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Tariq Ramadan et un radicalisme qui ne dit pas son nom

18 avril 2010

par Micheline Bail, écrivaine

Le 8 mars dernier, Télé-Québec nous présentait Nos sœurs musulmanes, de Francine Pelletier. On peut reprocher à la réalisatrice d’avoir présenté une œuvre au premier degré et sans recul critique. On peut aussi reprocher à Télé-Québec d’avoir présenté ce film la journée internationale des femmes, comme s’il fallait comprendre que le modèle de ces femmes voilées n’avait d’autre signification que celle d’une quête spirituelle. Mais d’autres en ont parlé avant moi et mon propos est plutôt de signaler une dérive inquiétante, qui passe inaperçue au Québec et ailleurs, mais qui traverse tout ce documentaire : à savoir, les pressions et les manipulations occultes exercées sur la communauté musulmane pour qu’elle se radicalise, et dont les deux jeunes femmes qui choisissent de porter le voile dans le film ne sont que trop représentatives.

Fait significatif, elles sont toutes deux des militantes actives de Présence musulmane* et de l’Association musulmane québécoise. Et il se trouve que Présence musulmane est une créature de Tariq Ramadan, dont nos deux protagonistes se réclament d’ailleurs avec enthousiasme. Ramadan apparaît même par deux fois dans le film de Francine Pelletier et, comme toujours dans ce genre de circonstances, ses propos sont tout ce qu’il y a de plus corrects. Mais qu’en est-il dans d’autres circonstances ?

Qui est Tariq Ramadan ?

Caroline Fourest, une française, intellectuelle de gauche, féministe et auteure de plusieurs livres, fondatrice de la revue Pro-Choix et enseignante à l’Institut d’études politiques de Paris sur « Multiculturalisme et Universalisme », a passé plusieurs années à étudier de près le phénomène Tariq Ramadan. Elle a publié en 2004 chez Grasset Frère Tariq – discours, stratégie et méthode de Tariq Ramadan. L’auteure suit pas à pas le conférencier, elle répertorie et analyse ses innombrables conférences, ses prises de positions publiques, ses écrits et ses multiples accointances avec des groupes islamiques radicaux. Elle scrute aussi à la loupe ces fameuses cassettes distribuées à travers l’Europe et qui ont si fortement impressionné Geneviève Lepage, dans le film de Francine Pelletier, que cela l’a poussée à se convertir à l’islam.

D’abord bien disposée à l’égard de son sujet d’étude, Caroline Fourest en arrive à la conclusion suivante : « J’étais sûre d’avoir à dresser le portrait d’un prédicateur bigot et moraliste, bien plus que progressiste et tiers-mondiste. Mais pas aussi intégriste. Je pensais trouver en route la confrérie des Frères musulmans [Tariq Ramadan est le petit-fils du fondateur], au moins leur influence, mais je croyais encore Ramadan lorsqu’il revendiquait une pensée autonome. Je n’y crois plus. » (p.423) Elle ajoute : « Grâce à un argumentaire à double entrée, permettant de comprendre une chose à l’intérieur et une autre à l’extérieur, l’héritier tient toutes ses promesse à la fois : il déjoue les vigilances face à l’islamisme, établit des « sphères de collaboration », disqualifie les musulmans libéraux, radicalise les autres (…) Comme son père, Tariq Ramadan a compris que l’avenir de l’islamisme se jouait en Occident. Mieux que lui, il est armé pour jouer des interstices de la démocratie, profiter de la liberté d’expression, et abuser de la naïveté occidentale pour en faire sa terre de mission, de dawa, de shahada… de revanche » (p. 424).

Et comment s’y prend-il ? Par un prétendu « islam d’ouverture », nous dit Caroline Fourest, une approche apparemment modérée permettant à Tariq Ramadan « de séduire des musulmans ou des non-musulmans plutôt modernes qu’il va peu à peu initier à la radicalité puis à l’intégrisme, le terreau sur lequel pousseront ensuite de futurs terroristes. Comment ? En feignant de prôner une fraternité et une tolérance qui a surtout pour effet de culpabiliser le moindre musulman modéré au profit des extrémistes. La vigilance désamorcée, il ne reste plus qu’à mettre les musulmans ainsi ferrés en contact avec le réseau des Frères » (p. 300). Quand un jeune (homme ou femme) est ainsi appâté, il cesse de juger les intégristes, accuse d’islamophobie ceux qui les critiquent, et il s’imprègne de tous les écrits de son gourou. Qui leur offre pour référence théologique Qaradhawi, l’homme qui approuve les attentats kamikazes, et Mawlawi, celui qui appelle au jihad contre ceux qui apostasient. Et de nous dire encore l’auteure : « Comment s’étonner enfin que Tariq Ramadan continue d’être la vedette des Frères musulmans les plus durs – en Algérie, au Yémen, en Syrie – malgré une presse qui le présente encore parfois comme un réformateur et un pacificateur ? Tout simplement parce que cette presse se trompe : Tariq Ramadan n’est pas un agent de pacification mais un agent de radicalisation. D’autant plus redoutable qu’il est moins repérable » (p.301).

