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Lettre à la présidente de la FFQ
Québec - Signes religieux dans les services publics : "La FFQ ne me représente pas"

8 août 2009

par Édith Guilbert, immigrante

Madame la présidente
Fédération des femmes du Québec,

J’ai eu l’occasion d’entendre et de lire plusieurs opinions et commentaires concernant la position de votre organisme, la Fédération des femmes du Québec (FFQ), sur le port du voile au sein de la fonction et des services publics québécois. Je désire, par la présente, vous faire connaître mon opinion personnelle à ce sujet.

Je suis immigrante, arrivée de la France au Québec à l’âge de 14 ans. Je me souviens des propos que mon père a tenus à notre famille avant de quitter notre pays d’origine : « Nous allons nous installer dans un autre pays qui a ses coutumes et ses valeurs. Nous n’allons pas y imposer nos idées. Nous allons dans ce nouveau pays pour nous enrichir d’idées nouvelles et d’une nouvelle culture. Ce que nous laisserons en arrière de nous, ce sont des souvenirs, beaux, utiles et touchants, mais en aucun cas ceux-ci devront prévaloir sur ce qui s’offrira à nous. En d’autres termes, nous partons avec un esprit d’ouverture sur l’autre et non de reproduction de ce que nous avons en France. Sinon, à quoi cela servirait-il de partir ? »

Ces propos paternels m’ont accompagnée, ma vie durant, jusqu’à aujourd’hui, quelques 40 ans plus tard. Ces propos m’ont été bénéfiques : ils ont facilité mon intégration, ils ont fait de moi une Québécoise, fière de l’être, qui ne songe qu’à servir son pays d’accueil et y être heureuse. Je ne me sens d’ailleurs plus dans un pays d’accueil, mais bien dans mon pays. Ces propos ont aussi bercé mes enfants, enfants québécois aux racines françaises, sans jamais, à ce que je sache, qu’ils les ressentent comme un fardeau ou des chaînes.

Certes, je ne venais pas d’un pays où les signes religieux étaient visibles. Mais l’accent, les manières et toute ma physionomie étaient bien français. Je n’ai pas échappé aux boutades et aux injures discriminantes de « maudite française », et j’en passe, que je trouve aujourd’hui toujours aussi dégradantes et insultantes. Mais le désir d’intégration était plus fort que tout et j’ai choisi de ne pas me laisser débouter par ces insultes de « petits Québécois frustrés » pour intégrer la majorité généreuse des « grands Québécois libérés ». J’ai choisi d’être libre, moi aussi. J’ai choisi de respecter la culture dominante qui m’accueillait et de lui faire honneur, en remerciement de son accueil et par fierté d’en faire partie. J’ai choisi de me tenir droite et d’être heureuse de l’amalgame de mon identité d’origine et de mon identité nouvelle.

Tout comme bien d’autres, je considère la religion comme une affaire privée. Il me semble que le Québec s’est battu intensément pour en arriver là. Cette bataille, je la respecte et j’y adhère. Je ne suis pas contre les religions (les gens qui me connaissent en savent quelque chose !!!), mais j’estime que ces dernières relèvent de l’intimité, de la sphère privée. Que je sache, ce n’est pas Dieu qui a imposé la robe noire, le voile noir, la toge jaune ou rouge, le chapeau noir, les tefilins, le talit, la burqa, le kirpa, la croix gammée, les croix chrétiennes, etc. Tous ces artifices sont des impositions humaines, discutables par les humains. Que la population québécoise, par son appareil gouvernemental démocratiquement élu, décide de refuser ces artifices au sein de sa fonction et de ses services publics me semble tout à fait légitime. La foi en Dieu, quel que soit son nom, ne me semble pas invalidée par une telle décision.

En conséquence, je ne partage pas votre position sur le port du voile au sein de la fonction et des services publics québécois. Je trouve, par ailleurs, présomptueux que vous affirmiez que votre organisme représente toutes les femmes du Québec et les "pauvres" immigrantes. Sur ce sujet, je ne me sens nullement représentée par la FFQ.

Au surplus, votre position m’apparaît très confuse au regard de l’idée que je me fais du féminisme. De toute évidence, le féminisme est, lui aussi, sujet à de nombreuses interprétations !

Vous remerciant de votre attention, je vous prie de recevoir mes respectueuses salutations.

Édith Guilbert, immigrante
Québec

Mis en ligne sur Sisyphe, le 3 août 2009

Édith Guilbert, immigrante


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