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MLF : "Antoinette Fouque a un petit côté sectaire"
Entrevue avec Michelle Perrot par Laure Daussy

1er décembre 2008

INTERVIEW - L’historienne Michelle Perrot, spécialiste de l’histoire des femmes, critique l’appropriation du Mouvement de libération des femmes (MLF) par Antoinette Fouque, qui fête les 40 ans du mouvement ce mois-ci. Elle lui reconnaît un grand rôle, mais rappelle que le MLF est né de la confluence de plusieurs mouvements de femmes.



La féministe Antoinette Fouque fête actuellement les 40 ans du MLF, et se présente comme co-fondatrice du MLF. Qu’en est-il des débuts de ce mouvement ?

Le moment fondateur du MLF est, par convention, la manifestation sous l’Arc de triomphe, le 9 août 1970, où douze femmes déposent, de manière ironique, une gerbe à la femme du soldat inconnu. Ce n’est donc pas le 1er octobre 1968, comme l’explique Antoinette Fouque. Elle a effectivement créé un groupe féministe en 1968, de même que d’autres groupes se sont formés, comme « Féminin Masculin Avenir » créé par Anne Zelensky en 1967.

Mais c’est l’année 1970 qui est considérée comme le début du mouvement : c’est une année riche en mobilisations féministes, avec une prise de conscience plus large des revendications. Antoinette Fouque n’est donc pas à elle seule à l’origine du MLF. Le mouvement ne désigne pas, d’ailleurs, une organisation précise, mais un très grand nombre de mouvements, de réunions, de manifestations. Le MLF n’est pas figé, il est extrêmement fluctuant, c’est une de ses caractéristiques principales. C’était là un aspect très stimulant et très vivant. Certaines femmes étaient présentes à toutes les réunions, d’autres allaient et venaient au gré de leur intérêt.

Pourquoi, selon vous, Antoinette Fouque s’affirme-t-elle comme étant à l’origine du MLF ?

Elle a profité du fait que le mouvement des femmes n’a jamais su bien se structurer, s’organiser. D’ailleurs, en 1979, elle a déposé le sigle MLF en tant qu’association, sans demander leur avis aux autres militantes. Elle ne voulait pas que le mouvement soit oublié. Mais certaines lui en ont alors beaucoup voulu : le côté institutionnel ne correspondait pas à l’esprit du MLF. Surtout, cette action a été vécue comme une appropriation du mouvement par un seul groupe.

Je reconnais cependant à Antoinette Fouque une formidable personnalité, un grand engagement en faveur des femmes, des actions très intéressantes comme la création d’une Edition des Femmes. Mais son attitude s’apparente un peu à une personnalisation abusive du MLF. On risque alors d’oublier le rôle de toutes les autres militantes. En ce sens, elle a un petit côté sectaire.
Il se trouve qu’elle bénéficie d’une reconnaissance nationale et internationale. Le féminisme français risque alors d’être perçu à l’étranger comme étant uniquement celui d’Antoinette Fouque. Or elle n’incarne qu’une partie de la pensée féministe française, qui est beaucoup plus vaste.

Quelle est justement sa conception du féminisme ?

Elle ne se définissait pas comme féministe. Pour elle, c’était un concept à dépasser. Elle s’opposait à Simone de Beauvoir, qu’elle accusait de vouloir copier le modèle des hommes. Elle voulait créer quelque chose de radicalement différent, en s’appuyant sur la psychanalyse. Elle avait fondé d’ailleurs un groupe, qui s’appelait « Psy et po » (psychanalyse et politique). Son féminisme, dit « essentialiste », ou « différencialiste », insiste sur une « essence », une spécificité des femmes. Pour elle, il existe des valeurs intrinsèquement féminines, qui se fondent sur le fait de pouvoir donner la vie. Une capacité de création qu’elle étend par exemple à la création intellectuelle, à l’écriture féminine.

Beaucoup de femmes s’opposaient à cette conception. Les « féministes universalistes » ne voulaient pas que les femmes soient assignées à des différences, qu’elles soient vues en tant que mère uniquement. Pour ces femmes, les différences masculin/féminin sont surtout construites par la société. Ces pensées opposées se sont cependant un peu atténuées depuis.

Propos recueillis par Laure Daussy, Le Figaro, 09/10/2008.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 25 novembre 2008

P.S.

Autres lectures sur le même sujet :

  • "L’héritage féministe détourné", par Des femmes du Mouvement de libération des femmes (non déposé, ni « co-fondé »), ProChoix News, le 7 octobre 2008.
  • "Des femmes : Une histoire du MLF de 1968 à 2008", par Élaine Audet, Sisyphe, 1er décembre 2008.
  • "Le féminisme pour les nuls", par Caroline Fourest, Le Monde, 9 octobre 2008 et ProChoix News, le 10 octobre 2008.
  • Des lectrices en colère, l’Alliance des Femmes pour la Démocratie.
  • MLF : 1970, année zéro, par Françoise Picq, sociologue spécialiste de l’histoire du féminisme, Université Paris-Dauphine.
  • "Generation MLF 1968-2008", par Marina Geat, il Giornale Europeo, février 2009 (trad. française).


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