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Comment concilier égalité des droits et lois inspirées de la charia en Algérie ?

27 avril 2009

par Salima Deramchi, féministe et laïque

J’aborderai la question du féminisme en Algérie à partir de notre vécu, sur la base de la défense des valeurs du féminisme, un féminisme qui ne saurait s’exprimer sans se référer à la laïcité et au cheminement de ces idées dans la société algérienne.

Sans revenir sur l’historique du mouvement des femmes de la colonisation à ce jour, je rappellerai que, bien qu’ayant occupé une place importante dans la lutte de libération et dans la construction post-coloniale du pays, les Algériennes, si elles sont reconnues dans les discours, sont toutefois reléguées au second plan quant à la participation aux décisions et dans les textes de lois régissant les statuts personnels.

Ainsi, l’article 2 de la « loi suprême » de l’Algérie, la constitution, stipule bien que « l’islam est religion d’État », alors que l’article 28 stipule que « les citoyens sont égaux devant la loi sans que puisse prévaloir aucune discrimination pour cause de race, de sexe, d’opinion… ». Il est clair que le pouvoir cherche à jouer l’arbitre entre islamistes et démocrates au moyen de ces deux articles de la constitution.

Par ailleurs, un autre texte de loi s’est imposé, et ce, malgré l’opposition des femmes en 1984. Il s’agit du code la famille qui, malgré son bricolage en 2005, ne laisse plus place aux interrogations et légalise le rôle de la religion dans la gestion de la vie publique et privée.

Comment alors pouvoir allier l’égalité des droits avec la légalisation de la polygamie, l’obligation d’un tuteur pour les femmes lors du mariage, l’interdiction pour une musulmane (qui dans les faits se transforme en Algérienne) d’épouser un non-musulman, l’obligation d’obéissance au mari et, pour couronner le tout, la discrimination lors de l’héritage (la moitié pour une fille par rapport au frère, le 1/6 pour l’épouse qui a eu des garçons ou le 1/8 pour celle qui n’a pas de garçon)… Tout cela dans le respect de la charia.

Face à ce déni de droits, les femmes algériennes éprises de justice sociale et d’égalité, en un mot de démocratie, ont affirmé et lutté pour ces valeurs dans l’art, la culture et les écrits ainsi que sur le terrain, avec les moyens du bord. Le système algérien était régi jusqu’en 1989 par un parti unique, des organisations de masse et des associations porteuses des messages du parti unique.

Les évènements d’octobre 1988, quels que soient leurs détracteurs (insurrection des citoyens), ont poussé les autorités à accorder plus de liberté d’expression et d’association.

Des associations à revendications et propositions clairement féministes et laïques sont apparues au grand jour. Hélas, cette ouverture et cette liberté a profité aux partis islamistes unis, en connivence avec le parti au pouvoir, plutôt qu’aux démocrates désunis et sans moyens d’intervention.

Depuis le début des années 1990, le mouvement islamiste intégriste et son bras armé - le terrorisme - ont pourchassé les démocrates et les laïques où qu’ils se trouvent, condamnant un grand nombre d’entre eux à la mort ou à l’exil, dans le but de s’installer au pouvoir et de décréter l’Algérie « république islamique ».

Les femmes, pendant ces années-là, ont été fortement présentes dans les lutte contre l’islamisme et le terrorisme, elles sont à l’avant-garde de ces luttes durant les années 1989-1997. Les populations ont identifié et reconnu des leaders parmi elles, ont perçu leurs paroles et leurs valeurs comme des avancées, à tel point qu’on les citait comme exemple de patriotisme.

Hélas, la mondialisation des capitaux, l’ouverture économique de l’Algérie au capitalisme sauvage, sans lois ni régulation, l’aide internationale financière et politique au mouvement islamiste, l’alliance affichée depuis l’élection du présent président, en 1997, du pouvoir avec cette mouvance islamiste et la répression de toute autre revendication, n’ont pas aidé les démocrates et encore moins les féministes dont les deux principales leaders ont rejoint les rangs du pouvoir et l’alliance avec les islamistes, contribuant, ainsi à une islamisation apparente de la société.

Alors, comment les féministes et par quel canal peuvent-elles exprimer leurs valeurs et leurs propositions pour une société plus juste et plus égalitaire où le religieux resterait dans la sphère privée ?

Aujourd’hui, dans une société de plus en plus enfermée sur elle-même, il est difficile d’exprimer ou d’afficher sa différence, surtout quand cette dernière va à contre-sens des discours officiels et autorisés.

Pendant ces dernières années, la majorité des femmes féministes se sont investies dans des associations à caractère social, cherchant à trouver et à inventer des modes de communication et des contenus qui ne heurtent pas, qui ne choquent pas. Elles souhaitent expliquer leur démarche tout en affirmant leur attachement à l’islam, religion de leurs parents, car la société est de plus en plus embrigadée, enfermée et culpabilisée par les discours officiels dans son rapport à la religion.

