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Les droits des femmes, une histoire de cœur

5 mars 2009

par Ghislaine Sathoud, écrivaine et militante

Je suis née au Congo-Brazzaville, où j’ai passé une partie de ma vie. Là-bas, comme partout dans le monde, les femmes s’organisent pour enrayer les discriminations sexistes.

On peut dire que toutes les conditions étaient réunies pour enrôler de nouvelles recrues dans les rangs des militantes qui formaient une armée spéciale en menant inlassablement un colossal travail de sensibilisation pour améliorer le sort des femmes. Et Dieu sait combien la tâche était lourde. Le défi demeure d’actualité car la question de la lutte contre la violence à l’égard des femmes, qui suscite bien des remous dans nos contrées, est bel et bien un défi planétaire.

Il faut rajouter que la cœxistence du droit coutumier et du droit civil, dans ce pays, est défavorable à l’émancipation des femmes. Conséquemment, les femmes se retrouvent souvent dans une situation inégalitaire par rapport aux hommes. Les coutumes excluent et punissent les femmes, au grand dam des militantes pour les droits humains : voilà pourquoi depuis des lustres elles exigent, à leurs risques et périls, de bannir les traditions rétrogrades. Le ciel s’est-il pour autant éclairci ? C’est une autre histoire…

En principe, les femmes devraient bénéficier de la protection, mais entre la théorie et la pratique, il y a un large fossé, un fossé savamment entretenu par des coutumes millénaires qui, elles, accordent malheureusement un statut peu enviable aux femmes. Des interdits alimentaires en passant par les rites du veuvage, sans oublier la question de la dot, les mécanismes établis par les coutumes briment les femmes. Bien évidemment, le droit coutumier blâme sévèrement les femmes qui réclament l’application du droit civil.

Paradoxalement, si les injustices subies par les femmes sont révoltantes, – et plusieurs pratiques ancestrales sont dépourvues de bon sens, n’ayons pas peur des mots – , ces iniquités ont joué un rôle crucial dans la stimulation de la fibre militante. Autrement dit, plus l’exclusion des femmes prenait une ampleur démesurée dans les mœurs, plus cet inconfort devenait un outil de vulgarisation, voire un outil de conscientisation du combat des femmes au Congo-Brazzaville.

Du coup, les femmes étaient davantage conscientes des discriminations et des clichés sexistes. Cette prise de conscience, en plus de réveiller les passions, les incitait à réfléchir pour tenter de trouver des méthodes efficaces à inscrire dans le registre de la correction des inégalités. Bref, j’ai donc chopé le très controversé virus de la « rébellion ». En toute objectivité, il était difficile d’y échapper d’autant plus que la situation chaotique des femmes aiguisait l’appétit, donnait du tonus au militantisme.

Par ailleurs, à l’intérieur même de ma cellule familiale, je décelais des prédispositions naturelles pour entreprendre la défense des droits des femmes, pour rejoindre les rangs des rebelles. Alors, dans cet environnement très stimulant, favorable à l’émancipation des femmes, je n’avais aucun mal à afficher fièrement mes convictions les plus profondes. Je pouvais clairement exprimer mon ambition de dénoncer la marginalisation dont était victime la population féminine. Et, de surcroît, les femmes représentent la majorité de la population congolaise. Il m’apparaissait inacceptable et indécent que la majorité de la population de mon pays ait été désavouée pour des considérations machistes. Et je dois avouer que je suis toujours stupéfaite : d’aucuns veulent reproduire ces habitudes au-delà des frontières nationales…

Or, on ne peut pas se résigner indéfiniment face aux injustices sociales. Inévitablement la révolte éclate, d’où les perpétuels conflits entre ceux qui prétendent défendre les traditions – le plus souvent pour des intérêts personnels – et nous qui pensons que tout être humain a le droit d’être traité avec humanité et respect. N’en déplaise à certains, les femmes souhaitent éradiquer les stéréotypes et corriger les inégalités : naguère ce combat fut mené habilement. En jetant un regard sur la condition des femmes, tout porte à croire que, de nos jours, il reste encore un long chemin à parcourir.

En ce qui me concerne, du plus loin que je me souvienne, l’émancipation de la femme a toujours été mon cheval de bataille. Du plus loin que je me souvienne, mon père me répétait inlassablement que je pouvais, au même titre que les garçons, m’appliquer dans ma scolarité pour préparer mon autonomie. Et l’acquisition de l’autonomie, il y tenait comme à la prunelle de ses yeux !

Donc, à la maison, je me sentais en milieu « autorisé ». J’avais la permission d’exprimer mes opinions, même s’il s’agissait de revendications féministes. C’était génial !

