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Le féminisme vu par Mgr Louis-Adolphe Paquet en 1919

20 septembre 2009

Au Québec, y a 90 ans - c’est court dans l’histoire d’une société - Mgr Paquet dénonçait le féminisme, "un mouvement pervers", qui découlait, selon lui, du déclin des "croyances fondées sur l’autorité divine". Les intégristes catholiques n’osent plus tenir ouvertement ce langage, mais le discours de certains intégristes islamistes le rappelle étrangement et s’attire une certaine indulgence de la part de gens qui se prétendent progressistes et contre toute forme d’intégrisme. L’intégrisme religieux, quelle que soit sa forme, a pour première cible les femmes, le corps et la sexualité des femmes, et cet intégrisme est hanté par la peur que la liberté des femmes mette en péril son pouvoir sur l’humanité. Il se manifeste aujourd’hui dans les luttes contre la liberté de choix en matière d’avortement aussi bien que dans l’emprisonnement de femmes qui descendent dans la rue pour réclamer leurs droits ou dénoncer l’obligation de se couvrir des pieds à la tête pour soi-disant protéger "la vertu" des hommes. Est-il besoin de rappeler le retard que le clergé catholique a imposé à l’évolution des femmes et de la société québécoise par l’influence indue qu’il a exercée pendant des décennies sur le pouvoir politique, les médias, les milieux d’affaires, la société québécoise toute entière. Une réflexion à faire pour les féministes qui seraient tentées de pactiser, au nom du relativisme, avec l’intégrisme religieux nouveau genre qui se drape dans les chartes des droits et libertés. Féminisme et religions institutionnelles sont incompatibles, et tout accommodement ne peut que se solder par le recul des droits des femmes.

Pour raviver notre mémoire collective défaillante, voici la première partie du texte de Mgr Louis-Adolphe Paquet. On pourra télécharger le texte intégral en format word à la fin de cette page.




Le féminisme, par Mgr Louis-Adolphe Paquet (1919)

Ne dirait-on pas que l’humanité est prise de vertige ? Grisés par l’idée de progrès, des penseurs sans philosophie, et des rêveurs sans boussole, se jettent à la poursuite de toutes les chimères. A peine les mots suffisent-ils pour dénoncer, chaque jour, ce que la fièvre de l’erreur ou le prurit de la nouveauté invente.

Sous le nom de féminisme, un mouvement pervers, une ambition fallacieuse entraîne hors de sa voie la plus élégante moitié de notre espèce, et menace les bases mêmes de la famille et de la société. On n’a pas cru d’abord au danger, tant le succès d’une telle anomalie semblait invraisemblable. L’évidence est venue prouver que rien n’est à l’abri des emballements de l’esprit séduit par le prisme de théories captieuses.

Émanciper la femme, telle est la mission que se donnent les champions de l’idée féministe.

Certes, si l’on entend par là, soustraire la femme aux puissances qui l’oppriment et aux servitudes qui la dégradent, il y a longtemps que l’Église a assumé ce rôle, et qu’elle s’en acquitte avec tout le zèle et tout le dévouement d’une tutrice incomparable. C’est grâce à l’Église catholique, continuatrice du ministère sacré de Jésus-Christ, que la femme, si avilie sous le régime païen, a été réintégrée dans sa dignité d’épouse et de mère, dans ses droits de compagne inséparable de l’homme auquel elle a uni ses destinées (1). Tout ce qui honore véritablement la femme, tout ce qui peut l’aider dans l’accomplissement des fonctions qui lui sont propres, tout ce qui peut instruire, élever, développer le sexe féminin dans le sens de sa nature, de sa vocation et de ses besoins, le catholicisme l’approuve, le bénit, et le favorise.

C’est là le vrai progrès.

Il y en a un autre, le faux, celui qui se fait au rebours des fonctions féminines, qui s’emploie à reconstruire sur un nouveau modèle le cerveau de la femme, qui tire l’épouse de son foyer pour la jeter sur la place publique, qui supprime la dissimilitude des sexes et la diversité de leurs conditions. Ce progrès prétendu, et qui n’est, en réalité, qu’une déviation non seulement de l’esprit chrétien, mais du plus vulgaire bon sens, l’Église le réprouve et le dénonce. Entendons, sur ce sujet, les Pères du Premier Concile Plénier de Québec (2) :

    L’Église, assurément, n’interdit pas à la femme d’exercer son influence pour le bien en dehors de sa demeure, ni de prendre sa part légitime dans l’action sociale plus nécessaire aujourd’hui que jamais ; mais elle réprouve les théories malsaines, propagées dans ces derniers temps, et dont nous devons travailler à préserver notre pays. Sous le très fallacieux prétexte de libérer la femme des servitudes que l’on dit peser sur elle, on veut tout simplement l’arracher au foyer dont elle a la garde, et la soustraire aux devoirs sacrés que la nature et la Providence lui imposent. Par une regrettable confusion, qui est le fruit de l’ignorance chez les uns, de la malice chez les autres, on laisse entendre que l’égalité entraîne la similitude des droits, et l’on veut que la femme entre en une ridicule et odieuse rivalité avec l’homme, sur un champ d’action où ni les conditions de la lutte, ni les chances du succès ne sauraient être égales. La mise en pratique de pareilles théories serait funeste à la femme et à la famille, et amènerait à bref délai la déchéance de l’un et la ruine de l’autre.

