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L’affaire Vincent Geisser
Islamisme radical : soutenir une "victime" favorable à l’obscurantisme fanatique ?

21 juin 2009

par Élisabeth Roudinesco, historienne et psychanalyste

Dans des forums et des listes de diffusion féministes, des correspondants se réclamant de la gauche et se prétendant progressistes, alors qu’ils soutiennent l’obscurantisme islamiste, accusent sans cesse d’islamophobie quiconque critique l’islamisme radical. Récemment, un Québécois particulièrement porté sur l’amalgame s’est servi malhonnêtement de l’affaire Geisser comme exemple d’islamophobie et a conclu tout aussi malhonnêtement : "Une dérive qui pourrait bien se produire au Québec où se multiplient les discours hostiles au port de signes associés à l’islam." Ce n’est pas la première fois que cet homme fait des amalgames douteux et ment sur la réalité québécoise. Nous invitons ceux et celles qui le lisent à s’informer davantage sur le Québec et à ne pas le croire sur parole. Ce qui se passe au Québec, c’est un mouvement de plus en plus affirmé pour forcer le gouvernement à adopter une loi interdisant aux employé-es des services publics (donc de l’État) d’arborer des signes religieux - et non pas expressément les signes associés à l’islam -, dans l’exercice de leurs fonctions. Il n’y a pas de vague islamophobe. Cet article, que l’auteure nous autorise à publier, situe l’affaire Geisser dans son contexte et montre qu’elle n’a rien à voir ni avec l’islamophobie ni avec le Québec. (Note de Sisyphe)



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Chercheur au CNRS, politologue et membre de l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe (IREMAM), Vincent Geisser, auteur d’un pamphlet (La nouvelle islamophobie, 2003) destiné à dénoncer les chercheurs et intellectuels qui se permettent de critiquer, non pas l’islam, mais l’islamisme radical, a été convoqué par un haut fonctionnaire de la sécurité défense devant le conseil de discipline du CNRS pour y répondre de "manquement à l’obligation de réserve".

Cette procédure est discutable et doit être critiquée, car elle met en cause l’indépendance qui a été reconnue aux professeurs d’université par le Conseil constitutionnel dans une décision (83-165) du 20 janvier 1984 et qui a été ensuite étendue à bon nombre de chercheurs. Mais il semble que jusqu’à présent elle n’a pas été contestée au sein du CNRS : ceci est à vérifier.

Toujours est-il qu’à l’initiative d’Esther Benbassa, un comité de chercheurs a lancé le 10 juin 2009 une pétition en faveur de Vincent Geisser afin de le soutenir au nom de la liberté d’expression. Cette pétition a reçu le soutien de nombreuses associations.

Esther Benbassa a cependant omis dans son appel de mentionner que Vincent Geisser n’est pas seulement un chercheur mais aussi un défenseur officiel en France de l’islamisme radical, largement contesté pour la dangerosité de ses propos par les représentants de l’islam des Lumières, Fethi Benslama et Abdelwahab Meddeb notamment et bien d’autres encore, qui lui reprochent de les présenter comme des "ennemis de l’islam vendus à l’Occident" et de favoriser ainsi la cause de l’extrémisme religieux. Tous deux se sont manifestés dans des mails auprès d’Esther Benbassa pour que leur protestation soit entendue.

Il semble d’ailleurs que bon nombre de signataires de cette pétition n’avaient pas connaissance des interventions de Vincent Geisser quand ils ont décidé de le soutenir.

Condamner les propos, contester la procédure

Or, les membres du comité n’ont toujours pas pris en compte les arguments des laïques attachés à l’islam des Lumières et qui réclament que soient condamnés les propos de Vincent Geisser, même si, par ailleurs, ils sont favorables à une contestation des procédures disciplinaires imposées à des chercheurs du CNRS. Notons que Vincent Geiger a également qualifié les dirigeants de SOS Racisme de "facilitateurs d’islamophobie", qu’il a fait de même avec l’Association Ni putes ni soumises (NPNS), qu’il s’en est pris également au Recteur de la Mosquée de Paris et qu’il a qualifié de "national-laïcisme" la loi contre le port des signes religieux à l’Ecole. Il a comparé le FD à un "idéologue qui traque les musulmans et leurs amis, comme à une certaine époque, on traquait les Juifs et les Justes". Ses interventions et les critiques qui ont été formulées contre lui sont disponibles sur l’Internet. Chacun pourra en juger et décider ou non de le soutenir.

En attendant que le comité, qui a lancé la pétition, intègre ces données dans sa prise de position et ne se contente pas de faire de Vincent de Geisser la victime d’une entrave à la liberté d’expression digne du régime de Vichy, au moment même où, en Iran, l’islam modéré combat l’obscurantisme fanatique, j’ai refusé de signer cette pétition.

Publié aussi sur le site CIFP, avec plusieurs commentaires.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 21 juin 2009

Élisabeth Roudinesco, historienne et psychanalyste


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