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Lettre à Télé-Québec au sujet du documentaire "Mes sœurs mulsulmanes"

7 mars 2010

par Michèle Sirois, anthropologue, spécialiste en sociologie des religions

J’apprends que vous allez diffuser le documentaire de Francine Pelletier, "Mes sœurs musulmanes", le 8 mars 2010. Je me questionne sur la pertinence d’un tel documentaire justement la journée qui célèbre les femmes et leur lutte pour l’émancipation. Je m’étonne que vous soyez tombé dans le même piège que la réalisatrice, à savoir la production et la diffusion de propos de femmes qui sont des militantes d’un islam fondamentaliste. Je crois qu’il aurait fallu faire preuve d’un sens critique plus aiguisé pour comprendre qu’il faut aller au-delà du discours du prétendu féminisme dans l’islam. Les sciences humaines nous apprennent que nous devons dépasser les simples affirmations des acteurs sociaux pour comprendre leurs motivations et les enjeux en question.

Le voile n’est pas qu’un simple bout de tissu ; c’est un symbole religieux puissant qui envoie un message dans l’espace public. La banalisation du voile ainsi que le silence sur la mise à l’écart et sur l’infériorisation des femmes constituent un recul par rapport à la lutte des nombreuses féministes, qui avons toujours milité pour la laïcisation de l’État comme un moyen de stopper les forces religieuses réactionnaires anti-femmes, qu’elles soient chrétiennes, juives ou musulmanes, et comme une condition essentielle pour intégrer une population de plus en plus multiculturelle.

Vous n’êtes pas sans savoir que la question du voile est une question explosive et que la majorité de la société québécoise est opposée aux accommodements demandés par une minorité de la communauté musulmane. Je doute sérieusement que le documentaire puisse permettre aux spectateurs et spectatrices de mettre en perspective les propos de ces deux femmes. Pour cela, il aurait fallu que la réalisatrice fasse elle-même œuvre critique et se plonge quelque peu dans le Coran pour pouvoir demander à ces deux femmes comment elles concilient leur « féminisme » avec certains extraits du Coran (1), où les hommes peuvent battre leurs femmes au simple soupçon d’infidélité ou quand elles n’obéissent pas, où les femmes menstruées sont déclarées impures, où l’homme peut répudier sa femme, où le témoignage d’une femme ne vaut que la moitié de celui d’un homme, où le garçon recevra une part d’héritage qui sera le double de celui de la fille, où les hommes ont autorité sur leurs femmes du seul fait de la préférence de Dieu en leur faveur, où la virginité et la jeunesse des femmes sont considérées comme des valeurs très importantes, etc.

Voici des extraits du Coran qui auraient pu mettre en perspective les propos de nos « sœurs musulmanes ».

« Ils t’interrogent au sujet de la menstruation des femmes ;
Dis : « C’est un mal ».
Tenez-vous là l’écart des femmes
Durant leur menstruation ; ne les approchez pas, tant qu’elles ne sont pas pures. » (Sourate 2 : 222) (2)

« Demandez le témoignage de deux témoins parmi vos hommes.
Si vous ne trouvez pas deux hommes,
Choisissez un homme et deux femmes (…).
Si l’une des deux femmes se trompe,
L’autre lui rappellera ce qu’elle aura oublié ». (Sourate 2 : 282)

« Quant à vos enfants
Dieu vous ordonne d’attribuer au garçon une part égale à celle de deux filles (…) ». (Sourate 4 : 11)

« Les hommes ont autorité sur les femmes,
En vertu de la préférence que Dieu leur a accordée sur elles,
et à cause des dépenses qu’ils font
pour assurer leur entretien. (…). (Sourate 4 : 34)

« Admonestez celles dont vous craignez l’infidélité ;
Reléguez-les dans des chambres à part et frappez-les.
Mais ne leur cherchez plus querelle,
Si elles vous obéissent. (Sourate 4 : 34)

« Dis aux croyantes de baisser leurs regards, d’être chastes, de ne montrer que l’extérieur de leurs atours, de rabattre leur voile sur leur poitrine, de ne montrer leurs atours qu’à leurs époux, ou à leurs pères, ou aux pères de leurs époux, ou à leurs fils ou aux fils de leurs époux, ou à leurs frères ou aux fils de leurs frères, ou aux fils de leurs sœurs, ou à leurs servantes ou à leurs esclaves, ou à leurs serviteurs mâles incapables d’actes sexuels, ou aux garçons impubères. » (Sourate 24 : 31)

« Ô Prophète !
Dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de se couvrir de leurs voiles : c’est pour elles le meilleur moyen de se faire connaître et de ne pas être offensées. » (Sourate 33 : 59)

« S’il vous répudie, son Seigneur lui donnera peut-être en échange des épouses meilleures que vous, soumise à Dieu, croyantes, pieuses, repentantes, adorantes, pratiquant le jeûne ; qu’elles aient été déjà mariées ou qu’elles soient vierges. » (Sourate 66 : 5)

Michèle Sirois
Anthropologue, spécialiste en sociologie des religions
Co-auteure de Individu et société. Introduction à la sociologie (2008, 4e édition, Gaëtan Morin Éditeur)

Notes

1. Extraits de D. Masson, Le Coran, tome I et II, Paris, Gallimard, 1967, collection Folio classique, no. 1233 et 1234.
2. Une sourate est un chapitre du Coran. Les deux points suivis d’un chiffre fait référence au verset.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 4 mars 2010

Michèle Sirois, anthropologue, spécialiste en sociologie des religions


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