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Glissement vers la futilité à Radio-Canada

18 mars 2009

par Micheline Carrier

Le Père Fernand Lindsay, un homme exceptionnel qui a apporté une contribution considérable à la culture québécoise, est mort mardi soir à Montréal. Mais le lendemain, le Téléjournal de 18h à Radio-Canada ouvrait avec une manchette de 6 minutes sur un point de presse de Guy Carbonneau, du club de hockey les Canadiens de Montréal. Une manchette qui précédait même une nouvelle sur le budget que la ministre des Finances présentera le lendemain, jeudi, à l’Assemblée nationale du Québec.

Un peu plus tard dans l’émission, à peu près la même portion de temps était consacrée à la même vedette du sport, sans compter les autres minutes que lui a accordées la section Sport, à 18h56. Quand Guy Carbonneau avait été congédié, le Téléjournal avait aussi présenté une longue manchette ainsi que des entrevues sur l’événement. Tout le monde le fait, faisons-le donc. C’est dire à quel point Radio-Canada considère importante la personne de M. Carbonneau pour la vie collective du Québec... On n’a parlé de la mort du Père Lindsay que bien plus tard dans l’émission. Après tout, cet homme n’a fait que doter le Québec d’un Festival international de musique (Lanaudière) et l’administrer avec des moyens modestes…

L’information à Radio-Canada progresse sans cesse dans la voie du divertissement et de la facilité.

Mardi, un groupe de travail a rendu public un rapport sur le décrochage scolaire au Québec, sujet que l’animateur du Téléjournal de Radio-Canada a qualifié de très important. Pourtant, il a fait une entrevue d’environ quatre minutes avec Jacques Ménard, le porte-parole de ce groupe de recherche sur la persévérance et la réussite scolaires. C’est à peu près le même temps, sinon moins, que le temps consacré au 30e anniversaire de la pièce "Broue" par le chroniqueur culturel de l’émission. M. Ménard n’a même pas pu terminer sa réponse à une question qui lui était posée sur les moyens d’agir contre le décrochage, l’animateur a déclaré qu’il ne restait plus de temps. (Ceci dit, je sais que ce n’est pas l’animateur qui détermine le temps à consacrer à tel et tel sujet.) Je pensais en apprendre davantage au Téléjournal de 22h, mais non : on a rediffusé le même court reportage qui ne disait rien des moyens de contrer le décrochage.

M. Ménard disait justement qu’il fallait valoriser l’école et la connaissance, donner aux jeunes le goût d’apprendre. Radio-Canada pourrait s’inspirer de ce message et faire sa part en ce domaine. Qu’avons-nous à faire des états d’âme d’une vedette de hockey et d’un groupe d’hommes qui célèbre la bière et la futilité depuis 30 ans ? Quel message la Société Radio-Canada veut-elle donc nous transmettre ? Veut-elle nous dire que l’information sérieuse, la culture et l’éducation ne sont plus ses priorités ? On le devine depuis quelque temps, figurez-vous. Ce qui semble l’intéresser, désormais, c’est l’information divertissement, qui met à l’affiche les gens riches et célèbres, les puissants et les escrocs de ce monde.

Au moment où l’idéologue entêté qui sévit à la direction du pays ampute le budget de Radio-Canada, est-ce le moment pour la société d’État de faire la démonstration qu’elle ne mérite pas le soutien de son auditoire ?

Jusqu’où les pauvres enrichissent-ils les riches ?

Si Radio-Canada manque de sujets à aborder, nous pouvons lui en suggérer. Commençons d’abord par lui demander d’assurer une couverture journalistique complète et honnête des crises financière et économique qui touchent toute la population, non seulement les banquiers, les directeurs d’entreprises, les milieux de la spéculation et du placement dont on nous rabat les oreilles depuis des mois. Oui, il est triste que des gens perdent leurs économies et leurs maisons à cause de la spéculation dans laquelle les a entraînés un système économique auquel ils ont cru aveuglément. Il est triste que des personnes qu’on a poussées pendant des décennies à dépenser à crédit se voient acculées à la faillite.

Mais qui se soucie des citoyens et des citoyennes qui n’ont pu perdre économies ni maisons tout simplement parce qu’ils n’ont jamais eu les moyens d’économiser ni de posséder une propriété ? Qui se soucie des petits salariés qui perdent leurs emplois et qui n’auront pas droit à des prestations de chômage, même si elles et ils ont payées des cotisations depuis des années ? Ce sont plus de 40% des personnes salariées, et parmi eux une majorité de femmes, selon Statistique Canada. Pour eux, les gouvernements ne puisent pas dans les fonds publics. Ne nous leurrons pas : certains profitent grandement des crises.

Voilà un beau sujet sur lequel enquêter : Comment la crise financière à l’origine de la crise économique appauvrit-elle les pauvres ? Jusqu’où les plus pauvres enrichissent-ils les plus riches ?

Ce sujet est certes moins excitant que de parler jour après jour de la valse des millions et des milliards qui sortent des fonds publics pour voler au secours des mauvais gestionnaires, des tricheurs et des voleurs, mais il conviendrait tout à fait au mandat d’une émission d’information. Le mandat de l’information à Radio-Canada - ou d’autres chaînes de télévision et de radio ou de journaux - ne devrait pas être de divertir le bon peuple pour le détourner de ses problèmes et des problèmes de la société, mais de l’informer et de susciter chez lui le sens critique face aux entourloupettes et manipulations qu’on lui inflige.

Cela relève sans doute de l’utopie. De moins en moins de médias au Québec semblent poursuivre pareils objectifs. On blogue à qui mieux mieux, on cause, on parle de ce que tout le monde parle, mais on informe peu sur ce que les milieux politiques et financiers veulent taire.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 18 mars 2009

Micheline Carrier


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