À titre d’exemple, le discours officiel explique que le séisme de Boumerdes (2004) s’est produit parce que, tout simplement, les femmes ne sont pas assez musulmanes, elles devront se voiler pour éviter d’autres catastrophes de ce genre, la suite nous vous laissons la deviner.

Par ailleurs, comment exprimer nos revendications et nos convictions en un féminisme laïque de gauche quand, d’emblée, toutes les féministes sont taxées de « divorcées, de femmes n’ayant pas trouvé mari ou tout simplement de prostituées » ? Quand les laïques sont désignés comme athées, traîtres à la religion de nos aïeux ?

Un exemple du sens de l’évolution des mentalités, grâce au matraquage idéologique et à l’alliance d’un pouvoir corrompu avec les islamistes, qui n’hésite pas à recourir au terrorisme pour imposer ses orientations (l’un se nourrissant de l’autre et donc la survie de l’un est dépendante de l’autre). Une enquête menée par le Centre d’information et de documentation sur les droits des femmes et des enfants (CIDEF), qui comparait les réponses des Algériennes et des Algériens à la question du droit à l’égalité des femmes et des hommes, pour les années 2000 et 2008, a donné des résultats concluants.

En 2008, 16% de la population s’est exprimée pour l’égalité, alors qu’en 2000, lors d’une enquête similaire, cette population représentait 27%. Le nombre des réfractaires à l’égalité ont eux aussi évolué. Ils sont passés de 10% en 2000 à 23% en 2008.

En 2008, il y a autant d’Algériens qui sont pour l’élection d’une femme que ceux qui s’y opposent fermement. Ce qui constitue un recul par rapport à l’enquête de 2000, qui avait révélé que 70% des Algériens (60% des hommes et 81% des femmes) étaient disposés à élire une femme au poste de maire.

Par ailleurs, un exemple témoigne d’une situation de précarité intellectuelle et culturelle chez beaucoup de jeunes filles. Il s’agit de mots d’ordre scandés lors d’un rassemblement de jeunes filles algériennes à Blida (ouest d’Alger), à l’occasion du 8 Mars 2009,
utilisé comme tribune d’expression pour le lancement de la campagne présidentielle. Lors de cete rencontre, animé par le président sortant réélu, elles scandaient « Bouteflika zaoudjouna : Bouteflika tu es notre EPOUX ».

Est-ce à dire que le féminisme laïque de gauche est à l’agonie en Algérie, comme se gargarisent à le répéter toutes celles et ceux qui ont opté pour une alliance avec les islamistes ou ceux et celles qui essaient de le remplacer par un féminisme voilé (le féminisme islamiste) ?

  • Oui, si nous permettons que les parcelles de liberté soient occupées par un féminisme voilé, aidé et soutenu sur le plan local et international.
  • Oui, si les féministes, d’ici et d’ailleurs, continuent de faire l’amalgame entre racisme et anti-intégrisme, si elles ne décident pas, une fois pour toutes, de rompre avec la culpabilité du colonialisme et des sociétés nanties.
  • Oui, si on oublie que laïcité et relativisme culturel auront du mal à se rencontrer dans la sphère publique.

    N’est-ce pas que l’histoire est là pour témoigner de l’incompatibilité des libertés de conscience et de l’égalité des droits quand le religieux est politique et soumet l’être humain et son rapport aux autres à la divinité ?

    Car, voyez-vous mes chères camarades, là où les droits des femmes et des peuples sont bafoués, dans notre lutte pour mieux nous connaître et agir ensemble, le passé doit nous servir à prendre conscience que les analyses et les explications sont à rechercher dans la laïcité et non dans les religions, que le féminisme est universel et qu’il ne saurait être question de féminisme spécifique aux musulmanes, comme il n’y a pas eu de féminisme spécifique aux catholiques.

    Alors que nos alliés naturels, qui sont les laïques, les démocrates, les féministes et toutes celles et ceux qui défendent les libertés d’expression, de choix, d’association, de justice sociale et économique ainsi que la liberté de disposer de son corps, se solidarisent à nouveau avec nous, aujourd’hui, seule une solidarité laïque et féministe de gauche nous rendra notre visibilité et nous encouragera à poursuivre la lutte où que nous nous trouvions.

    Chères amies, ne vous faites pas avoir par les discours culpabilisants ou, alors, comment répondrez- vous à la question : « Pourquoi n’avez-vous pas concilié Église et féminisme ? »

    Sauriez-vous me dire au nom de quel féminisme les acquis chèrement conquis ici et là, comme la contraception, le droit à l’avortement, le choix de sa sexualité et le refus du patriarcat, ne peuvent être les revendications des femmes « taxées » d’origine musulmane ?

    Car la reconnaissance du féminisme islamiste ne pourrait que faire tomber le voile sur les féministes laïques de naissance musulmane.

    Mis en ligne sur Sisyphe, le 25 avril 2009

    Salima Deramchi, féministe et laïque


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