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"Travailleuse du sexe" ? Connais pas !

26 avril 2009

par Trisha Baptie, journaliste pigiste

J’ai été prostituée plus de 15 ans et je n’ai jamais rencontré une seule « travailleuse du sexe ». Pour moi, cette expression sort du film « Pretty Woman », et de la bouche des gens qui endossent et exploitent la chosification des femmes. Je connais des femmes prostituées - j’en ai été une - et nos raisons d’être là étaient claires : la pauvreté, le racisme, l’oppression de classe, le sexisme et les violences subies dans l’enfance.

À l’époque, je vous aurais dit que la prostitution était un geste de pouvoir, de libération. Il me fallait penser ça – comment aurais-je pu me regarder dans le miroir autrement ? Pourtant, ça m’arrachait le coeur de voir arriver chaque nouvelle fille. Et pas une prostituée ne veut voir sa fille entrer dans cette industrie mangeuse d’âme.

Je suis contre ce prétendu « travail du sexe », parce qu’il affecte non seulement les femmes qui y sont mais toutes les femmes et notre rapport au monde. Au Canada comme partout sur la Terre, des femmes - presque toutes appauvries et objets de racisme - sont amenées à cette industrie par la coercition, la violence et la tromperie. C’est parce que je veux la liberté pour TOUTES les femmes que je suis contre l’industrie qui nous vend comme jouets de masturbation.

On dit souvent : « Il faut bien qu’une femme paye ses comptes. » Qu’on nous donne plutôt de l’instruction, des possibilités, de la dignité, un revenu convenable garanti ! Si on collectait réellement les pensions alimentaires ? Si on assurait les ressources nécessaires aux jeunes qui grandissent dans les centres d’accueil et en sortent ? Il y a de meilleures façons d’aider les femmes que les baiser...

Mes amies qui sont encore dans la rue savent ce que je fais, et elles m’appuient toutes. Pour que personne d’autre n’adopte cette vie. Elles travaillent à se mettre à l’abri, et moi à ce que les hommes soient arrêtés avant de les acheter.

« Réduction des méfaits », dites-vous ? On ne peut rendre la prostitution « plus sécuritaire » ; c’est une violence en soi, un viol, où l’argent ne fait qu’apaiser la conscience des hommes. Les croyons-nous vraiment incapables de se passer d’orgasmes à volonté ? Et puis pourquoi est-ce seulement aux femmes qu’on impose des contrôles de santé ? Pour que nous soyons « propres » à violenter par les hommes ? Pourquoi ne pas les contrôler, eux, si on veut vraiment protéger les femmes ?

Pourquoi institutionnaliser ce que l’humanité a de pire ? Notre culture impose aux femmes de baiser sur demande, de s’arracher les poils, de subir des chirurgies plastiques. Pourquoi ne pas nous laisser être nous-mêmes, avec nos splendides différences ? Cela m’attriste de voir à quel point notre société force les filles et les femmes à jouer les prostituées.

Quant au soi-disant « libre choix » de se faire baiser plusieurs fois par jour par des hommes anonymes, mon expérience est toute autre. Partout où il y a prostitution, il y a trafic sexuel, crime organisé, drogues et autres activités criminelles, et aucun pays n’arrive à les désenchevêtrer. Alors, pourquoi laisser une minuscule minorité de gens nous imposer leur individualisme, quand nous savons que toute la société en souffrira, et que ce seront surtout les femmes pauvres et les femmes de couleur dont les droits humains seront bafoués pour maintenir l’offre de sexe aux hommes sur demande ?

L’auteure
Trisha Baptie est une femme ex-prostituée vivant à Vancouver, qui a échappé à la toxicomanie et à la rue il y a huit ans. Mère, abolitionniste et journaliste pigiste, elle a récemment couvert pour plusieurs médias le procès du meurtrier en série de femmes prostituées, Robert Pickton. Son témoignage, traduit par Martin Dufresne, a paru en page 35 du quotidien Le Soleil, le 26 avril 2009.

© Trisha Baptie.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 26 avril 2009

Trisha Baptie, journaliste pigiste


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