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Les femmes se souviennent du rôle répressif de l’Église au Québec

25 septembre 2009

par Élaine Audet

Dans le débat sur le port de signes religieux ostentatoires dans les services publics, non seulement fait-on peu de cas des luttes des femmes musulmanes qui refusent la suprématie religieuse et patriarcale, mais on trahit les luttes menées par des générations de Québécoises pour en finir avec le contrôle de la religion catholique sur leur vie et sur les institutions publiques. On amalgame les Québécoises d’origines arabe, iranienne, sud-asiatique à des "musulmanes", sans tenir compte que certaines sont athées et des différences des pratiques religieuses qui existent entre pays où domine l’islam. Comme si l’identité religieuse prévalait sur toutes les autres.

Au Québec, beaucoup de femmes se souviennent de la détermination et du courage qu’ont manifesté Marie Gérin-Lajoie, Idola Saint-Jean, Thérèse Casgrain et les nombreuses délégations de Québécoises qui ont assiégé le Parlement, de 1922 au 25 avril 1940, pour obtenir le droit de vote. Elles ont dû affronter les évêques, les curés et les politiciens qui se donnaient la main pour les stigmatiser, les ridiculiser et nier leur droit à l’autonomie.

Pour Mgr Paquet, qui fit la loi pendant près d’un demi-siècle, tout ce "qui tire l’épouse de son foyer pour la jeter sur la place publique, qui supprime la dissimilitude des sexes et la diversité de leurs conditions" constituait une menace pour "les bases mêmes de la famille et de la société" (1).

Contraception, avortement, violence sexuelle

"Toutes les religions bafouent les droits des femmes", écrit Taslima Nasreen. Les Québécoises en ont aussi fait l’expérience. L’Église a toujours interdit la contraception et l’avortement, et exercé un pouvoir d’intimidation constant sur la volonté des femmes de contrôler leur propre corps et de décider si elles voulaient ou non des enfants. Ce n’est qu’en 1988 que la Cour suprême a déclaré inconstitutionnel l’article 251 du Code criminel qui rendait l’avortement illégal. La Cour a jugé que cet article allait à l’encontre des dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés parce qu’il enfreignait le droit des femmes à "la vie, la liberté et la sécurité de leur personne".

Pourtant, en 1989, Chantale Daigle a encore dû mener une lutte épique pour obtenir le droit d’avorter contre les diktats de l’Église et d’un conjoint violent. Comme on l’a vu en 2008 avec le projet de loi C-484 "sur les enfants non encore nés victimes d’actes criminels" (2), l’Église n’a jamais cessé de faire pression sur le gouvernement canadien pour invalider le droit à l’avortement et donner une existence légale au fœtus.

L’Église catholique a longtemps interdit aux femmes de refuser les rapports sexuels à leur mari, ce qu’elle appelait "le devoir conjugal", et légitimé ainsi le viol marital au nom de la procréation. Comme la contraception était aussi interdite, les femmes ont eu dix à quinze enfants et nombre d’entre elles sont mortes en couches ou des suites d’un avortement clandestin, victimes des préceptes du Vatican, des politiques natalistes et des préjugés envers les filles mères. Il a fallu attendre jusqu’en 1983, pour que les lois sur le viol criminalisent le viol et la violence maritales.

Ces dernières années, les critères de moralité rigides que l’Église a toujours voulu imposer ont été fortement ébranlés par la révélation publique des agressions sexuelles commises impunément pendant des années par les membres du clergé envers les enfants qui leur avaient été confiés, plus particulièrement envers les enfants autochtones et orphelins.

L’autonomie juridique des femmes

À la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, quand le gouvernement fédéral a voulu attribuer des allocations familiales aux mères de familles, des juristes, des évêques, des prêtres et des nationalistes du Québec ont demandé que l’allocation soit versée directement au père, chef de famille. Elles ont eu finalement gain de cause auprès du gouvernement.

L’incapacité juridique des femmes n’a été levée au Québec qu’en 1964, l’Église exerçant des pressions sur le pouvoir politique pour les cantonner dans les seuls rôles d’épouse et de mère. Cette loi présentée par la première femme élue à l’Assemblée législative du Québec, Claire Kirkland-Casgrain, a mis fin officiellement à la puissance maritale et paternelle comme à la soumission et à la dépendance des femmes mariées.

Le droit des femmes à l’éducation supérieure

C’est en 1964 également que paraît le rapport Parent permettant aux femmes un véritable accès aux études postsecondaires et à une diversification de leurs choix de carrière. Les Québécoises ont dû se battre longtemps pour avoir accès à à l’éducation supérieure, pour accéder à toutes les fonctions et à l’égalité salariale, pour être reconnues comme personnes responsables de leurs actes et de leurs choix.

Pour l’Église, "c’est fausser l’éducation féminine que de faire passer l’intelligence de la femme par tous les replis du moule où se forme l’intelligence de l’homme", et "le fruit de cette éducation [féminine] est de dégoûter profondément les femmes des soins du foyer domestique et des fonctions pour lesquelles la nature les a créées"(3).

Sans nier le rôle important joué par les religieuses dans le développement des services de santé et de l’éducation des filles, on ne saurait être plus clair sur la servitude et la subordination aux hommes que la religion a toujours voulu imposer aux femmes au nom de Dieu.

Pratiques discriminatoires et rétrogrades

Ne nous méprenons pas, l’Église catholique n’a jamais renoncé au pouvoir qu’elle a exercé sur les consciences au Québec et profite de chaque faiblesse, de chaque faille, pour s’y engouffrer et manifester à nouveau sa volonté de contrôle et remettre en question la déconfessionnalisation des écoles et la laïcité des services publics.

Tout récemment, Mgr Turcotte rendait sa médaille de l’Ordre du Canada parce que le Dr Morgentaler venait de l’obtenir pour son courageux combat pour le droit des femmes d’interrompre une grossesse non choisie. Pensons aussi à la position inhumaine du Vatican interdisant l’avortement à une enfant victime de viol, à l’interdiction du condom en dépit des risques mortels causés par le sida. Qui voudrait retourner sous l’emprise de l’obscurantisme, de la croyance aveugle et de préjugés moyenâgeux ?

Les Québécoises ne laisseront pas l’Église catholique – ou n’importe quelle religion - reprendre son emprise sur leur vie et plusieurs l’ont affirmé à la commission Bouchard-Taylor. Le Québec a choisi la démocratie, la laïcité et l’égalité entre les hommes et les femmes, des valeurs que les religions n’ont jamais hésité à fouler au pied. Pourquoi voudrait-on retourner en arrière en légitimant des pratiques discriminatoires et rétrogrades ?

Notes

1. Michelle Jean, "Le féminisme", par Monseigneur Louis-Adolphe Paquet, dans Québécoise du 20e siècle, Montréal, éditions du Jour, 1974 et lire en ligne.
2. Micheline Carrier, Projet de loi C-484 - Prélude à la recriminalisation de l’avortement au Canada, Sisyphe, 30 avril 2008.
3. Mgr Paquet, op. cit.

Mis en ligne dans Sisyphe, le 18 septembre 2009

Élaine Audet


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