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Invasion du sexisme dans un lycée public

17 avril 2009

par Hubert Camus, lycéen

Fatigué d’entendre des chansons sexistes diffusées au lycée où il étudie, un jeune homme de 18 ans proteste auprès de la direction de l’établissement. Dans le texte ci-dessous, il explique sa démarche et son engagement contre le sexisme. Nous invitons les jeunes, filles et garçons, à dénoncer à leur tour le sexisme qu’elles/ils découvrent dans leur milieu et de nous proposer un article sur le sujet (maximum 1500 mots). Vous pouvez aussi vous exprimer dans le forum "Commenter cet article" en bas de cette page.



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De nos jours, de nombreuses images sexistes patriarcales nous entourent. Malheureusement, il faut entendre le sens d’image au sens large. Ainsi, on peut en trouver dans tout ce que l’on appelle « l’art » : au cinéma, dans la publicité, la photographie, la littérature, et caetera, et caetera. Mais également dans la chanson. Ainsi, William Baldé chante ce refrain : « Ma main sur ton petit cul, cherche le chemin ». Je vous invite à trouver le texte complet de la chanson « Un rayon de soleil » sur Internet. Le chemin de quoi ? De l’ignominie. De l’impérialisme et de la domination masculine. De la « femme-objet ». La femme, réifiée, n’aurait aucun droit de parole. Juste celui de se faire toucher les fesses. Cette chanson fut en tête des ventes de l’été dernier. Quoi de plus agréable d’être à la plage, siroter quelque boisson avec des copains, écouter ce refrain entraînant et partir en quête d’un « petit cul » ? Nul doute que cette chanson engendra quelque dispute de bord de plage, entre un impétueux et une jeune femme libre. Mais l’histoire de cette chanson ne s’arrête pas là.

Je suis lycéen, à Paris. Dans la cantine de mon établissement scolaire, nous avons droit à de la musique. Souvent, des chanteuses étasuniennes peu vêtues dans leurs clips et dans la vie, se vantant de n’être qu’objets sexuels soumis aux ordres du mâle et qui influent les choix vestimentaires des jeunes, et même l’image de la femme dans la société. En ce moment, la fâcheuse et redondante habitude de diffuser « Un rayon de soleil ». Une seule diffusion serait déjà une honte en soi, à cause des paroles. Ainsi, on dérègle jusque nos inconscients, encore tout malléables. Quand nous déjeunons, nous discutons et ne faisons pas attention à la musique. Mais petit à petit, et à force de l’ouïr, l’air nous revient en tête et on le fredonne involontairement dans la cour... « ma main sur ton petit cul... ». Tiens, et pourquoi ne le ferais-je pas ? C’est diffusé dans un lycée public, ce doit être bien. Ces paroles remontent à notre conscience. Et derrière les mots, il y a des gestes, des actes, des pensées. Des pensées, des actes, des gestes, qui seront progressivement nôtres. Un sexisme et un irrespect de la femme, un joug patriarcal qu’on ne peut remettre en cause, qui seront progressivement nôtres, futurs hommes et femmes que nous sommes. Certes, tout le grief n’en incombe pas à cette chanson. Mais c’est une pierre d’un édifice qui ne devrait même pas exister. Si on ne peut pas lui faire porter toute la coulpe, on ne peut pas non plus la laisser passer.

On pourra dire que ma manière de défendre le féminisme est bien vaine et faible, mais je me considère comme un « féministe du quotidien ». Le féminisme a apporté et apporte encore aux femmes des parcelles de la liberté qu’elles méritent autant, et également, que les hommes. Mais s’il faut attaquer la maison du sexisme, il ne faut pas oublier ses fondations, qui aident et participent au travail des grandes avancées. Je m’attaque là à de doubles fondations : d’abord, l’habitude et la normalisation du sexisme et de la domination masculine, ensuite à la colonisation du patriarcat chez les jeunes. Car c’est là que tout commence. Mais – un peu d’optimisme ne tuera pas –, imaginons que les lycéens soient assez matures pour ne pas se laisser manipuler par ces paroles. Malheureusement, des collégiens (de onze à quatorze ans, environ) déjeunent à notre cantine, et le « Rayon de soleil » ne leur échappe pas. C’est plus grave encore, car on habitue des enfants, certains d’à peine dix ans, à entendre de tels propos, ensuite à le tolérer, puis l’accepter, le trouver normal, finalement, se soumettre à l’esclavage masculin et à la considération de la femme comme objet. Et je n’exagère rien.

