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Un premier recueil de haïkus par des femmes francophones

29 janvier 2009

par Élaine Audet

Pour fêter son cinquième anniversaire, l’Association française de haïkus a choisi de publier, pour la première fois, un recueil de haïkus écrits par des femmes de la francophonie, Regards de femmes. Les auteures vivent sur quatre continents, dont la moitié au Québec. Le haïku a été créé au XVIIe siècle par le poète japonais Bashô qui le définit comme "simplement ce qui arrive en tel lieu, à tel moment". Sa forme classique est très réglementée. Il doit comprendre 17 syllabes (5-7-5), ou dans sa version moderne un vers court-un vers long-un vers court sans compter les pieds, une référence à la saison (kigo) ou à un moment de la journée (petit kigo), faire mention d’un lieu spécifique et contenir une coupure dans le texte (kireji), donnant ainsi deux mouvements, deux images. Ces courts poèmes visent à saisir l’instant, à s’adresser aux sens plutôt qu’à l’intellect et privilégient la nature. Ils n’en portent pas moins une forte charge philosophique, nous invitant à nous arrêter et à intérioriser dans un souffle profond la plus infime parcelle de vie qui passe.

Janick Belleau, une haïkiste québécoise, a dirigé ce recueil et rédigé l’excellente étude sur le haïku et les femmes francophones qui tient lieu de préface. Six encres de Chantal Peresan-Roudil et de Catherine Belkkodja illustrent les poèmes. Ce livre est une nouveauté à plus d’un titre puisque, jusqu’à tout récemment, des hommes surtout ont pratiqué cette forme de poésie. J. Belleau montre comment le haïku, où le "je" ne devrait pas figurer, constitue une ouverture sur l’androgynie. Elle cite Virginia Woolf : "C’est quand cette fusion (des parts féminine et masculine d’une personne) a lieu que l’esprit est pleinement fertilisé et peut faire usage de toutes ses facultés."

Les auteures qui ont soumis des poèmes devaient traiter deux des thèmes imposés – l’amitié, les générations, les passages de la vie, la société, la planète – avant de proposer un thème de leur choix. Voici quelques haïkus que j’ai choisis parmi les 283 qui composent ce recueil.

dans la baie vitrée
le soleil dans l’océan
je mange une orange
Séverine Denis

fraîcheur des étoiles
les horloges de la vie
entrouvent les ruines
Chantal Viart

bougies entre elles
les grandes ombres de la soirée
s’illuminent
Micheline Beaudry

bruit de neige et d’encre
frôlement d’âmes et d’ailes
deux papillons s’aiment
Clochelune

à l’horizon
le chemin tombe dans l’eau
peur d’enfant
Monique Lévesque

devant la glace
se retourner vite
la vie devant soi
Christine Dumond-Fillon

sur un banc de parc
une femme au sein nu
plein de lait
Lyne Richard

perle oubliée
dans un dé à coudre
au grenier de l’enfance
Nora Attala

dans le bidonville
des toits de tôle
et des nerfs d’acier
Carole Morelli

le regard d’une femme
flambe en braises silencieuses
derrière sa burqa
Lise Gaboury-Diallo

pleine lune
un mirage sur l’étang
un aveugle fixe le ciel
Nicole Gagné

Pour en savoir plus, on peut consulter la bibliographie bien documentée de Janick Belleau. Un livre à lire, comme une goutte de fraîcheur, un instant de cohérence cardiaque, un éclat de beauté, dans la course frénétique contre la montre qui caractérise notre époque.

Janick Belleau (dir.)
Regards de femmes
Haïkus francophones
Éditions Adage, 2008

Mis en ligne sur Sisyphe, le 22 janvier 2009

Élaine Audet


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