C’est ainsi que les chefs de l’Église catholique au Canada caractérisaient, il y aura bientôt dix ans, le mouvement féministe dont ils voyaient poindre, avec appréhension, parmi nous, les symptômes. Ce mouvement, depuis lors, s’est propagé et accentué. Des influences de toutes sortes s’exercent sur la femme canadienne, qui en déforment le rôle, qui en altèrent l’esprit, qui en subvertissent l’action, les manières et les attitudes.

Que de jeunes filles veulent échapper à la tutelle de leurs parents ! que d’épouses se laissent distraire de leurs devoirs les plus pressants par des soucis étrangers ! Certains programmes d’enseignement féminin se gonflent de questions oiseuses, et ne servent d’autre part qu’à gonfler les têtes, sans profit suffisant pour les coeurs. Certains écrits répandent des doctrines et préconisent des façons d’agir opposées aux meilleures traditions familiales. Certaines modes s’enhardissent au-delà de l’extrême limite et constituent un vrai défi à la décence et à la pudeur. Certaines lois sanctionnent les innovations les plus dangereuses, et ouvrent toute grande, à la femme, l’avenue des fonctions publiques.

Bref, le féminisme s’est implanté au milieu de nous ; et c’est notre sentiment qu’il croît et qu’il progresse, et qu’il pousse en divers sens ses rameaux, où germent des fruits de mort.

I

Quelles sont donc les racines par lesquelles se nourrit cette végétation malsaine et vivace ? De quelles erreurs et de quelles ambitions est sorti ce mouvement qui prend ici une telle ampleur, qui emporte avec lui tant d’esprits, et qui envahit tant de domaines ? Il n’est jamais vain, le labeur par lequel on fouille le sol, soit pour y déposer la bonne semence, soit pour en extirper une plante vénéneuse.

Le féminisme dont nous recherchons les causes n’a pas surgi tout seul, et par une sorte de génération spontanée. Il est éclos de deux négations, et de deux penchants mauvais : de la négation de l’autorité, et de celle de la disparité, dans le corps social ; du penchant de la présomption, et de celui de l’orgueil.

Le libre examen, posé en principe par la Réforme, a répandu sur le monde un large souffle d’agitation et d’indépendance. Tous les pouvoirs sociaux en ont été ébranlés. De là datent les luttes et les triomphes de l’individualisme, dans les pays protestantisés d’abord, puis dans certaines classes des pays catholiques plus atteintes par l’esprit nouveau.

En ces zones malheureuses, les croyances fondées sur l’autorité divine ont fléchi. L’Église n’a plus eu sur la pensée de l’homme, ni sur celle de la femme, cette prise profonde qui lui assurait le contrôle souverain des consciences. L’homme, le premier, a secoué le joug des dogmes, le joug des préceptes issus de la foi, et d’où naissaient pour lui, pour le sexe le plus fort, à l’endroit du sexe le plus faible et le plus digne de tous les respects, d’impérieux devoirs. Victime du scandale, du désordre, de l’infidélité, la femme à son tour s’est raidie contre le sort qu’on lui faisait, et elle s’est abandonnée au rêve d’une destinée où rien, dans la société, ne gênerait ses désirs et ne heurterait son élan.

De ce jour, l’autorité maritale n’était plus. Toutes les autorités sont solidaires. Et si la première, celle de Dieu, est méprisée ou mise en doute, les puissances secondaires et subordonnées qui s’y appuient chancellent. Et lorsque, dans la famille, il arrive que l’époux perde l’ascendant qui en faisait un chef obéi et vénéré, deux pouvoirs rivaux se dressent sous le même toit. La femme joue à l’homme. Elle revêt une personnalité qui n’est pas la sienne, et cela en dépouillant ce juste sentiment de soi, cette conscience de ses devoirs, de son rang, et de sa condition, qui seul peut maintenir l’ordre et la paix.

C’est le renversement de la tradition.

