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Des femmes astronomes depuis l’Antiquité

19 décembre 2009

par Liliane Blanc, historienne et auteure

Le 3 novembre dernier, on a dévoilé les noms des récipiendaires des prestigieux Prix du Québec pour l’année 2009. Le Prix Marie-Victorin en sciences naturelles et génie, qui souligne le travail exceptionnel d’un ou une scientifique, a été attribué à Victoria Kaspi. Cette jeune astrophysicienne montréalaise (la quarantaine) a déjà tout un parcours professionnel derrière elle. Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en astrophysique à l’Université McGill, Madame Kaspi est diplômée de Princeton et spécialiste des pulsars. Elle n’a pas hésité à tester Einstein et sa théorie de la relativité générale, et à prouver qu’il avait raison. Certains de ses collègues, ailleurs dans le monde, la voient sur la plus haute marche des Prix internationaux. Ça tomberait bien : à ce jour, le Prix Nobel de physique manque sérieusement de lauréates.

Est-ce une coïncidence ? 2009 a été décrétée « Année mondiale de l’astronomie ». En soulignant l’apport exceptionnel de Victoria Kaspi à la science, le jury du Prix Marie-Victorin a opté pour un alignement de planètes parfaitement réussi. Car - est-ce que je me trompe ? - en cette année où l’étude du ciel est particulièrement mise en valeur, il me semble que l’activité des femmes astronomes a été très peu mentionnée. Ou du moins pas assez.

C’est par le biais de mes recherches sur les créatrices artistiques que je suis tombée dernièrement sur une chanteuse du XVIIIe siècle qui était également astronome : Caroline Herschel, une allemande de Hanovre, qui vécut une grande partie de sa vie en Angleterre auprès de son frère William (Wilhelm), compositeur au service du roi Georges III et astronome amateur. Amis de Haydn, le frère et la sœur délaissèrent très vite la musique, du moins professionnellement, pour devenir des astronomes amateurs très compétents. À une époque où les femmes ne pouvaient pas tenir un rôle de premier plan, Caroline devint son assistante. William fabriquait des télescopes et sondait le ciel. Caroline, à ses côtés, prenait note de toutes les observations, effectuait les calculs, préparait les catalogues et les publications. Si l’on doit à William la découverte d’Uranus, Caroline, qui ne se contenta pas d’épauler son frère, découvrit 8 comètes et 3 nébuleuses. Impressionné, le roi lui octroya un salaire annuel, ce qui en fit la première astronome professionnelle. La Royal Astronomical Society de Londres, encore interdite aux femmes, lui accorda le titre de « membre honoraire ». En son honneur, un astéroïde, le 281-Lucretia, a été baptisé d’après son deuxième prénom, et il existe un cratère Caroline Herschel sur la Lune. Un destin hors du commun pour une femme au départ maladive, qui avait reçu une instruction forcément rudimentaire puisque femme, mais initiée aux mathématiques et à la musique par un frère attentif. Judy Chicago, dans son Dinner Party(1974/1979), lui a réservé une place à sa célèbre table.

Cette recherche m’a entraînée bien plus loin que je ne l’aurais pensé. Ainsi que je le fais pour mes créatrices, j’ai enquêté sur les femmes astronomes, et constaté, de fil en aiguille, plusieurs choses étonnantes. Que d’autres cratères lunaires et plusieurs objets stellaires portaient des noms de femmes. Que plusieurs avaient tenté d’explorer le ciel depuis l’Antiquité. Enfin, que depuis le grand développement de cette science à partir du XVIIIe siècle, beaucoup d’entre elles avaient aidé à son avancement en faisant de grandes découvertes.

Objets célestes identifiés au féminin

À part Caroline Herschel, huit autres cratères lunaires portent des noms de grandes astronomes du passé. Ceux, au XVIIIe siècle, de la Française Nicole-Reine Lepaute qui anticipa dans ses calculs, avec deux hommes, le retour de la comète de Halley, et de Marie Somerville, mathématicienne et astronome écossaise, qui était membre honoraire, elle aussi, de la Royal Astronomical Society.

