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Avortement au Québec - La tentation du désengagement de l’État

12 août 2009

par Micheline Carrier

Un bon technocrate ne devient pas forcément un bon ministre. Le ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec, M. Yves Bolduc, nous en donne l’exemple. Il a bien organisé et géré les services du centre hospitalier qu’il a dirigé pendant quelques années, ce qui lui a valu d’attirer l’attention sur sa personne et de faire son entrée à l’Assemblée nationale du Québec. J’ai bien peur, toutefois, que nous n’assistions à une démonstration du "principe de Peter" ("Dans une hiérarchie, tout employé tend à s’élever à son niveau d’incompétence"). Quelqu’un peut-il me dire ce que M. Bolduc a apporté au réseau de la santé et à la société québécoise depuis qu’il est membre du gouvernement du Québec ? L’entêtement du ministre à prétendre se placer, tel un prince, au dessus de la mêlée quand les problèmes surgissent n’a d’égal que sa rigidité et sa propension à rendre les autres responsables de ses propres négligences. Ses dénis et ses atermoiements dans l’affaire des tests erronés pour de nombreuses femmes atteintes du cancer du sein en ont laissé plusieurs perplexes et en ont révolté d’autres.

On a parfois l’impression que le ministre Yves Bolduc ne sait pas de quoi il parle et qu’il est un train en retard sur la population qu’il est censé servir et éclairer. Parfois, il semble soit sourd et aveugle, soit indifférent à ce qu’on lui dit. J’en veux pour exemple les conséquences, sur les services d’avortement au Québec, de certaines dispositions de la loi 34 (Loi modifiant diverses dispositions législatives concernant les centres médicaux spécialisés et les laboratoires d’imagerie médicale générale) dont le Conseil du statut de la femme ainsi que les quatre Centres de santé des femmes et d’autres intervenants l’avaient informé, en commission parlementaire, en mai et juin dernier. À compter du 1er octobre, les interruptions volontaires de grossesse devrot être effectuées dans un centre hospitalier ou dans un centre médical spécialisé (CMS). Sous prétexte d’uniformiser et de sécuriser les pratiques dans les centres médicaux spécialisés, la loi 34 créera de nouvelles obligations pour les cliniques privées et les centres de femmes qui dispensent déjà des services d’avortement, obligations parfois inutiles, comme celle de se doter de l’équivalent d’un bloc opératoire.

L’avortement est une intervention mineure, selon le Collège des médecins. Pourquoi l’équivalent d’un bloc opératoire serait-il nécessaire ? Les centres de santé et des cliniques pratiquant déjà des avortements ne pourront rencontrer cette obligation. Certaines cliniques ont déjà annoncé qu’elles fermeront leurs portes. Pourtant prévenu, le ministre n’a pas pris les dispositions nécessaires pour préserver les services d’avortement existants, tout en sachant pertinemment que ni les hôpitaux ni les CLSC, incapables à l’heure actuelle de dispenser des services complets dans toutes les régions, ne suppléeront à la réduction de services dans les cliniques et les centres de santé. Après avoir créé le problème, le ministre s’en lavera les mains en arguant que son ministère ne peut forcer les médecins à ouvrir des cliniques et à pratiquer des avortements. Ce sera la faute des médecins, des infirmières, d’un tel ou de telle autre, mais jamais celle du titulaire de ce ministère qui adopte une loi contraire aux besoins de la population concernée.

Le ministre a d’ailleurs employé cet argument en commission parlementaire quand la présidente du CSF, Mme Christiane Pelchat, lui a rappelé la situation de l’Outaouais où aucun CSLC ni aucun hôpital ne pratique d’avortement, le Centre de santé des femmes assumant la responsabilité des services sans toutefois les moyens financiers de ces institutions. Au lieu de s’engager à chercher des solutions à cette situation inacceptable, le ministre a déclaré qu’on ne pouvait forcer des professionnels à offrir des services. Ces professionnels sont payés par l’État et ces services sont assurés par l’État. Par conséquent, c’est la responsabilité du ministre de voir à ce que ces professionnels dispensent ces services. Si des médecins refusaient d’offrir d’autres types de services assurés, par exemple en oncologie, le ministre baisserait-il les bras en affirmant devoir respecter leur choix ? Ça sent l’idéologie à plein nez, et les Québécoises devraient se méfier et se préparer au pire. Le gouvernement du Québec, mine de rien, est peut-être en train de se désengager de ses obligations envers les femmes qui ont besoin de services d’avortement. Il n’y aurait rien d’étonnant à cela dans un contexte où la religiosité et les idées conservatrice séduisent même des groupes féministes.