L’autre jour, me restaurant, j’ai entendu à nouveau ces quelques mots intolérables. J’ai profité de la présence de quelques amies – pas féministes outre mesure – pour leur demander ce qu’elles en pensaient. Elles n’ont pas réagi, n’y ont attaché aucune forme d’importance. Un accès de violence et de passion féministe m’a pris : si on ne réagit pas quand un établissement scolaire cautionne ces chansons et les diffuse à un auditoire de dix à vingt ans, pouvant atteindre le millier d’élèves – pour une seule journée de diffusion ! –, quand faut-il se lever ? J’ai décidé de saisir le Conseil de Vie Lycéenne, de l’avertir officiellement de la diffusion de cette honteuse chanson, et en ai demandé le retrait pur et simple, et de toutes celles du même ordre, de la programmation du lycée. Cette chanson est une honte. J’ai le pouvoir de la déprogrammer de mon lycée, et de clamer ce qu’elle me fait ressentir dans cet article, mais il en existera encore beaucoup, et elle sera encore diffusée via bien d’autres media. Une question s’impose à nous : comment se fait-il que cette chanson se soit retrouvée dans le lecteur de disques du réfectoire ? Qui l’a choisie ? Encore une question à laquelle devra répondre le C.V.L.

Après une attente relativement longue, a fortioripour la réponse laconique à laquelle j’ai eu droit, le vice-président du C.V.L. m’a écrit ceci : « Les musiques diffusées sont proposées par des élèves du lycée et par l’équipe de la cantine. » La Conseillère Principale d’Education a été prévenue, pour ne pas que cette chanson soit à nouveau diffusée. Désormais, ils feront plus attention aux textes diffusés. Fallait-il mon intervention pour que ce soit fait ? Aujourd’hui, on a l’impression que ce genre de chanson ne choque plus personne parce que la majorité l’accepte. Voire la demande. Parce que la réification des femmes est devenue normale. Il est dans les mœurs actuelles d’accepter l’influence de modèles plus âgés (car nous sommes indéniablement beaucoup influencés, en outre, par les artistes) vantant le plaisir ensoleillé du sexe dans son acception sexiste. Nous voyons également que les chansons sont proposées à la fois par l’auditoire et par des adultes. Personnellement, on ne m’a jamais demandé ce que je voulais qui soit diffusé, et je ne connais personne pour qui ce soit le cas. Passons. À mon avis, les adultes en charge du choix des musiques se contentent d’acheter les titres à la mode, sans chercher à en savoir plus, et sans prendre trop de risque (face à la déception possible du public, j’entends). Alors, effectivement, tout peut être diffusé. Le problème est que si les adultes laissent diffuser ce genre de chanson, la coulpe prend de l’ampleur : ce ne sont plus les quelques personnes qui les ont vraiment choisies, mais les responsables du lycée, puis le lycée, et finalement toute l’institution de l’Education nationale qui peuvent être remis en cause.

Est-ce excessif ? Peut-être. Mais pour les futur-es adolescent-es que sont les collégien-nes d’aujourd’hui qui y réfléchiront plus tard, les conclusions pourront être les mêmes, si on ne va pas à la racine. Il faut faire attention aux amalgames, et plus encore s’ils rejoignent des jeunes. Car c’est sans doute là que naît et se développe l’idée, non seulement d’une inégalité entre femmes et hommes, mais en plus d’une domination du sexe masculin, d’un patriarcat absolu.

Ce que je voulais dénoncer, enfin, dans mon article, c’est ce sexisme qui nous entoure contre lequel il faut se battre, ce patriarcat qui est jusque dans notre musique car ils fondent les grandes inégalités du monde moderne. J’aurais aimé n’avoir jamais écrit cet article. J’aimerais qu’il n’y ait pas besoin de lutter pour l’égalité entre hommes et femmes. J’aimerais que tout ceci soit naturel. Mais ça ne l’est pas. Alors, nous devons toutes et tous nous armer pour dénoncer ces situations lorsque nous les vivons. Alors, nous pourrons voir les progrès sous nos yeux et petit à petit, à force de beaucoup de travail commencé depuis bien longtemps déjà, des textes de chansons comme celui-ci n’existeront plus. Il faut que tout le monde se mobilise. N’ayons pas honte de croire et de participer au féminisme, à cette lutte quotidienne. Et certes, il y a ces grands combats que l’on a en tête, menés par de grandes figures du féminisme ; mais même si on est jeune adulte, même si on est un homme, on peut, on doit lutter, au moins à notre échelle. Le combat pour l’égalité peut être paritaire.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 10 avril 2009

Hubert Camus, lycéen


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