Une radicalisation qui n’est pas sans conséquences

La radicalisation des deux protagonistes du film de Francine Pelletier n’est d’ailleurs qu’un exemple parmi tant d’autres de l’impact des méthodes du fameux conférencier. Il se sert habilement d’une armée de jeunes femmes éduquées et scolarisées pour faire avancer sa cause. Tariq Ramadan a vite compris l’intérêt de laisser les « sœurs » aller défendre le voile dans la sphère publique pour que le message passe mieux. Ne dit-il pas, dans une cassette intitulée « La femme musulmane face à son devoir d’engagement » et dont le contenu est rapporté dans un autre livre de Caroline Fourest, publié en 2009 chez Grasset et intitulé La dernière utopie – menaces sur l’universalisme : « On n’est pas crédible quand on parle à la place des femmes (…) Je vous promets que le discours des femmes, quand il est compris, quand une femme nous dit : « Attendez, moi le voile que je porte, il n’est pas la contrainte de mon père, il n’est pas la contrainte de mon mari, c’est une exigence de ma foi et un acte de mon cœur… Eh bien quand les femmes disent ceci, je vous promets qu’elles touchent énormément de femmes ». Et madame Fourest d’ajouter que « leur maîtrise et leur politisation impressionnent ceux qui pensent encore que les filles voilées sont soumises ou analphabètes. Loin de subir l’influence de leurs parents, ces jeunes musulmanes modernes et éduquées ont choisi délibérément un islam rétrograde et politique… N’est-ce pas plus grave ? »( p.199)

Ici comme dans toutes les démocraties, cette montée de l’islamisme prend diverses formes : revendications d’horaires de piscine séparés pour les femmes ; de salles de prière dans les écoles, les universités, les milieux de travail ; revendications du port du voile islamique dans les institutions publiques et maintenant du niqab et de la burka ; de repas hallal dans les cafétérias ; de services publics offerts par des fonctionnaires du même sexe ; ségrégation des sexes en tout lieu ; recours aux tribunaux pour le moindre refus au nom de la liberté religieuse, enseignement de l’islam à des enfants de garderie, etc.

On pourrait croire qu’il s’agit là d’une nouvelle théorie du complot comme il y en a tant, que cela est invraisemblable et farfelu. Pourtant, les conclusions de Caroline Fourest sont fondées, sérieuses et très bien documentées. Notre démocratie libérale est terriblement vulnérable face à ce type de manipulateur qui avance masqué et tient un double discours soigneusement ficelé, à seule fin de faire avancer un projet religieux fondamentaliste et intégriste. D’autant que Tariq Ramadan mène son combat dans des sociétés de droit où il jouit d’une liberté d’expression bétonnée. Son but ultime étant d’édifier une société idéale fondée sur la charia, il fait ouvertement l’apologie de la tromperie auprès de ses recrues convaincues, tout en appelant au grand jour la collaboration des progressistes qui défendent le droit, la justice et la dignité humaine. Il n’hésite donc pas à tromper et à manipuler ce formidable réservoir d’alliés politiques que lui offrent nos sociétés tolérantes, que ces alliés de circonstance soient laïques, gauchistes, intellectuels, féministes, ou simplement naïfs. Ce qui souligne l’immense vulnérabilité de nos sociétés ouvertes et tolérantes devant ce genre de stratégie occulte.

On ne pourra ralentir cette « marche vers l’obscurité » qu’en demeurant vigilants, et en dénonçant tout ce qui semble aller à l’encontre des valeurs fondatrices de nos sociétés ouvertes, au risque même de passer pour « islamophobes ». L’ouverture et la tolérance sont de grandes mais fragiles conquêtes de la modernité. Veillons à ce qu’elles ne deviennent pas les instruments d’un retour vers les ténèbres.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 22 mars 2010

Micheline Bail, écrivaine

P.S.

* Note de Sisyphe

Présence musulmane Montréal met Sisyphe en demeure de publier sa réplique à Djemila Benhabib




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