Je doute que la seule motivation du ministère de la Santé et des Services sociaux, comme le soutient le ministre, pour l’adoption de mesures aussi rigides que celles prévues dans la loi 34, soit de renforcer la sécurité et la qualité des soins. Je crois qu’il s’agit plutôt d’accroître progressivement la part du privé dans le réseau de la santé au Québec, notamment en plaçant les services de santé, dont les services d’avortement, sous le contrôle de médecins ou autres administrateurs actionnaires qui prendront des décisions d’abord en fonction de critères économiques et d’intérêts privés. En commission parlementaire, le ministre défendait le "choix" éventuel des patientes de payer de leur poche pour obtenir des services d’avortement plus rapidement en cliniques privées... Il plaidait la cause de ces cliniques qui offrent déjà, rappelait-il, des services non assurés. À quelques reprises, la présidente du Conseil du statut de la femme a rappelé à M. Bolduc que les services d’avortement sont des services assurés au Québec et que son argumentation rejoignait celle du jugement Chaoulli, ce dont le ministre s’est défendu. Elle lui a dit également que cette façon de dispenser des services conviendrait peut-être à ceux qui en ont les moyens financiers, mais que ce n’était pas le cas de nombreuses femmes, et qu’elle favoriserait une médecine "à deux vitesses". Elle aurait pu dire à trois ou quatre vitesses, car il y a longtemps que le Québec a une médecine à deux vitesses.

Le gouvernement du Québec pourrait-il envisager éventuellement d’abandonner à leur sort les femmes qui ont besoin de services d’avortement ? Il contreviendrait ainsi à ses propres lois et à la charte des droits et libertés qui stipulent que tout-e citoyen-en a droit à des services sans discrimination. Toutefois, ce ne serait pas la première fois qu’un gouvernement recule sur ses propres principes et invoque l’absence de moyens financiers ou n’importe quelle entourloupette administrative pour justifier la discrimination systémique. Pensons au nombre d’années qu’il a fallu pour en arriver à l’équité salariale dans la fonction publique, longtemps retardée sous toutes sortes de prétextes, dont la situation économique.

En commission parlementaire, Mme Pelchat a dit au ministre Bolduc que, si la loi 34 entraînait de la discrimination systématique contre les femmes, la cause pourrait bien être soumise à la Cour suprême. Je pense que la présidente du CSF devrait se préparer à plaider : si le ministre Bolduc n’a rien compris de ce qui lui a été expliqué clairement et abondamment en commission parlementaire, c’est qu’il ne veut pas comprendre. Il suit tout simplement l’agenda du gouvernement Charest qui n’a pas la moindre intention de renoncer à la privatisation du système de santé.

Voici quelques lectures sur la loi 34 et l’avortement.

  • « L’injustice », par Marie-Claude Lortie

    Pour ceux qui reviennent de vacances et qui n’ont pas lu leur Presse depuis une semaine, petit résumé de la crise : Québec a décidé de mieux encadrer la pratique médicale privée. Pour cela, il a préparé la loi 34. On y trouve une nouvelle liste d’actes médicaux spécialisés, y compris les avortements, soumis à des normes très strictes qui entrent en vigueur le 30 septembre.

    Les quatre cliniques privées et les trois centres de santé des femmes qui pratiquent des avortements au Québec sont soumis à ces normes, qui exigent notamment que les interventions se fassent en bloc opératoire. Pour certaines de ces cliniques, notamment la clinique Morgentaler, en activité depuis 40 ans (sans plaintes sur la qualité des services), une telle transformation serait trop coûteuse.

     >Lire l’article intégral, dans Cyberpresse, le 12 août 2009.

  • « Avortement : d’autres interventions compromises », par Pascale Breton, dans Cyberpresse, le 12 août 2009
  • « Avortement - Les mauvais plans », par Josée Boileau, Le Devoir, le 12 août 2009
  • « Vingt ans après la victoire de Chantal Daigle - Le combat pour le droit à l’avortement se poursuit », par Amélie Daoust-Boisvert

    Vingt ans après la victoire devant la Cour suprême de Chantal Daigle contre son ex qui voulait l’empêcher de se faire avorter, un des seuls médecins à pratiquer des avortements tardifs est assassiné brutalement. Menaces, projets de loi, manque d’accessibilité... Le droit à l’avortement est une lutte inachevée, même au Québec.

     > Le Devoir, édition du samedi 08 et du dimanche 09 août 2009.

  • L’Affaire Chantale Daigle : les femmes se souviennent ! par un Collectif de groupes

    Le 8 août 1989, la Cour suprême du Canada rendait son jugement dans l’affaire Chantale Daigle, mettant ainsi fin à un suspens qui a tenu le Québec et le Canada en haleine pendant quelques semaines. Aujourd’hui, nous tenons à souligner le 20e anniversaire de ce jugement qui demeure un des plus importants en matière de droit à l’avortement.

     > Lire l’article sur Sisyphe, le 10 août 2009.

