjoint me demandait une irrationnelle preuve d’amour : il m’intimait l’ordre de choisir entre mon boulot et le mariage, un beau cadeau pour notre douzième anniversaire de mariage qui pointait à l’horizon ! De surcroît, il ne me laissait aucune alternative, c’était à prendre ou à laisser. Selon ses convictions, – et ça, mon petit doigt me le disait - ses desseins, même ceux les plus égoïstes (surtout eux, ai-je envie de dire), y compris ceux au détriment des autres membres la famille, tous ses vœux étaient des ordres à exécuter aveuglement. Il disait donc tout haut ce qu’il n’avait jamais osé m’avouer auparavant : la place de la femme, d’une épouse digne de ce nom est à la maison, dans les fourneaux. Cela ne me dérange pas quand l’initiative est volontaire. Par conséquent, j’épaule celles qui font librement ce choix. Pour ma part, cela a toujours été plaisant de prendre soin de ma famille, de mijoter des plats, c’est même à mon sens une façon de prouver mon affection aux miens, de resserrer nos liens. Par contre, je n’ai jamais pensé que mes responsabilités familiales soient incompatibles avec l’exercice d’une profession.

Du coup, mon conjoint m’accusait « d’usurper » son rôle ; il me reprochait de travailler « à l’extérieur » alors que lui restait à la maison, il était furieux, je ne le reconnaissais plus.

Sauf que je n’ai jamais intentionnellement ou par inadvertance mener une quelconque démarche pour le garder dans ce désoeuvrement. Je ne comprenais pas pourquoi je devenais son souffre-douleur. Pourtant, je le soutenais psychologiquement en l’encourageant à poursuivre ses recherches : nous arrivâmes dans notre terre d’accueil le même jour, nul ne savait avec exactitude les défis qui nous attendaient ; nous étions dans le même bateau. Comble de déveine : tout cela se passait loin de nos familles, loin de ceux qui célébrèrent le mariage ; loin de ceux qui auraient pu jouer les bons offices. Surtout, dans ces histoires qui font intervenir les coutumes, on ne sait jamais la conduite à tenir !

En définitive, je me suis débrouillée comme une grande fille. J’ai fait mon choix : le boulot, l’autonomie, le revenu pour subvenir aux besoins de mes enfants, c’était tout à fait clair dans mon esprit ; c’est ce que je voulais. Et si c’était à refaire, je referais exactement la même chose.

Un autre fait non moins important guida mon choix : quel héritage devrais-je laisser à ma fille qui est née dans ma société d’accueil ? Comment lui dire que je démissionnais pour respecter la volonté de son père ? Non, je ne pouvais pas faire cela : même pas pour garder l’alliance au doigt et respecter les coutumes qui encouragent la soumission. Je refusais, même si ce geste m’était préjudiciable d’autant plus que des préjugés tenaces incriminent les Africaines installées en Occident : on dit qu’elles divorcent sans raisons apparentes. Je ne pouvais pas le faire ne serait-ce que parce que mon emploi me permettait de faire bouillir la marmite à la maison. En outre, j’estime qu’une telle sommation n’est pas un acte d’amour : c’est de l’égoïsme !

Comme pour me donner raison, à la suite de mon refus, mon conjoint avec qui j’étais pourtant déjà en instance de divorce monta un complot pour essayer d’obliger mon employeur à me congédier : il affirma que je violais le devoir de confidentialité exigé par mon emploi. Outre cela, plusieurs années après, même si je ne suis plus son épouse, même si j’ai choisi de vivre dans une clandestinité volontaire et d’éviter tout contact avec lui, les rumeurs les plus humiliantes circulent à mon sujet, comme je m’y attendais.

Je vis paisiblement avec mes enfants dont j’ai obtenu la garde. Mais bon, à vrai dire, je n’ai pas encore la paix tant souhaitée, mais je la revendique âprement. Je suis fréquemment perturbée par le père de mes enfants qui revient à la charge de diverses manières.

Les migrantes endurent bien des maux, je ne le dirai jamais assez, surtout, la « condamnation » dans le pays d’origine blesse : je perds les pédales quand j’apprends les énormités et les faussetés qui se colportent sur moi. Si certains autoproclamés affidés des traditions me jugent sans m’entendre – alors que les coutumes recommandent de la sagesse, elles conseillent d’écouter les deux parties avant de trancher – je continue de croire que personne ne peut m’empêcher de m’exprimer, la liberté d’expression, j’en fais mon affaire : qui mieux que moi-même peut parler de mes expériences ?

Bien sûr, je suis une victime de la violence conjugale : la violence a dépassé le cadre familial, elle s’est étendue au cadre professionnel. On a carrément voulu saper ma vie ! Pire encore, ça continue, plus de trois ans après, ça continue. Y’en a marre !!! TROP C’EST TROP, et comme on dit au Québec, je suis tannée. Oui, j’en ai par-dessus la tête. Qu’est-ce que c’est que cette histoire de SOUMISSION ?

Quant à vous qui vivez des histoires similaires, gardez espoir, si mon témoignage peut vous rassurer : je pense qu’il faut à un moment donné agir selon notre bon vouloir, selon ce qui se présente à nous comme alternative. Après tout, loin de la parenté, on ne peut que se fier au système « D » et se confier à Dieu, comme le dit souvent ma mère.

Pour l’instant, malgré les obstacles qui se sont dressés sur mon parcours, je n’ai pas bougé d’un iota, mon intérêt pour la lutte contre la violence n’a pas changé, ma passion pour cette noble cause est restée entière. Toutefois, les souvenirs de « la tragédie de 2005 » sont horribles. Il y a fort à parier que j’y revienne.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 20 novembre 2008

Ghislaine Sathoud, écrivaine et militante


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=3143 -