Au siècle suivant, Maria Mitchell, un des grands noms de l’astronomie, spécialiste des comètes, devint professeure d’astronomie au fameux Vassar College (N.Y) et directrice de son observatoire. Fervente militante féministe américaine, elle forma dans cette université d’abord féminine, puis mixte, plusieurs scientifiques de son sexe ; l’Anglaise Mary Adela Blagg uniformisa la nomenclature de la carte lunaire ; l’Irlandaise Agnes Mary Clerke rédigea de nombreux articles sur l’astrophysique pour des revues et l’Encyclopédie Britannica ; Williamina Fleming, émigrée écossaise aux États-Unis, découvrit 59 nébuleuses, 300 étoiles variables et 10 novas ; Antonia Maury fut une grande spécialiste américaine de la spectroscopie stellaire et des étoiles doubles ; Annie Maunder étudia le Soleil, ses tâches et ses éclipses. Ses publications se firent conjointement avec son mari.

Des astéroïdes portent également des noms féminins : Caroline Herschel, Somerville, Lepaute déjà évoquées. Mais aussi plusieurs autres : Elisabeth Hevelius-Koopman, une Polonaise du XVIIe siècle qui a catalogué avec son mari plus de 1500 étoiles. Et des noms d’astronomes qui ont œuvré au XXe siècle : Dorothea Roberts Klumpke, docteure ès sciences de la Sorbonne et l’une des rares femmes admise, à son époque, à l’Observatoire de Paris ; Henrietta Swan Leavitt, spécialiste des étoiles variables et chef du département de photométrie à Harvard ; Cecilia Payne-Gaposchkin directrice du département d’astronomie d’Harvard à la fin des années 1950, auteure avec son mari d’une classification de plus de deux millions d’étoiles variables ; Margaret Burbidge, grande experte en quasars, qui a participé, dans les années 1990, au développement du télescope spatial Hubble ; Beatrice Tinsley, autre surdouée, professeure d’astronomie à l’Université de Yale, dont les travaux sur l’évolution des galaxies sont encore exploités aujourd’hui. Enfin, Helen Sawyer Hogg, une Américaine qui a passé une grande partie de sa vie au Canada. Plusieurs fois primée, tant aux États-Unis que dans son pays d’adoption, pour ses travaux sur les amas globulaires et les étoiles variables, elle enseignait à l’Université de Toronto.

Depuis l’Antiquité

Dans le cadre de cet article on ne peut s’étendre sur chacune de ces femmes extraordinaires. Ni les nommer toutes. Dès l’Antiquité, des femmes astronomes se sont distinguées. Combien ? Impossible de le savoir précisément. Des noms ont été retenus : celui d’une Aganice qui, à la cour des pharaons, aurait étudié la position des planètes 18 siècles avant J.-C. Ou bien Aglaonice de Thessalie, évoquée par Plutarque, qui prédisait les éclipses de Lune, mais dont le nom a été plutôt donné à un cratère de Vénus. Hypatie, la fameuse philosophe platonicienne d’Alexandrie, lapidée en 415 par les nouveaux chrétiens, était aussi mathématicienne. Probablement astronome puisqu’à son époque l’étude de cette science était intégrée à celle des nombres. Une princesse coréenne du VIIe siècle de notre ère, Sonduk, manifesta très tôt, elle aussi, un grand intérêt pour l’astronomie. Devenue reine de son pays, elle fit construire un observatoire cylindrique, très précisément conçu pour prévoir différents phénomènes célestes. Il existe encore à Kyongju, au Nord de Pusan en Corée du Sud.

Au fil des siècles

Plus tard, au fil des siècles, et malgré les préjugés qui niaient aux femmes l’intelligence nécessaire pour étudier les sciences, quelques-unes furent attirées par l’astronomie. Longtemps, le milieu familial imprégné des mentalités de son temps fut peu ouvert au développement de leur potentiel, et les lieux de savoir essentiellement masculins leur furent interdits. Certaines jeunes filles purent toutefois bénéficier d’un environnement favorable, grâce à un père ou à un frère érudit, comme on l’a vu avec Caroline Herschel par exemple. Ou même au contact d’un mari qui trouvait bien pratique d’avoir une assistante à la maison après lui avoir transmis son savoir.