  • « Avortement : les centres de femmes aussi écoperont », par Amélie Daoust-Boisvert

    Même s’ils ont obtenu gain de cause et ne doivent pas demander un permis et devenir des cliniques médicales spécialisées (CMS), les centres de santé des femmes qui pratiquent des avortements pourraient avoir à se conformer aux mêmes règles de pratique que les cabinets privés. Les médecins les jugent excessives et irréalistes, comme l’écrivait hier Le Devoir après que la clinique L’Alternative eut annoncé la fin des interruptions volontaires de grossesse (IVG) entre ses murs. Le Conseil du statut de la femme et l’opposition pressent Québec d’intervenir.

     > Le Devoir, édition du samedi 08 et du dimanche 09 août 2009.

  • « Avortement - Une logique soviétique », par Jean-Robert Sansfaçon

    Il arrive souvent que la technocratie défie la logique. Le dernier exemple en lice est cette décision du ministère de la Santé d’obliger les cliniques d’avortement privées à se transformer en véritables salles d’opération entièrement stériles au lieu des actuelles salles d’interventions plus conviviales, sous prétexte de l’entrée en vigueur, en juin dernier, de la loi 34. À cause de ces exigences jugées excessives dans le cas des interruptions de grossesse, des cliniques aussi respectables que l’Alternative annoncent qu’elles fermeront leurs portes bientôt.

     > Le Devoir, édition du samedi 08 et du dimanche 09 août 2009.

  • « Avortement : la porte du privé se referme », par Amélie Daoust-Boisvert

    Découragée par les exigences "excessives" de la nouvelle loi 34, l’Alternative renonce aux IVG. Mille femmes devront trouver sous peu un nouvel endroit pour interrompre une grossesse non désirée. À compter du 30 septembre prochain, la clinique de l’Alternative, dans le quartier Centre-Sud de Montréal, cessera de pratiquer des avortements. Une situation qui pourrait allonger les listes d’attente, alors que les autres cliniques de la métropole privées qui pratiquent des avortements remboursés par la RAMQ peinent elles aussi à cadrer dans les normes, qu’elles jugent excessives, de la nouvelle loi 34.

     > Le Devoir, édition du vendredi 7 août 2009.

  • « Le Conseil du statut de la femme soucieux de préserver l’accès aux soins de santé des Québécoises - Projet de loi n° 34 concernant les centres médicaux spécialisés et les laboratoires d’imagerie médicale générale », CSF

    Pour le Conseil, la dispensation des services d’avortement est un cas d’espèce qui illustre les problèmes d’un système public qui a été incapable de répondre à l’ensemble des besoins. En effet, depuis 40 ans, des femmes ont subi une injustice profonde et ont dû affronter un système à deux vitesses en devant acquitter des frais accessoires dans des cliniques privées non complètement subventionnées.

    Or, à partir du 1er octobre 2009, les interruptions de grossesse, à moins d’être dispensées dans un centre hospitalier, devront obligatoirement être effectuées dans un CMS. Les avortements ne pourront donc plus être pratiqués dans les cliniques médicales privées qui les font présentement, à moins que ces lieux de pratique ne se convertissent en CMS. « Il serait dommage qu’à la faveur d’une nouvelle transformation du réseau de la santé et des services sociaux, la société québécoise se retrouve devant les mêmes problèmes qui ont caractérisé la pratique de l’avortement depuis sa légalisation, et ce, en dépit du jugement de la Cour supérieure (août 2006) qui a statué sur la gratuité des avortements lorsque pratiqués hors des centres hospitaliers », a déclaré Mme Pelchat.

     > Lire l’article sur Sisyphe.

  • « Commission des affaires sociales sur le projet de loi 34 ».

     > Site de l’Assemblée nationale du Québec.

  • « Yves Bolduc reste inflexible », site de Radio-Canada

    Malgré les critiques formulées par le milieu médical et l’opposition officielle, le ministre de la Santé du Québec n’a aucunement l’intention de modifier les nouvelles normes auxquelles les cliniques effectuant des avortements doivent se conformer en vertu de la loi 34.

    De passage à Sainte-Thérèse, dans les Laurentides, pour le Congrès des jeunes libéraux, le ministre Yves Bolduc a affirmé que tous les établissements concernés par cette loi devront se soumettre aux nouvelles normes.

    Il a tout au plus entrouvert la porte à un délai dans l’application de la loi, de manière à permettre aux cliniques privées et communautaires de financer les équipements requis ou de les implanter.

     > Lire l’article sur le site de Radio-canada. Aussi plusieurs entrevues en ligne dans cette page de Radio-Canada.

  • Rubrique avortement sur Sisyphe.

    Mis en ligne sur Sisyphe, le 9 août 2009

    Micheline Carrier


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