Nos moeurs chrétiennes, façonnées par l’Église et nées de son action la plus intime et la plus profonde, entourent le sexe féminin comme d’un rempart : rempart de foi, de grâce, de modestie, de retenue, de délicatesse, de tout ce qui fait la beauté morale de la femme, et de tout ce qui l’ennoblit à nos yeux. La femme, d’après l’idéal des siècles chrétiens, est une oeuvre de choix, le chef-d’oeuvre des mains divines qui, en créant des soeurs, des mères, des épouses, ont sculpté dans le marbre humain, avec un art infini, les vertus les plus pures, les physionomies les plus douces, les vies les plus humbles et les plus dévouées. L’esprit d’indépendance brise ce chef-d’oeuvre. Il défigure le type féminin que nous a légué le christianisme, et il y substitue un être nouveau, un type à part, le plus singulier mélange de faiblesse et d’audace, d’aménité et d’excentricité, une créature androgyne.

Cette bâtardise ne va pas sans une grave confusion d’idées. On proclame l’égalité de l’homme et de la femme, et on construit là-dessus le plus fragile des échafaudages. Or, « la question n’est pas de savoir si l’homme et la femme sont égaux, mais s’ils sont semblables. » (3) L’égalité, quelle qu’elle soit en face de Dieu, n’implique nullement la parité des rôles dans la société. On oublie que la femme, par son sexe même, par sa conformation physique et ses qualités morales, par ses goûts, ses talents, ses tendances, diffère absolument de l’homme, et que de cette différence radicale entre les sexes résulte une différence non moins grande dans les fonctions.

Fût-il même prouvé, écrit un professeur français (4), que le sexe féminin est aussi capable que le nôtre en toutes les choses de l’intelligence, il resterait que la femme n’en est pas moins femme, que l’homme n’en est pas moins homme, que chacun d’eux est voué à des fonctions physiologiques absolument incommunicables et muni conséquemment d’aptitudes forcément personnelles. De par la nature, l’homme a un rôle propre, la femme en a un autre ; et quelles que soient les atténuations possibles de leurs différences organiques et de leurs disparités mentales, on ne saurait concevoir, fût-ce dans l’infinie profondeur des siècles, ni anatomiquement, ni intellectuellement, une parfaite égalisation des sexes (5). À supposer même que l’homme et la femme en arrivent un jour à ne plus former qu’un seul être, identique d’esprit et de corps, — ce qui serait monstrueux, — il faudrait en conclure qu’en ce temps-là l’humanité cessera d’exister.

Le mépris de l’autorité, l’oubli de la disparité des sexes, sont donc bien les causes fondamentales d’où est sorti le féminisme. Ces causes sont fortifiées par le concours qu’elles ont reçu des penchants qui sommeillent au fond de tout être humain.

Qui n’a pas son grain d’ambition, son instinct de présomption ? C’est une pente où la chute est facile. Et cette chute se produit avec d’autant plus d’éclat, et un dérèglement d’autant plus grave, que l’homme s’écarte davantage des cadres naturels de son action.

On appelle présomption, dit saint Thomas (6), le fait de s’insurger dans ses actes contre l’ordre établi par la nature, et de s’assigner une mission trop haute, des opérations trop ardues, et en désaccord avec les facultés dont on est doué.

L’humeur présomptueuse compte pour beaucoup dans le mouvement féministe. La femme nouveau genre aspire à remplacer l’homme ; elle prétend du moins rivaliser avec lui dans tous les domaines de l’activité publique. Elle ne se demande pas comment elle est faite, ni ce que le Créateur attend d’elle, dans les limites où sa providence l’a placée. Elle refuse d’admettre des limites, et son regard curieux, sa pensée inquiète et pleine de désirs vise tous les buts, et embrasse tous les horizons.

Elle jalouse les succès de l’homme, les triomphes de la virilité. Non contente de la sphère où elle domine elle-même, et de ses propres triomphes dont l’homme est incapable, elle ambitionne la supériorité masculine, comme si sa tête soigneusement ajustée était faite pour toutes les couronnes. On ne pousse pas plus loin l’orgueil.

Nous ne disons pas que toutes les femmes, prises du mal féministe, vont jusqu’à cette folie. Le féminisme a ses degrés ; et il se nuance de toutes les couleurs que revêt l’envie de paraître, l’ambition de se distinguer et de provoquer l’éloge flatteur et la réclame tapageuse. Il varie et s’intensifie selon la culture qu’il reçoit. (...)

(Fin de la première partie. Pour télécharger le document intégral, cliquez sur l’icône ci-dessous. Vous trouverez les références dans le document intégral format word ci-joint).

Source : Mgr Louis-Adolphe PAQUET, "Le féminisme", dans Études et Appréciations, Nouveaux Mélanges canadiens, Québec, Imprimerie franciscaine missionnaire, 1919, pp. 3-43.

Claude Bélanger, Marianopolis College.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 16 septembre 2009




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