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Misogynie et géopolitique

6 avril 2009

par François Brousseau, Le Devoir

Les leaders occidentaux réunis à Strasbourg, au sommet de l’OTAN, pour discuter Afghanistan et Pakistan, ont-ils pu entendre les cris déchirants de cette jeune fille flagellée par des intégristes pakistanais ? Une mineure torturée, dans une scène bien sonorisée que YouTube nous donne à voir et à revoir, alors que la malheureuse reçoit 34 coups de fouet pour avoir commis - on ne sait trop - le crime de s’être refusée à un mariage forcé ou d’avoir simplement osé sortir seule dans la rue...

Détail intéressant : cette scène se déroulait dans la vallée de Swat, au nord du Pakistan. Précisément dans cette région où les autorités centrales, en février dernier - à la suite d’une négociation en bonne et due forme -, ont abandonné tous leurs pouvoirs aux groupes islamistes locaux qu’ils combattaient jusqu’alors.

Le résultat de cet armistice avec un pouvoir local « taliban » ou apparenté ? Oui, mesdames : la paix, la fin des combats ! Et une paix réelle : la vallée de Swat n’est plus le théâtre d’actes terroristes et d’affrontements incessants entre armée et militants islamistes... alors que la violence ne cesse de croître ailleurs au Pakistan.

Mais cette « paix » est une paix des cimetières, parce que les droits et libertés - en particulier ceux des femmes - sont sacrifiés sur l’autel d’une accalmie « géopolitique »... par ailleurs souhaitée par beaucoup, beaucoup de monde.

Écho de cette triste histoire, de la même farine puisque l’on reste dans cette région du monde, et sur le même registre de la misogynie politique... cette loi de Kaboul, autorisant le « viol légalisé » et la subordination totale des femmes chiites d’Afghanistan, et qui a fait grand scandale au Canada.

« Comment ? C’est pour laisser faire ça que nous versons notre sang et dépensons des milliards dans ce pays ? » Et tous en choeur à Ottawa, de se frapper le coeur d’indignation...

À retardement, ce scandale a eu des échos (réduits) au sommet de l’OTAN et dans la presse européenne. Barack Obama lui-même s’est fait poser une question là-dessus. Et sa réponse était instructive : « Cette loi est abominable, et nous ferons ce que nous pourrons pour favoriser la démocratie et la liberté en Afghanistan. Mais nous ne devons pas oublier pourquoi nous sommes là-bas. Nous y sommes, d’abord et avant tout, pour faire la guerre à al-Qaïda. »

***

Le discours sur la démocratie, et plus spécifiquement, sur les droits des femmes en Afghanistan, avait rapidement émergé, après l’intervention d’octobre 2001, comme l’une des justifications rhétoriques - a posteriori - de cette invasion militaire...

Mais seuls les naïfs peuvent croire que les Américains sont intervenus en Afghanistan pour venir en aide aux femmes opprimées. Ils y sont allés pour faire tomber le régime qui avait abrité les terroristes du 11-Septembre... puis pour faire la chasse active aux responsables d’al-Qaïda.

Alors, qu’une Laura Bush - l’ex-First Lady - ou une Michaëlle Jean, et beaucoup d’autres souvent très sincères, s’étranglent d’émotion en parlant des fillettes qui ont retrouvé le droit d’aller à l’école après la chute des talibans... ne doit pas faire oublier que ce n’était pas ça, le motif de l’intervention. Et ça ne l’est toujours pas aujourd’hui, y compris sous le bon Obama...

Il y a aussi, dans toute cette affaire, une distinction essentielle, rarement évoquée : la plupart du temps, les intégristes musulmans - y compris les plus rétrogrades - ne sont pas des partisans du djihad ou d’al-Qaïda. Fondamentaliste ne veut pas dire terroriste.

Or, ce qui se profile à l’horizon, c’est un processus selon lequel on tentera d’acheter la paix avec ces gens, en les laissant appliquer leur pouvoir comme ils l’entendent... à condition qu’ils ne combattent plus l’Occident aux côtés d’al-Qaïda - si tant est qu’ils l’aient jamais fait.

C’est ce qui s’est passé en février dans la vallée de Swat. Et c’est aussi un peu ce que voulait faire Karzaï avec les droits des femmes chiites de son pays. Résumé de façon cynique, cela donne à peu près ceci : « Nous vous laissons opprimer vos femmes comme vous le voulez... mais, en échange, vous n’envoyez plus d’avions contre le World Trade Center. OK ? »

Et dans ce grand marchandage, le cri des filles que l’on flagelle ne nous parviendra plus.

Source : Le Devoir, le 6 avril 2009.

François Brousseau est chroniqueur d’information internationale à Radio-Canada. On peut l’entendre tous les jours à l’émission Désautels à la Première Chaîne radio et lire ses carnets sur le site de Radio-Canada.

François Brousseau, Le Devoir


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