D’ailleurs, je me demande si mon père lui-même n’était pas un défenseur des droits des femmes. Par exemple, ma culture d’origine interdit certains aliments aux femmes. Néanmoins, à propos de ces interdits, c’est mon père qui encourageait ses filles à prendre toutes les mesures nécessaires pour que ces coutumes n’affectent d’aucune manière leurs désirs alimentaires. Et pour lier le geste à la parole, notre protecteur allait même plus loin : à maintes reprises, – sur recommandation du maître de la maison bien sûr ! – ces fameux aliments interdits étaient proposés à table.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, un homme a contribué à faire de moi une féministe : mon père. Et ce soutien indéfectible a réellement façonné mon désir de militer pour l’émancipation de la femme.

Ce qui m’enchantait réellement, c’était la force de caractère des femmes dans mon pays. Il était bien évident qu’elles voulaient coûte que coûte sortir de l’emprise de la marginalisation.

Je me souviens aussi de mon admiration pour quelques femmes de ma famille, une profonde admiration qui ne pouvait qu’accroître davantage ma volonté de participer aux luttes féministes. Ces trois femmes exceptionnelles – mon arrière-grand-mère, ma grand-mère et ma mère – sont à mes yeux des figures emblématiques du combat des femmes. À travers leurs actes, elles s’efforçaient de donner une image valorisante d’elles-mêmes. Et par ricochet, j’élargissais cette représentation positive à d’autres personnes, à toutes les femmes.

Il est important de mentionner que ni pour mes « guides », ni pour moi-même, il n’a jamais été question de féminisme : nos actions concordantes visaient à faire voler en éclats les préjugés dévalorisants attribués au sexe féminin. Peut-on dire que c’est du féminisme ? Qu’est-ce qu’être féministe ? Bon, c’est une question de terminologie. Personnellement, j’inscris dans le registre des victoires féministes tous les actes en faveur des droits des femmes. Féministe convaincue ou pas, l’essentiel est d’apporter une contribution, aussi minime soit-elle, pour améliorer la condition des femmes, ne serait-ce que pour démentir simplement certains préjugés.

Au fond, il s’agit de s’engager à changer le monde pour changer la vie des femmes, et de changer la vie des femmes pour changer le monde. Nous vivons dans un monde où des stéréotypes irrationnels influencent nos habitudes. Nous apprenons toutes sortes de balivernes : par exemple, tel individu ne devrait pas s’impliquer dans des activités qui seraient l’apanage de l’autre sexe. Mais, dans toute cette affaire, ce sont surtout les femmes qui sont exclues.

Aussi, les militantes pour la cause des femmes, notamment celles qui ne veulent pas se lancer dans des polémiques interminables, trouvent des « mots doux », choisissent des méthodes déguisées pour exprimer leurs opinions. Tantôt toléré, tantôt lapidé, le combat des femmes apparaît souvent – à tort, disons-le clairement – comme une démarche révolutionnaire et anarchique visant à bouleverser l’ordre social. Les débats sur cette question sont musclés. Il y a ceux qui soutiennent que l’émancipation de la femme doit se faire dans le respect d’un canevas précis, en réalité cette vision fort restrictive et même rétrograde accorde de la crédibilité à ceux qui font des femmes d’éternelles mineures, et ce, sur tous les plans.

Tout compte fait, bien que ma mère n’ait jamais prononcé le mot féminisme pour décrire ses actes, je la considère comme une fervente militante des droits des femmes. Quant à ma grand-mère, qui est pourtant d’une autre génération, elle comprend mes penchants féministes. Concernant mes autres instructeurs, ceux qui ne sont plus de ce monde, mon père et mon arrière-grand-mère, paix à leurs âmes…

Pour le reste, je suis une militante féministe qui s’engage passionnément sur plusieurs fronts.

Actuellement, je vis une merveilleuse histoire, je travaille pour la Fédération des femmes au Québec, une organisation féministe qui, entre autres, favorise le développement de la pleine autonomie des femmes. Développement de l’autonomie des femmes ? La mission de cette organisation ressuscite de réjouissants souvenirs ! Oui, j’ai déjà entendu parler des effets positifs du développement de l’autonomie de la femme, on me bombardait continuellement ce message. En tout cas, le concept n’est pas nouveau. Naturellement, cette expérience est un formidable atout qui me donnera de précieux outils pour poursuivre mon cheminement féministe.

Décidément, les droits des femmes et moi, c’est vraiment une histoire de cœur !

Mis en ligne sur Sisyphe, le 4 mars 2009

Ghislaine Sathoud, écrivaine et militante


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