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Les concepts de syndrome d’aliénation parentale (SAP) et d’enfants aliénés (EA) : sources d’erreur dans les conflits de garde d’enfants

30 septembre 2011

par Carol S. Bruch, professeure et chercheure en droit

Cet article se penche sur les solutions proposées par les professionnels de santé mentale et de droit face aux enfants qui sont réticents à rendre visite à celui de leurs parents chez lequel ils ne vivent pas. Cette étude décèle dans les notions de Syndrome d’Aliénation Parentale et d’Enfants Aliénés un manque de rigueur analytique qui met les enfants en danger. L’auteure suggère en conclusion de meilleures manières d’évaluer les nouvelles théories issues des sciences sociales.

Les conventions de citation s’appuient en partie sur The Bluebook : A Uniform System of Citation (Harvard Law Review Assoc., 17th ed 2001).



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Il y a deux ans, la professeure Carol Bruch publiait une recherche qui faisait suite à cet article, intitulée Sound Research or Wishful Thinking in Child Custody Cases ? Lessons from Relocation Law (Recherche scientifique ou vues de l’esprit dans les conflits de garde d’enfants ? Considérations sur la loi relative aux déménagements post-divorce), 40 Family Law Quarterly 281 (2006), disponible en format PDF à cette page. Carol Bruch y fait état des découvertes les plus récentes concernant les besoins des enfants après la séparation de leurs parents et dénonce les erreurs commises par les promoteurs les plus en vue des concepts de PAS, PA, AC et HAP (Parental Alienation Syndrome, Parental Alienation, Alienated Children et Hostile Aggressive Parenting : concepts généralement traduits en français par Syndrome d’Aliénation Parentale (SAP), Aliénation Parentale (AP), Enfants Aliénés (EA) et Dressage à l’Agressivité et à l’Hostilité (DAH)).

L’auteure remercie sincèrement la traductrice, Hélène Palma, Maître de Conférences en études anglophones à l’Université de Provence (Aix-Marseille I), pour la version française du présent article. L’auteure et la traductrice expriment toute leur reconnaissance à l’Honorable Claire L’Heureux-Dubé, ancienne Juge de la Cour Suprême du Canada, ainsi qu’à Sara Greaves, Maître de Conférences en études anglophones à l’Université de Provence (Aix-Marseille I), pour leur relecture attentive de la version française de cet article. Leurs remerciements vont également à Alexandra Leturcq, doctorante en droit de l’Université Paul Cézanne (Aix-en-Provence), et Fanny Charvet, de l’Université de Californie, Davis, pour leurs conseils.

La traductrice remercie l’auteure de cet article pour sa collaboration chaleureuse et constructive et dédie cette traduction à la mémoire de Léo Thiers-Vidal (15 décembre 1970-11 novembre 2007), précieux compagnon de route et ami infiniment regretté.

Introduction

Alors que les tribunaux et les organes législatifs poursuivent leurs innovations enthousiastes en matière de réforme du droit de la famille, ils font fréquemment usage de théories et de recherches issues des sciences sociales. Cette étude se concentre sur les évolutions issues du Syndrome d’Aliénation Parentale en matière de droit de garde des enfants. Théorie inventée en 1985, le SAP a été massivement utilisé (parfois sous l’appellation d’Aliénation Parentale) malgré son manque de fondements scientifiques. Cet article met en lumière les problèmes théoriques et pratiques liés au SAP, aborde, toujours sur les plans théorique et pratique, des études plus récentes concernant la notion d’Enfants Aliénés (EA) et conclut sur des recommandations à l’adresse des avocats et des juges qui sont amenés à se prononcer sur ces nouvelles théories et de celles qui suivront.

Le SAP et ses détracteurs

    La doctrine du SAP

Le pédopsychiatre Richard Gardner a créé l’expression Syndrome d’Aliénation Parentale en 1985 pour décrire ses impressions cliniques lors de l’observation de cas qu’il pensait être des fausses allégations d’agressions sexuelles. (1) De son point de vue, le SAP est par essence la campagne de dénigrement d’un parent de la part d’un enfant, “résultant de sa ‘programmation’ (‘lavage de cerveau’) par l’un des parents dans le but de dénigrer l’autre ; ce sont également les contributions créées par l’enfant lui-même à la campagne de dénigrement menée par l’un de ses parents”. (2) Le Dr Gardner a commencé par affirmer que le SAP était présent chez environ 90% des enfants dont les familles traversent un conflit de garde mais n’a pas fourni de résultats de recherche permettant de soutenir ses affirmations concernant ce syndrome, sa fréquence ou son contexte. En fait ses premières estimations ont été très largement exagérées, en particulier en ce qui concerne la fréquence des fausses allégations d’agressions sexuelles (3), et une révision postérieure de ses estimations s’est révélée bien plus mesurée. (4)

