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Le sexe s’invite à la Coupe du Monde

15 mars 2010

par Margaux Collet

L’Afrique du Sud demande 1 milliard de préservatifs avant le mondial de foot, en prévision d’une augmentation de la prostitution.



90 jours 5 heures 7 minutes 32 secondes. C’est à cet instant ce qu’indique le compte à rebours du site de la Fifa, pour accompagner l’impatience des supporters avant le coup d’envoi de la Coupe du monde. Déjà plus de 2 millions de billets vendus à des prix pouvant atteindre les 900 dollars sur le marché officiel. Plus de 450 000 supporters sont attendus pour le mondial sud-africain, entre le 11 juin et le 11 juillet.

Autant dire que le business est en marche. Et celui du sexe aussi. Car derrière les cérémonies d’ouverture et les constructions flambants neuves se cachent d’autres préparatifs : un tourisme sexuel, que dénoncent de nombreuses associations à chaque événement sportif d’une telle ampleur.

Le quotidien britannique The Guardian a révélé mercredi que le gouvernement sud-africain en appelait à l’aide internationale pour constituer un stock d’1 milliard de préservatifs avant le Mondial. Les Britanniques sont les premiers à répondre à l’appel des organisateurs par l’envoi de 42 millions de préservatifs. Pour le ministre britannique à la Coopération internationale Gareth Thomas, cité par le journal, « les Sud-Africains ont eux-mêmes identifié la nécessité d’avoir plus de préservatifs sur place. L’Afrique du Sud a spécifiquement fait appel à l’aide britannique et nous sommes en train de répondre à leur demande ». Selon Richard Poulin, professeur à l’université d’Ottawa, spécialiste de la mondialisation du sexe, les pays participants ont tout intérêt à répondre favorablement à cet appel : « Ils contribuent ainsi à endiguer le virus du sida en Afrique du sud, mais surtout ils anticipent le retour de leurs supporters. »

« 20% des supporters se prêteront au tourisme sexuel »

La demande sud-africaine peut paraître démesurée. Mais le Sud-Africain David Bayever, vice-président du Central Drug Autorities, a annoncé le 4 mars que « l’on pouvait estimer à 40 000 les prostituées qui viendraient en Afrique du sud pour l’occasion ». Un chiffre à ajouter aux 30 000 à 50 000 personnes prostituées en Afrique du sud en temps normal. Selon Jean-Marie Mallet, de la fondation Scelles qui lutte contre l’exploitation sexuelle des femmes, « on peut estimer que plus de 20% des supporters se prêteront au tourisme sexuel, soit 100 000 nouveaux clients pour le commerce du sexe ». Selon l’UNODC, agence de l’ONU contre la drogue et la criminalité, près de 10% des touristes s’adonneraient au tourisme sexuel. « Chiffre qui doit être pondéré à la hausse au vu de la pauvreté du pays et lors d’événements sportifs de ce type », explique le représentant de la Fondation Scelles.

Enfin, cette demande d’un milliard de capotes est à mettre en regard des 100 000 préservatifs mis à disposition des seuls athlètes lors des J.O d’hiver de Vancouver... et écoulés en quelques jours.

En Afrique du sud, aucune campagne de sensibilisation n’a pour le moment été lancée. « Question de distance peut-être », déplore Jean-Sébastien Mallet. Le débat est ouvert dans le pays organisateur pour envisager une libéralisation de la prostitution. Comme si les événements sportifs d’une telle ampleur marquaient une sorte de pause dans le droit et l’éthique. « Il semble aller de soit, que, pour la détente de ces messieurs, il faille inévitablement des femmes », constate Richard Poulin. Le Sud-Africain David Bayever a par ailleurs souligné que « le Mondial se déroulant pendant les vacances, des enfants vont être recrutés pour se prostituer ».

Le précédent allemand

Ce n’est pas la première fois que la corrélation entre sport et commerce sexuel suscite la polémique. L’annonce de la construction de bordels géants et de cabines du sexe à Berlin pour le Mondial en 2006 ou la distribution massive de préservatifs aux athlètes lors des JO de Vancouver ont déjà provoqué les foudres des associations.

