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Algérie - Le lynchage des femmes de Hassi Messaoud se poursuit

26 avril 2010

par Nadia Kaci, comédienne et auteure

Des faits extrêmement graves ont eu lieu ces deux derniers mois dans la ville de Hassi Messaoud, base pétrolière du sud algérien où une chasse aux femmes s’est organisée. Ces dernières, venues des quatre coins du pays, travaillant dans des multinationales afin de subvenir aux besoins de leurs familles, se sont fait agresser régulièrement la nuit. Leurs maisons ont été saccagées et pillées par des hommes armés de gourdins, de haches, de couteaux, qui agissaient cagoulés, ou même à visage découvert. La plupart du temps, les femmes avaient beau hurler, aucun voisin ne leur venait en aide. Lorsqu’elles se rendaient au commissariat, elles devaient supplier des policiers méprisants pour que leurs plaintes soient enregistrées. Dans la nuit du dimanche 11 avril 2010, les agressions ont redoublé. Aucun auteur de ces crimes n’a été poursuivi en justice. Aujourd’hui, si un certain calme est revenu, les femmes subissent des pressions et intimidations en tout genre.

Ces crimes ne sont que la continuité de la tragédie du 13 juillet 2001, dont il est important de rappeler les faits : plus d’une centaine de femmes furent violées et torturées à l’appel d’un imam, par quatre cents à cinq cents hommes – l’une d’elles fut enterrée vivante ! Sur cette foule ayant commis ce pogrom, seuls vingt-neuf hommes ont été accusés. Parmi eux, seuls trois hommes ont réellement purgé leur peine. Les autres ont été condamnés par contumace, ou encore innocentés ! L’imam, lui, a été arrêté quelques heures et relâché sur injonction d’Alger !

Le Code de la famille voté en 1984 à l’Assemblée nationale algérienne est pour moi l’un des facteurs qui a rendu possible le lynchage des femmes de Hassi Messaoud. Il régit le statut personnel de la femme au sein du couple, faisant d’elle une mineure à vie, passant de la tutelle du père à celle du mari, devant obéissance à ce dernier, et pouvant être répudiée à n’importe quel moment, le mari ayant le droit de garder le logement conjugal pendant que la femme se retrouve dehors avec ses enfants. Et même si ce code a connu de légers amendements, en 2005, il reste profondément inégalitaire et criminel. En fragilisant les femmes et leurs enfants, c’est une société tout entière qu’il a fragilisée. De plus, en mettant les femmes à la disposition et sous le contrôle des hommes, ce code envoie un message fort à toute la société et aux hommes en particulier : "Si vous avez des problèmes de mal-être, ne nous cassez pas la tête avec vos revendications, défoulez-vous sur les femmes !" Comme dit le proverbe algérien : "Tekber ou tansa wou ttaffrha fi’n’sa", "Tu grandiras, tu oublieras et tu le feras payer aux femmes."

Le deuxième facteur important est le travail de grande envergure des intégristes qui, pendant des années, ont imprégné tout le tissu social de leurs discours profondément haineux et misogynes, en désignant les femmes comme la cause de tous les maux de la société. Ils ont détourné les textes religieux de façon à renforcer la suprématie des hommes. Pendant les années de terrorisme triomphant, à la menace des femmes qui ne se soumettaient pas, s’est ajouté l’enlèvement de plusieurs milliers d’entre elles dans les maquis par les groupes armés intégristes. Elles y furent violées, torturées, soumises à l’esclavage. Beaucoup d’entre elles ont été assassinées ou ont disparu dans la nature. Leurs bourreaux ont très peu été inquiétés, voire pas du tout. Aujourd’hui, on les appelle des repentis sans qu’ils se soient repentis de rien et ils se meuvent dans les villes en toute impunité.

Partout en Algérie, des femmes humiliées n’arrivent pas à faire valoir leurs droits à la sécurité pourtant inscrits dans la Constitution.

Voilà comment ces dernières années les violences à l’encontre des femmes a augmenté de façon alarmante.

Si ces dernières nuits les femmes de Hassi Messaoud ont pu dormir tranquillement, je sais à quel point leur répit est fragile et temporaire : ceux qui leur en veulent d’avoir crié à l’aide savent attendre…

Aussi, j’en appelle au gouvernement algérien pour faire respecter la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, qu’il a ratifiée en 1996.

J’en appelle à la cinquantaine de multinationales qui emploient ces femmes pour les protéger au lieu de les fragiliser en les menaçant de licenciement, comme certaines l’ont été pour cause d’absence provoquée par leurs agressions.

Et si, aujourd’hui, plusieurs associations algériennes se sont mobilisées, j’appelle le peuple algérien à exprimer son désaccord sur ce qui entache son intégrité.

Hassi Messaoud n’est pas une affaire de femmes, c’est une affaire d’État. C’est aussi une affaire de droits humains. En somme, c’est notre affaire à tous !

 Nadia Kaci est comédienne, coauteure de Laissées pour mortes. Le lynchage des femmes de Hassi Messaoud, Max Milo éditions.

Le Monde, 22 avril 2010, section Point de vue.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 24 avril 2010

Nadia Kaci, comédienne et auteure


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