C’est ainsi que nombreuses ont été les femmes « assistantes » dans ce domaine. Souvent elles avaient la tâche longue et fastidieuse dont les hommes se déchargeaient – c’était avant les calculatrices électroniques et les ordinateurs – de noter en détail les observations, de les interpréter, d’adapter des formules mathématiques et de les appliquer pour comprendre les informations. Souvent, bien que parfaitement compétentes pour être considérées comme des astronomes à part entière, elles durent accepter de s’effacer derrière un mari qui obtenait un poste officiel.

Le travail d’assistante convenait également aux professeurs masculins. À Harvard, à la fin du XIXe siècle, le célèbre astronome E.C. Pickering, directeur de l’observatoire avait ce qu’on baptisa avec humour son Pickering’s Harem, des jeunes femmes diplômées en astronomie d’universités qui n’accueillaient que des filles, comme les renommés Radcliffe College, Wellesley College, Mount Holyoke College, dans le Massachusetts, ou le Vassar College, dans l’État de New-York. À la fin de leurs études, elles n’arrivaient pas à trouver de véritable emploi dans leur domaine et devenaient des calculatrices fiables, mais sous-payées. Parmi elles, quelques astronomes finirent tout de même par se faire un nom : Henrietta Swan Leavitt et Antonia Maury déjà nommées, ainsi que Williamina Fleming, formée par Pickering qui l’avait chargée de superviser son groupe. Annie Jump Cannon devint docteure ès sciences d’Harvard ; Florence Cushman travailla avec elle ; ensemble elles cataloguèrent plus de 16 000 étoiles. Anna Winlock, elle, se concentra sur les astéroïdes.

L’injustice était aussi de ne pas les accepter dans les sociétés d’astronomie officielles et de les reléguer dans des associations d’amateurs. Ce fut le cas en Angleterre où les femmes durent attendre longtemps avant de pouvoir devenir membres à part entière de la Royal Astronomical Society (RAS) et même de la présider, comme le fit Jocelyn Bell Burnell de 2002 à 2004. Un geste de reconnaissance pour cette astrophysicienne qui vit la première un pulsar, frustrée en 1974 du Prix Nobel de physique attribué pour cette découverte à son directeur de thèse Anthony Hewish. Sous la controverse.

Plusieurs femmes, extrêmement brillantes, se tournèrent donc vers la Bristish Astronomical Association pour les amateurs, où elles furent des membres très actives. Ce que firent Elisabeth Brown, spécialiste des éclipses solaires, puis Fiametta Wilson, A. Grace Cook et Catherina Stevens au début du XXe siècle.

Aujourd’hui

Ces astronomes du passé, plus nombreuses que celles que nous avons pu évoquer ici, demeurent des modèles de persévérance pour toutes les jeunes filles qui veulent s’orienter vers des carrières scientifiques. Au Canada, il existe 25 départements universitaires d’astronomie. Près de 25% des femmes inscrites le sont aux études de doctorat. Sur le site Internet du Centre national de recherche scientifique du Canada (CNRS), la jeune astronome canadienne Stéphanie Côté, spécialiste de la matière noire, qui travaille à l’Observatoire Gemini implanté à la fois à Hawaï et au Chili, témoigne avec enthousiasme de son métier. Avis aux passionnées qui veulent suivre ses traces et celles des Helen Hogg et Victoria Kaspi : The sky is the limit !

 Liliane Blanc est l’auteure d’Une histoire des créatrices, l’Antiquité, le Moyen-Âge, la Renaissance, Éditions Sisyphe, 2008.

Références

  • Stéphanie CÔTÉ, Liliane Blanc, historienne et auteure


    Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=3457 -