Pour le Mondial en Allemagne en 2006, l’annonce de la construction de maisons closes et de véritables « drive-in » du sexe à proximité des stades avait scandalisé les associations de défenses des droits des femmes. Plus de 300 000 personnes se prostituent en Allemagne, selon l’OCRETH (Office central pour la répression de la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle), du fait notamment de la législation permissive dont elle dispose en matière de prostitution. 40 000 femmes supplémentaires auraient fait le déplacement pour la Coupe du monde, donnée qui reste « très difficile à vérifier », selon Jean-Sébastien Mallet. Il se dit très inquiet d’un « phénomène qui se répète à chaque événement sportif du fait de l’arrivée massive de touristes qui s’accompagne toujours d’une augmentation de la prostitution, en particulier chez les mineurs ».

La pétition internationale « Acheter du sexe n’est pas un sport ; non à l’organisation de la prostitution durant la Coupe du monde de football » lancée en 2006 à l’initiative de la « Coalition contre la traite des femmes »(CATW) a récolté près de 150 000 signatures. Politiques et médias avaient alors dénoncé ces « McDo du sexe » qui laissaient les autorités allemandes indifférentes. Le maire de Berlin, Klaus Wowereit, avait pour sa part fait distribuer 100 000 tracts en anglais édictant 10 règles de conduites à l’usage des supporters : « 1.Soyez poli et respectueux, 2. Assurez-vous que votre corps est propre, 3.Ne buvez pas trop,... ».

Quel bilan tirer de ces initiatives à l’approche du prochain mondial ? Le sociologue Richard Poulin, dans son article « Bordels, sport et défoulement masculin », note que « si le gouvernement allemand a minimisé l’impact de la Coupe du monde sur la traite des personnes, la police de Munich, pour ne citer qu’un exemple parmi d’autres, a constaté une augmentation de 63% des femmes prostituées dans les bordels "licenciés" ». Spécialisé en mondialisation des industries du sexe, il estime que « la campagne lancée par CATW a permis d’éviter l’arrivée massive de femmes venues d’autres pays car elle a mis la pression sur les autorités allemandes qui ont relativement durci leur législation ».

Débat en Afrique du sud

Face à cette situation, les autorités sud-africaines se divisent sur une éventuelle dépénalisation de la prostitution. Le débat s’est ouvert en avril 2007 avec une proposition de Jackie Selebi, directeur national de la police qui a depuis été suspendu pour des accusations de corruption. Il avait alors demandé à l’Assemblée de « considérer le droit de boire en public et la légalisation de la prostitution dans certains quartiers, pendant la durée de la Coupe du monde ». Des politiciens ont, depuis, continué dans cette voie. En janvier 2008, le député George Lekgetho a plaidé pour une légalisation de la prostitution. La même année, le maire de Durban, Logie Naidoo, a suggéré « l’attribution de permis aux prostituées pour faciliter les contrôles et la constructions de centres de strip-tease, comme en Allemagne ». Le débat n’est toujours pas tranché mais pour Richard Poulin, « il ne semblerait pas que l’on s’oriente vers une législation plus permissive ».

Dans un pays où près de 6 millions de la population est atteinte du VIH selon l’OMS, une augmentation de la prostitution laisse craindre une expansion de la maladie. Coïncidence ou pas avec l’approche du Mondial, la nation arc-en-ciel a lancé lundi son plan de riposte contre le Sida. Lors d’une rencontre à Johannesburg entre le vice-président, Kgalema Motlanthe et les directeurs exécutifs de l’Onusida et du Fonds mondial de lutte contre le sida, le pays a annoncé une enveloppe d’1,1 milliard de dollars investie dans la lutte contre le virus.

Organisateurs et pays participants semblent donc chercher à prévenir les risques que peut engendrer une hausse de la prostitution. Mais la répétition de ce phénomène conduit à s’interroger à savoir si sport et commerce du sexe serait indéniablement liés. « Certainement, répond le sociologue Richard Poulin pour qui, au moment des festivités sportives, il faut, semble-t-il, permettre aux hommes de se défouler et, pour cela, leur faciliter l’accès au sexe et au corps des jeunes femmes. »

 Source : Libération, le 11 mars 2010. Plusieurs commentaires sur le site de Libération.

Margaux Collet


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