Au cours des dernières années, l’utilisation de l’expression SAP s’est développée de manière très importante, incluant des cas de tous types dans lesquels un enfant refusait de se rendre chez celui de ses parents qui n’avait pas sa garde, que le refus de l’enfant implique ou non des allégations de violences. Bien qu’il soit arrivé au Dr Gardner d’affirmer que son analyse ne s’applique pas aux cas dans lesquels des violences ont réellement été perpétrées (5), son attention se concentre sur la question de savoir si le parent aimé et l’enfant mentent et non de savoir si le parent rejeté est malhonnête ou s’il s’est comporté d’une manière qui pourrait expliquer l’aversion de l’enfant à son égard. (6) Le traitement qu’il recommande dans les cas graves est de transférer la garde de l’enfant, afin qu’il soit déprogrammé, du domicile du parent aimé à celui du parent rejeté. Cela peut impliquer une prise en charge institutionnelle pour des soins pendant une période transitoire ; tout contact, même des appels téléphoniques, avec le parent principal pourvoyeur de soins doit être interrompu pour “au mois quelques semaines”. C’est seulement après un lavage de cerveau inverse que l’enfant peut reprendre progressivement contact avec le parent ayant autrefois la garde de l’enfant, à travers des visites surveillées. (7)

    Le contexte dans lequel le SAP est censé survenir

Les familles hautement conflictuelles sont, bien sûr, représentées de manière disproportionnée parmi celles qui contestent les décisions de justice en matière de garde et de droits de visite des enfants. (8) Ces dossiers comportent fréquemment de la violence domestique, des agressions sur enfants et de l’abus de substances. (9) De nombreux parents sont en colère et une large gamme de problèmes liés aux droits de visite surviennent. Il est possible que la description faite par le Dr Gardner du SAP rappelle à des parents, thérapeutes, avocats, médiateurs et juges des émotions fréquemment rencontrées et ceci permet peut-être d’expliquer pourquoi le public du Dr Gardner a si souvent accepté le SAP sans se poser de questions. Ces professionnels font cependant preuve, et cela est troublant, d’une totale absence d’analyse soignée et d’attention à la rigueur scientifique. Comme la discussion qui suit va le montrer, ce manque d’attention a permis à ce qu’on appelle familièrement de la “science de comptoir” (de la pseudo-science) d’influencer des dossiers de garde d’enfants d’une manière qui expose ces derniers à des dangers.

    Les failles dans la théorie du SAP

Les faiblesses dans la théorie du SAP sont nombreuses. Certaines ont déjà été identifiées dans la littérature en sciences sociales et les opinions judiciaires concernant les gardes d’enfants ; d’autres continuent à apparaître. Premièrement, Gardner considère comme une psychose la réaction, liée à son développement, d’un enfant au divorce et le haut conflit parental (y compris impliquant de la violence). (10) Ce faisant, il omet de prendre en compte la colère, totalement prévisible et souvent inappropriée, des parents et des enfants à la suite d’un divorce. Cette erreur le conduit à affirmer que le SAP constitue un exemple fréquent de “folie à deux” ou “folie à trois” qui, selon l’Association Américaine de Psychiatrie (APA) et des études universitaires, sont des désordres psychotiques collectifs très rares. (11) L’affirmation de Gardner selon laquelle ces désordres apparaîtraient principalement chez les jeunes enfants est aussi contraire à la littérature spécialisée et est probablement due à une mauvaise interprétation des réactions typiques des jeunes enfants au divorce, liée à une méconnaissance de leur développement. (13)

Deuxièmement, et peut-être en conséquence de ces erreurs et de sa vision très partielle du problème, à la manière de l’histoire des aveugles et de l’éléphant (14), Gardner exagère largement la fréquence des cas dans lesquels enfants et parents ayant la garde des enfants fabriquent de toutes pièces de fausses allégations ou se liguent dans le but de détruire la relation de l’enfant avec l’autre parent. La conséquence pratique de ces affirmations prises ensemble est que toute allégation de violences s’en trouve remise en cause : Gardner affirme que ces allégations sont généralement fausses dans le contexte d’un divorce. (15) Là encore, Gardner ne cite aucune preuve à l’appui de son point de vue personnel, alors que la littérature spécialisée fait état de l’inverse, à savoir que ces allégations sont habituellement fondées. (16)

