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Des attaques contre l’égalité des femmes par le gouvernement Harper

2 mars 2010

par Carolyn Bennett, Maria Minna et Anita Neville, députées au Parlement canadien

Madame la ministre de la Coopération internationale, Bev Oda, nous vous écrivons aujourd’hui pour vous demander de reconsidérer votre décision malavisée de ne pas prévoir le soutien assuré, depuis longtemps, par le Canada en matière de contraception et de services de santé génésique, dans l’initiative récemment annoncée par votre gouvernement pour améliorer la santé maternelle et infantile dans certains des pays les plus pauvres du monde.

En refusant de financer des programmes qui respectent les droits des femmes à cet égard, notamment le droit à des services de contraception et de santé génésique, vous permettez aux divergences idéologiques d’entraver l’accès à de bons soins de santé et à l’égalité entre les sexes.

Certes, la vaccination, l’accès à l’eau potable, une meilleure nutrition et une meilleure formation des professionnels de la santé sont importants pour la santé et la sécurité des femmes et des filles. Mais pour s’attaquer aux véritables causes de la mauvaise santé maternelle et infantile, il faut que toute une gamme de choix existe pour promouvoir la planification de la famille et l’égalité entre les sexes. Offrir moins que cela, c’est n’offrir qu’une solution de fortune.

Fausse information

Nous sommes particulièrement inquiètes lorsque nous voyons des membres de votre gouvernement propager de fausses informations sur cette question. Dans une lettre publiée récemment (Saskatoon Star-Pheonix, le 25 février 2010), les députés conservateurs Maurice Vellacott et Brad Trost écrivaient aux lecteurs qu’il n’y avait « aucune preuve » pour soutenir les affirmations selon lesquelles une éducation convenable, des ressources et du soutien réduiraient les décès maternels et les complications, alors qu’en réalité, d’abondantes preuves factuelles le prouvent.

En 2006, un rapport de l’International Planned Parenthood Federation (Mort et négation : avortement à risque et pauvreté) démontrait que les femmes qui ne peuvent pas accéder aux services de santé génésique sont plus susceptibles d’avorter dans des conditions dangereuses et de mourir des suites d’une grossesse, d’un accouchement ou d’un avortement pratiqué dans de telles conditions. Une étude récente de l’Institut Guttmacher et du Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP) (1) avance des arguments irréfutables pour renforcer l’appui international aux programmes de santé sexuelle et génésique. Ce rapport indique qu’en répondant aux besoins en services de contraception dans les pays en développement, on permettrait d’éviter 52 millions de grossesses non désirées par an, ce qui, du coup, permettrait de sauver plus de 1,5 million de vies et éviterait que 505 000 enfants perdent leur mère.

Risque de mortalité maternelle

Les principales conclusions du rapport cité sont que les décès maternels dans les pays en développement pourraient être réduits de 70% et les décès des nouveau-nés réduits de près de moitié si le monde doublait ses investissements dans la planification familiale et dans les soins prénataux. Il précise que « l’investissement dans la planification familiale et les services de santé maternelle et infantile peut atteindre les mêmes résultats spectaculaires pour 1,5 milliard de moins que d’investir seulement dans les services de santé maternelle et infantile ».

Le risque de mortalité maternelle augmente à chaque grossesse. Pourtant, des recherches montrent que 215 millions de femmes qui voudraient repousser ou éviter une grossesse n’ont pas accès à la contraception moderne. Fournir des moyens de contraception à celles qui le souhaitent permettrait d’éviter environ un tiers des décès maternels.

Chaque année, environ 20 millions de femmes subissent des avortements dans des conditions dangereuses. Environ 8,5 millions de ces femmes ont besoin de soins hospitaliers en raison de complications, mais seulement trois millions d’entre elles environ y ont accès.

Selon la Division de la population des Nations Unies, 61% de la population mondiale vit dans des pays où l’avortement est autorisé. Fournir des services d’avortement médicalisé là où l’avortement est légal permettrait d’éviter un grand nombre des quelque 68 000 décès de femmes dus à des complications résultant d’avortements dangereux.

Accords internationaux

Mais cette question va au-delà des soins de santé convenables. Le droit international en matière de droits de la personne stipule très clairement que la mortalité maternelle constitue une violation du droit à la vie et qu’elle est liée à des violations de nombreux autres droits de la personne, notamment les droits à la santé, à l’éducation, à l’égalité et à la non-discrimination.

Le Canada a signé plusieurs accords internationaux qui l’engagent à fournir une gamme complète de services sûrs et fiables de planification familiale et de santé génésique. Par exemple, la Loi sur la responsabilité en matière d’aide au développement exige que toute assistance fournie par le Canada soit compatible avec les normes internationales relatives aux droits de la personne. En juin 2009, une résolution du Conseil des droits de l’homme des
Nations Unies a également engagé le Canada à faire « la promotion et la protection efficaces des droits fondamentaux des femmes et des filles », ce qui comprend « la santé sexuelle et reproductive ».

Plus particulièrement, le premier ministre Stephen Harper a lui-même signé l’an dernier la déclaration des pays du G8, qui favorise clairement l’accélération des progrès concernant la lutte contre la mortalité infantile, notamment par « des services de soins de santé sexuelle et reproductive et la planification familiale volontaire ».

Faire plus que s’attaquer aux signes extérieurs de la pauvreté, c’est donner aux femmes les ressources dont elles ont besoin pour prendre des décisions concernant leur vie. Et c’est aussi la clé pour arracher des communautés entières à la misère.

Juste et raisonnable

Si nous nous basons sur ce que nous avons vu de votre gouvernement jusqu’ici, nous avons toutes les raisons d’être inquiètes. Votre gouvernement a lancé une attaque systématique contre l’égalité des femmes, ici même au Canada. Vous avez supprimé les mots « égalité entre les sexes » du vocabulaire du ministère des Affaires étrangères et de Condition féminine Canada. Vous avez fait des compressions dans le financement de Condition féminine Canada et démantelé le Programme de contestation judiciaire. En outre, vous avez fait en sorte que l’équité salariale, qui était un droit non négociable, devienne une monnaie d’échange.

En conclusion, nous vous pressons à nouveau de revenir sur votre position concernant votre initiative sur la santé maternelle et infantile. Nous vous demandons de vous battre pour ce qui est juste et raisonnable, et ce, dans l’intérêt supérieur de toutes les femmes. Ce n’est que lorsque les femmes auront accès à toutes les options de planification familiale et de santé génésique que nous pourrons réellement les arracher à la pauvreté.

Signataires

  • Carolyn Bennett - Porte-parole libérale responsable de la Santé et ancienne ministre de la Santé publique
  • Maria Minna - Présidente du caucus libéral des femmes et ancienne ministre de l’Agence canadienne de développement international (ACDI)
  • Anita Neville - Porte-parole libérale responsable de la Condition féminine et ancienne secrétaire parlementaire de la ministre responsable de la Condition féminine

    * Publié aussi dans Le Devoir, édition du 27 février 2010.

    Note

    1. Document PDF téléchargeable.

    Carolyn Bennett, Maria Minna et Anita Neville, députées au Parlement canadien


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