source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=3176 -



Quand la publicité encourage les comportements anorexiques

11 janvier 2009

par Stéphanie LeBlanc

Il y avait longtemps déjà que les publicités de nourriture exploitaient l’obsession du poids en insistant sur les termes "faible en gras", "faible en calories" ou "sans sucre". Cependant, on retrouve de plus en plus de publicités qui, en outre, valorisent des comportements qui rappellent ceux des personnes souffrant de troubles alimentaires, en particulier l’anorexie. D’ailleurs, la totalité de ces publicités mettent en scène des femmes.

Dans une publicité de grignotines diffusée ces temps-ci au Québec, une jeune femme assise sur un banc, un sachet de grignotines à la main, note dans sa tête tout qu’elle a fait dans la journée pour vérifier si elle peut se permettre de manger le contenu du sachet. "Ce matin j’ai promené le chien mais oh, j’ai pris ma voiture" ou je ne sais quoi. La récapitulation terminée, elle conclut qu’elle peut manger les grignotines en question et que, de toute façon, ça "ne contient que telle quantité de calories par portion de 14 gr !" 

Beaucoup de personnes souffrant d’anorexie réfléchissent ainsi à ce qu’elles ont le "droit" de manger, ou se disent carrément : "J’ai mangé une cuisse de poulet, je dois faire une heure de vélo" ou "J’ai mangé deux tranches de pain, je dois faire deux heures de jogging"... Elles parlent fréquemment d’un aliment en terme de calories, comme si l’aliment en lui-même cessait d’être un aliment, pour devenir une formule chimique.

Dans une publicité de céréales Spécial K, diffusée il y a peu, deux collègues de travail, une femme et un homme, offrent à une troisième collègue, des muffins et autres pâtisseries. Celle-ci refuse et la première femme s’exclame avec admiration : "Eh ! que t’es forte !" L’autre dit : "J’ai juste pas faim". Voilà bien la seule force que l’on accepte de reconnaître chez les femmes : oubliez le sport, l’autodéfence ou la lutte pour vos droits ! Vous voulez qu’on vous trouve fortes ? Ne mangez que ce qui ne fait pas engraisser !

Dans une autre publicité de grignotines particulièrement consternante, une femme en train de relaxer dans sa cour s’apprête à manger les siennes lorsque surgit soudain devant elle un super-héros nommé J-Résiste (!!!), apparemment venu pour l’aider à résister à la nourriture... Elle l’informe que son sachet de grignotines ne contient que telle quantité de calories, avec l’air de dire : "J’ai le droit de les manger !" Le héros prend une mine déconfite, alors, pour le consoler, la dame lui dit : "Mais j’ai un mariage bientôt, il y aura sûrement du gâteau". Tout ragaillardi, J-Résiste repart joyeusement ! Cette publicité infantilise les femmes en les réprimandant de manger de la méchante-nourriture-sucrée et en leur disant qu’elles doivent être guidées pour savoir ce qui est "bon" pour elles !

Il y a de plus en plus de publicités ou on parle de l’aliment uniquement en terme de calories, de gras, de sucre, de vitamines ou d’éléments minéraux, comme les publicités de yogourt aux pré (ou pro) biotiques ou encore aux Oméga-3. On ne mange plus pour se nourrir, encore moins par plaisir, mais pour maigrir, devenir plus intelligent, vivre vieux ou améliorer sa régularité... On parle de l’aliment comme d’un médicament. Encore heureux quand on mentionne le goût ! Les publicités de malbouffe sont pratiquement les seules à mettre l’accent sur le plaisir de manger, sur les saveurs, sur le côté convivial. Pas surprenant que tant de jeunes boudent la nourriture saine ! Manger sainement est perçu comme une corvée triste à mourir et non comme un plaisir !

Ces publicités ne peuvent qu’induire un rapport malsain à la nourriture et contribuer à augmenter les troubles alimentaires, qui frappent d’ailleurs de plus en plus jeune. Une publicité de gruau (on y voit une femme littéralement enchaînée à son pèse-personne !) prétend nous débarrasser de notre obsession du poids. Le nom du produit ? Poids contrôle !!! De qui se moque-t-on ? Il est difficile pour un adulte de résister à tout ce conditionnement, imaginez pour un enfant qui doit prendre son petit déjeuner avec la boîte dans son champ de vision ! Au rythme où vont les choses, on verra bientôt des enfants de cinq ans demander si tel aliment fait engraisser ou combien il comporte de calories ! 

Il nous faut réagir ! Privilégions les produits dont les publicités ne sont pas culpabilisantes et n’hésitons pas à écrire aux compagnies dont les publicités nous choquent. Les publicités prétendront toujours refléter la réalité, montrons-leur que nous sommes autre chose que des consommatrices obsédées par leur poids !

Il faut protéger les jeunes de cette obsession nutritionnelle et faire attention de ne pas leur transmettre nos propres insécurités. Il est important de leur apprendre de bonnes habitudes alimentaires qui n’excluent pas le plaisir de manger ! Informons-nous au sujet des troubles alimentaires afin de les reconnaître.

  • Site de L’Association québécoise d’aide aux personnes souffrant d’anorexie nerveuse et de boulimie.

    Mis en ligne sur Sisyphe, le 5 janvier 2009

    Stéphanie LeBlanc


    Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=3176 -