Troisièmement et de cette manière, le SAP conduit à détourner l’attention : on s’intéresse moins au comportement—peut-être dangereux—du parent qui réclame la garde des enfants qu’à celui qui l’a. Cette personne, qui tente peut-être de protéger son enfant, est au contraire soupçonnée de mentir et de l’intoxiquer. En effet, selon Gardner, les démarches entreprises par le parent ayant la garde de l’enfant, inquiet pour ce dernier, afin d’obtenir de l’assistance dans le diagnostic, le traitement et la protection de son enfant, sont une preuve que les allégations portées sont fausses. (17) Pire encore, si des thérapeutes admettent qu’il y a un danger, Gardner affirme qu’il s’agit presque toujours de thérapeutes femmes misandres qui participent avec l’enfant plaignant et le parent inquiet à une “folie à trois”. (18) Il met en effet les juges en garde et leur conseille de ne pas prendre au sérieux les allégations de violence dans le contexte de divorces hautement conflictuels (cas graves de SAP). Ni Gardner ni ceux qui admettent ses analyses ne reconnaissent qu’il y a un problème de logique lorsque Gardner affirme que des allégations de violences avalisées par des thérapeutes sont la preuve que le parent protecteur est aliénant.

Quatrièmement, Gardner croit que, particulièrement dans les cas graves, la relation entre un enfant aliéné et le parent rejeté est irrémédiablement compromise, probablement vouée à s’éteindre pour toujours (19) à moins que des mesures immédiates, draconiennes (transfert de garde, isolement du parent aimé et déprogrammation) ne soient prises. Là encore, des études fiables montrent que sa théorie est exagérée, la plupart des cas se résolvant lorsque l’enfant murit (à l’exception de cas inhabituels, par exemple ceux qui s’observent dans les familles violentes). (20)

Cinquièmement, ainsi que le suggèrent ces études, le remède proposé par Gardner pour les cas extrêmes est infondé et met les enfants en danger. (21) Lorsqu’il préfère ne pas débusquer des adultes maltraitants, Gardner semble avoir volontairement négligé les différences de politique entre le droit pénal et le droit familial et également mal comprendre la différence dans la manière de rapporter des preuves dans les dossiers criminels et civils aux Etats-Unis. À tel point que le SAP conduit à placer des enfants auprès d’un parent qui est en fait violent et à les priver de contact avec le parent qui pourrait les aider. Des groupes de parents et des rapports d’enquête décrivent en effet de nombreux cas dans lesquels des tribunaux ont transféré la garde d’enfants à des agresseurs connus ou probables tandis que les parents ayant autrefois la garde étaient privés de contact avec les enfants qu’ils avaient tenté de protéger. (22) Dans les cas moins extrêmes, également, les enfants risquent de souffrir de cette rupture soudaine dans leur vie familiale et leur relation au parent auquel ils font confiance. Même les thérapeutes qui admettent la théorie du SAP ont vainement mis en garde contre les transferts de garde dans certains cas rapportés pour lesquels il semble que des juges aient appliqué les idées de Gardner de leur propre initiative. (23)

En somme, la réticence ou le refus d’un enfant de rendre visite au parent n’ayant pas sa garde trouve certainement meilleure explication en se passant de la théorie de Gardner. Des études, qui se sont intéressées à des familles pendant plusieurs années, par exemple, indiquent que les visites peuvent cesser ou être difficiles lorsqu’une gamme variée de raisons conduit les parents ayant la garde des enfants et les enfants à se sentir en colère ou mal à l’aise avec l’autre parent. Il est fréquent que le comportement du parent n’ayant pas la garde et le stade de développement de l’enfant jouent des rôles décisifs. Les prises de position ou les alliances qui peuvent quelque peu ressembler à ce que décrit Gardner sont bien moins fréquentes qu’il le suggère, et même dans les cas extrêmes, les chercheurs s’accordent pour estimer que la théorie du SAP propose des solutions inappropriées et dangereuses qui aggravent le problème. (24)

Le “matraquage” du SAP dans les conflits de garde d’enfants

Alors comment se peut-il qu’une analyse aussi gravement défaillante, exagérée et dangereuse ait été aussi largement acceptée ? Qu’est-ce qui incite les juges à ordonner des transferts de garde contre l’avis unanime d’experts dans un cas ? (25) Premièrement, Gardner est largement, mais à tort, considéré comme un professeur dans une université prestigieuse. (26) Cette aura de compétence accompagne ses travaux, et peu de gens ont conscience que la majeure partie d’entre eux sont publiés à compte d’auteur (27), manquant de rigueur scientifique (28) et que ses livres sur le SAP ne figurent même pas dans les bibliothèques de recherche et des universités. (29) De plus, Gardner promeut ses écrits et ses services en tant qu’expert à travers son propre site Internet (30), des sites d’organisations de pères (31) renvoient vers son site ; Gardner propose également des séries de cours de formation continue pour professionnels. (32) Finalement, il déclare ou suggère souvent de manière inexacte que le SAP est repris par ou s’intègre aux travaux reconnus de confrères. (33)

