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Le féminisme québécois raconté à Camille

7 mars 2009

par Micheline Dumont, historienne et professeure émérite, Université de Sherbrooke

Les éditions du remue-ménage ont publié, à l’automne 2008, le dernier ouvrage de Micheline Dumont Le féminisme québécois raconté à Camille. Camille est sa petite-fille de 16 ans qui a lu le texte au moment de la rédaction. Ce récit vulgarisé de l’histoire du féminisme québécois est destiné aux jeunes filles bien sûr, éventuellement aux jeunes gens qui auraient la volonté de s’informer (pourquoi ne pas rêver ?) ainsi qu’à toutes les femmes qui travaillent présentement dans les groupes de femmes et qui auraient bien besoin d’un cours de Féminisme 101. Le livre s’ouvre sur un Prologue qui décrit la situation des jeunes filles de 17 ans à la fin du XIXe siècle. Il s’interrompt en 1940 pour un Intermède qui décrit la situation des jeunes filles de 17 ans en 1940. Il se termine par un épilogue qui s’adresse aux jeunes filles d’aujourd’hui. Avec l’accord des éditions du remue-ménage, voici le texte de cet épilogue.



Elles s’appellent Catherine, Stéphanie, Jessica, Audrey, Alexandra, Émilie, Vanessa, Mélanie, Sabrina. Elles ont 17 ans. Souvent, leurs parents ne se sont pas mariés et sont aujourd’hui séparés.

Plusieurs n’ont pas été baptisées. Elles sont presque toutes allées à la garderie. Elles se préparent à entrer au cégep, et plusieurs ont l’intention de poursuivre des études universitaires. Leurs ambitions professionnelles sont multiples : rien ne leur est interdit. Bientôt elles vont vivre en couple sans pour autant se marier, et elles auront sans doute un enfant ou deux, plus tard, après leurs études. Elles ont rapidement expérimenté la sexualité, elles sont cool.

Elles sont nées au moment où les Québécoises célébraient le 50e anniversaire du droit de vote. Elles avaient cinq ans au moment de la marche Du pain et des roses, dix ans au moment de la Marche mondiale de femmes en l’an 2000. Il leur semble que les filles ont toujours étudié, comme il y a toujours eu des ordinateurs, des iPods, des DVD, des cellulaires.

Les jeunes femmes du XXIe siècle ont le vent dans les voiles. Elles réussissent à l’école, au collège, à l’université. Sauront-elles transformer ces succès en égalité avec les hommes dans tous les domaines ?

Ne peuvent-elles pas choisir de faire les études de leur choix ? Ne peuvent-elles pas s’orienter vers le métier qui leur plaira ? Ne peuvent-elles pas s’engager en politique ? Ne sont-elles pas libérées de la surveillance étroite qui les limitait dans l’expression de leur sexualité ?

Toutefois, les victoires du féminisme sont fragiles. Les succès scolaires des filles dérangent les autorités. Depuis qu’elles sont majoritaires en médecine, on songe à établir des règles favorisant l’admission des garçons.

Les salaires des femmes sont toujours inférieurs à ceux des hommes et on accuse encore les travailleuses de voler les emplois des hommes. Le monde de l’emploi ne s’est nullement adapté au fait que, désormais, les mères de jeunes enfants sont au travail. Les places en garderies ne sont pas assez nombreuses. Les responsabilités domestiques et familiales demeurent encore essentiellement, en dépit de quelques reportages émus sur les nouveaux papas, la responsabilité des femmes.

Le choix des femmes de pouvoir contrôler leur fécondité est continuellement menacé et il n’est pas disponible dans toutes les régions. En ce moment même, en 2008, des députés ont entrepris des démarches pour recriminaliser l’avortement.

Le culte de la beauté à tout prix continue de faire des ravages auprès des femmes. On les a même persuadées que c’est « pour elles » qu’elles se plient à ces régimes, ces chirurgies, ces implants mammaires, ces contraintes vestimentaires. Les jeunes filles et même les fillettes ne se trouvent pas belles.

Trop de femmes vivent encore des situations de violence : les maisons d’hébergement ne suffisent pas à la tâche.

Trop de femmes se heurtent encore au plafond de verre, obstacle invisible qui empêche plusieurs femmes qui le désirent de participer au pouvoir.

Trop d’hommes sont encore réticents à perdre leurs anciens privilèges.

Trop d’hommes déforment les paroles des féministes dans les médias qu’ils continuent de contrôler. Incapables de la tolérer, ils ont fabriqué l’image de la féministe exacerbée et frustrée. Et malheureusement, trop de femmes ont accepté le miroir déformant.

Depuis une décennie, ceux qu’on appelle les masculinistes ont lancé un discours haineux dont le seul objectif est de s’opposer au féminisme, sous couvert de défendre les hommes.

L’écrivaine Anne-Marie Sicotte confie, en prélude à sa remarquable biographie de Marie Gérin-Lajoie :

    Je me croyais plus ou moins féministe. Je ne pouvais m’empêcher de ressentir un insidieux sentiment de gêne à m’avouer féministe, un sentiment qui anticipait ce que les hommes pourraient en penser, la manière dont ils allaient me juger, me catégoriser... Maintenant, en songeant aux femmes d’il y a un siècle, et particulièrement à Marie Gérin-Lajoie, je serai solidaire des femmes d’aujourd’hui et je prendrai au sérieux le travail qu’il reste à faire pour qu’elles et moi devenions vraiment libres.

La rédactrice publicitaire Annie Melançon écrit, en 2008, au début d’un cahier spécial consacré au mouvement des femmes en Estrie :

    Écrire sur le féminisme, ça ne m’était jamais arrivé en vingt ans de carrière. Comme plusieurs, je réalisais peu les impacts des combats de milliers de femmes — appuyées par des hommes — dans ma vie de tous les jours. Vous irez comme moi de surprise en surprise. D’abord de constater que les féministes n’ont rien d’« enragées », que leurs actions répondent vraiment à un besoin pour toute la société. Et que même si beaucoup a été fait, il y a plusieurs gestes à poser pour que toutes aient leur place au soleil. Féministe moi ? Oui, et fière de l’être !

Camille, Catherine, Stéphanie, Jessica, Audrey, Alexandra, Émilie, Vanessa, Mélanie, Sabrina, je souhaite vivement qu’en lisant ce récit, qu’en découvrant cette histoire, vous réagissiez comme Anne-Marie et Annie. J’espère vous convaincre de l’importance de la lutte féministe et je souhaite que cette lecture dissipe toutes les appréhensions associées à cette lutte. Je vous invite à venir rejoindre les rangs de toutes celles qui veulent améliorer la vie pour les femmes ET les hommes. Les bonnes vieilles méthodes de vos arrière-grand-mères sont périmées, et celle de vos mères aussi. D’accord. C’est à vous d’en inventer de nouvelles. Avec un peu de curiosité, vous découvrirez que vous n’êtes pas les seules et que des événements se préparent pour les jeunes Québécoises du XXIe siècle.

Micheline Dumont, Le féminisme québécois raconté à Camille, éditions du remue-ménage, Montréal, 2008.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 4 mars 2009

Micheline Dumont, historienne et professeure émérite, Université de Sherbrooke


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