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Le cancer du sein est une maladie, non une occasion de marketing

21 mars 2010

par Elsie Hambrook, présidente du Conseil consultatif sur la condition des femmes au Nouveau-Brunswick

Le groupe Breast Cancer Action demande de réfléchir avant d’utiliser le rose pour sensibiliser les gens. Il recommande de se renseigner sur la portion du montant qui sera versée aux programmes relatifs au cancer du sein et sur les efforts de l’entreprise pour s’assurer que ses produits ne contribuent pas à l’épidémie du cancer du sein, avant d’acheter un produit affichant un ruban rose.



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Dans la société d’aujourd’hui, puisque les seins ne sont plus simplement une autre partie du corps, nous aurions dû nous attendre à ce que les maladies du sein, comme le cancer, soient traitées différemment des autres maladies.

Pourtant, certaines campagnes de sensibilisation au cancer du sein sont étonnantes. La plupart sont inspirantes et rassembleuses, mais quelques-unes sont exploitantes.

Il y a quelques semaines, une avalanche de messages circulaient dans les corbeilles d’arrivée sur Facebook et sous la forme d’une lettre faisant partie d’une chaîne, exhortant les femmes à afficher la couleur de leur soutien-gorge dans leurs profils afin d’accroître la sensibilisation au cancer du sein - et pour confondre les hommes qui, en consultant leur profil, tombent sur une couleur, sans la moindre information ni la moindre explication - simplement la couleur du soutien-gorge. Bon nombre de gens ont immédiatement critiqué cette technique de « sensibilisation ». La blogueuse de Newsweek, Mary Carmichael, mentionnait : « À l’heure actuelle, il est inconcevable qu’une personne n’ait pas entendu parler du cancer du sein... Ce n’est pas de la sensibilisation ni de l’éducation, c’est de la titillation… C’est inoffensif, mais aussi absurde. » Un blogue féministe à Salon.com était encore plus tranchant : « Ce mouvement d’affichage de la couleur des soutiens-gorge semble un autre effort désespéré visant à donner aux gars l’occasion de débiter des conneries sur le cancer du sein en le rendant accrocheur et séduisant, ce que je considère non seulement gênant pour les femmes mais aussi insultant pour les hommes. »

En septembre dernier, Rethink Breast Cancer, un organisme caritatif canadien, a publié une annonce visant à promouvoir l’activité de financement « Boobyball » qui montre une femme plantureuse arrivant à un party au bord d’une piscine et qui est reluquée par les invités. La caméra va de plans serrés des seins bondissants de la jeune femme à des bribes de texte qui sont alignés pour dire : « Bien sûr que tu les aimes. Sauvons maintenant les nichons. »

Les campagnes de sensibilisation au cancer du sein à caractère sexuel sont une nouveauté, mais le marketing de la cause est plus courant – poser un ruban rose sur des produits dont une portion des ventes est destinée à la recherche ou à la sensibilisation. Les entreprises attirent l’attention des acheteurs sur leurs produits en raison de la nature caritative de la cause, mais elles contribuent uniquement l’équivalent de la portion des consommateurs alors qu’elles font d’énormes profits. Certaines entreprises s’engagent à doubler le don généré par les achats des clients, mais plusieurs d’entre elles n’indiquent pas qu’elles fixent aussi un plafond pour les dons. Une firme d’experts-conseils américaine a constaté que 79% des consommateurs passeraient à un produit ou à une marque qui s’identifie à une cause, toutes autres choses étant égales.

« Le cancer du sein est une maladie, non pas une occasion de marketing. C’est répréhensible », de dire Jeanne Sather, une patiente atteinte du cancer du sein et auteure du blogue The Assertive Cancer Patient.

Les entreprises peuvent aussi s’adonner au marketing de la « cause rose ». Le groupe de surveillance américain Breast Cancer Action définit la cause rose comme l’activité d’une entreprise fabriquant des produits qui peuvent causer le cancer du sein, tout en faisant la promotion d’activités de financement pour la lutte contre le cancer du sein. Ces entreprises profitent grandement du fait que les efforts visant à combattre le cancer du sein sont surtout axés sur le diagnostic et les traitements, non sur la prévention ou les études des causes exogènes de la maladie.

Le cancer du sein intéresse les entreprises qui veulent se lancer dans le marketing de la cause car l’accent n’est pas surtout mis sur la prévention. Si la prévention était un enjeu, les campagnes de lutte contre le cancer du sein porteraient en partie sur les polluants, les additifs et les hormones de croissance dans les aliments, la recherche insuffisante, l’étiquetage insuffisant et l’information insuffisante au consommateur, etc. – non sur des enjeux qui attirent les commanditaires.

Les entreprises sont aussi attirées par le marketing lié au cancer du sein car cette maladie ne comporte aucune présomption que la personne atteinte est en quelque sorte responsable de ce qui lui arrive, comme cela peut être le cas pour quelques autres maladies. La cause n’est pas d’ordre politique - elle permet aux entreprises de transmettre le message qu’elles sont soucieuses des femmes, sans être qualifiées d’activistes. Évidemment, l’image de seins est associée au sexe et à la maternité.

Dans son livre intitulé Pink Ribbons Inc., Samantha King souligne qu’il est peu probable que la lutte contre le cancer du sein soit gagnée tant qu’elle sera perçue comme un problème à enjeu unique non lié à d’autres états de santé ou à des enjeux sociaux plus larges. Les grandes fondations à vocation unique qui sont financées par les sociétés jouent actuellement un rôle prépondérant dans la défense de la cause de la santé. Les questions ayant trait aux soins de santé, à la discrimination ou à l’impact de l’environnement sur la maladie ont été mises de côté.

Le groupe Breast Cancer Action demande de réfléchir avant d’utiliser le rose pour sensibiliser les gens. Il recommande de se renseigner sur la portion du montant qui sera versée aux programmes relatifs au cancer du sein et sur les efforts de l’entreprise pour s’assurer que ses produits ne contribuent pas à l’épidémie du cancer du sein, avant d’acheter un produit affichant un ruban rose. La campagne a incité des entreprises à retirer de certains produits cosmétiques les additifs associés au cancer et de certains yogourts, l’hormone de croissance synthétique liée au cancer – y compris un yogourt avec couvercle rose, qui était vendu pour recueillir des fonds pour la lutte contre le cancer du sein, mais qui contenait du lait fortifié avec des hormones cancérogènes.

De merveilleuses initiatives appuient le travail important sur le cancer du sein. Nous devons toutefois examiner comment nous avons facilement recours à la culture de consommation pour appuyer la lutte contre le cancer du sein. Nous devons non seulement trouver une guérison, mais aussi axer les efforts sur la prévention et empêcher les entreprises de promouvoir leurs produits cancérogènes en s’associant à la cause rose. Nous devons inclure les hommes qui, non seulement peuvent développer la maladie – deux hommes sont morts d’un cancer du sein au Nouveau-Brunswick en 2007 – mais qui appuient leur mère, leur partenaire ou leurs sœurs atteintes de la maladie et qui sont sensibles à leurs souffrances. Nous devons inclure les hommes et non simplement éveiller brièvement leur intérêt par une sensibilisation condescendante à caractère sexuel.

Pour reprendre les propos de Barbara Ehrenreich, une survivante du cancer, on ne peut pas simplement poser un ruban rose et s’arrêter là.

* Nous remercions l’auteure d’autoriser la reproduction de cet article sur Sisyphe.

* English version.

 Site du CCSFNB.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 17 mars 2010.

Elsie Hambrook, présidente du Conseil consultatif sur la condition des femmes au Nouveau-Brunswick


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=3558 -