L’article de 8 pages paru dans la revue de l’association des juges américains (Journal of the American Judges Association) est un exemple particulièrement typique. (34) Gardner y est identifié seulement sous son titre honorifique (35) et l’article ne produit que 10 sources (9 sont issues des propres écrits de Gardner, une de Sigmund Freud) à l’appui de ses affirmations graves voire hyperboliques. (36)

Force est de constater, qu’avec le temps, et depuis que Gardner a commencé à diffuser sa théorie, l’expression SAP est entrée dans l’usage courant. Les médias, parents, thérapeutes, avocats et juges se réfèrent maintenant fréquemment au SAP, nombre d’entre eux présumant qu’il s’agit d’un diagnostic de santé mentale utile et scientifiquement prouvé. (37) En pratique, logiquement, on sait qu’aux Etats-Unis lorsque des accusations d’agressions sexuelles sur enfants sont formulées ou lorsque des droits de visite se déroulent mal, il faut se préparer à faire face à une plainte en réponse allégant qu’il s’agit de SAP et non d’agression ou d’autres difficultés. (38)

Une recherche électronique concernant tous les cas américains recensés entre 1985 et février 2001 faisant usage de l’expression “parental alienation syndrome” (syndrome d’aliénation parentale) montre que de nombreux professionnels de santé mentale autres que Gardner ont diagnostiqué des SAP, mais qu’ils étaient bien moins nombreux à requérir un transfert de garde ou l’arrêt des contacts avec le parent ayant été initialement gardien. La recherche a conduit à 48 cas issus de 20 États, y compris, pour six États, des tribunaux les plus élevés. Le degré d’utilisation de la notion de SAP par des témoins experts, des avocats ou des juges dans ces cas et l’absence presque totale de vérification de sa validité scientifique sont profondément préoccupants. (39) C’est seulement dans une poignée de cas que le tribunal ou la Cour d’appel se sont interrogés précisément sur la recevabilité de ce prétendu syndrome selon les précédents reconnus, qui évaluent soit l’acceptation d’une théorie par la communauté scientifique soit la recevabilité de sa méthodologie scientifique (40), et dans plusieurs de ces cas le tribunal a souvent estimé qu’il n’avait pas besoin de trancher sur la question de la recevabilité puisqu’on n’avait démontré l’existence d’aucune aliénation. (41) A plusieurs occasions, toutefois, des Cours d’appel ont signalé aux tribunaux que le travail de Gardner était gravement remis en cause. (42)

Dans les quelques cas mentionnés pour lesquels le témoignage proposé par Gardner était contesté ou la validité du SAP par ailleurs remise en cause, les tribunaux ont habituellement exclu son témoignage et ne se sont pas fiés à la théorie du SAP. Dans ces cas, on voit les tribunaux exprimer deux types d’inquiétude. D’abord, les tribunaux refusent avec cohérence de laisser Gardner estimer si les témoins disent la vérité ou non, notant que cette question est réservée au juge ou jury (“the trier of fact”). (43)

Deuxièmement, la plupart des tribunaux américains qui se sont penchés sur la question s’accordent à dire que le SAP n’est généralement pas admis par des professionnels et ne se conforme pas au test applicable en termes de fiabilité scientifique. (44) Ces conclusions sont relayées par un juriste canadien dans un article discutant des questions de recevabilité selon le droit tant américain que canadien et par d’autres professionnels renommés. Le Dr Paul J Fink, ancien président de l’Association Américaine de Psychiatrie (APA) et président du Leadership Council on Mental Health, Justice and the Media a par exemple déclaré de manière assez directe, “Le SAP en tant que théorie scientifique a été laminé par des chercheurs légitimes à travers tout le pays. Si on le jugeait seulement à la lumière de ses mérites, le Dr Gardner ne devrait être qu’une assez misérable note de bas de page ou un exemple de critères scientifiques de piètre qualité”. (46)

À la suite de nombreuses critiques scientifiques, Gardner a retiré le test qu’il avait mis au point pour déterminer si des agressions sexuelles avaient eu lieu. (47) Cependant, ainsi que Faller l’a remarqué après avoir observé de près la théorie de Gardner, la série de questions qui constituait ce test a simplement été remplacée par d’autres publications avec de nouveaux titres qui reproduisent très largement le contenu et la méthodologie de ses travaux antérieurs. (48)

Malgré le bon travail accompli par la plupart des tribunaux, qui se sont interrogés sur l’honnêteté scientifique du SAP, il n’y a pas de quoi se réjouir. Pour la grande majorité desconflits dans lesquels le SAP apparaît, on s’aperçoit qu’un ou plusieurs experts ont évalué le cas à la lumière du SAP et rien ne montre que quiconque, tant chez les experts que les avocats ou les juges, ait pensé à se demander si cette théorie est correctement fondée ou si elle conduit à des recommendations ou des jugements acceptables. (49) On constate ailleurs un manque de rigueur comparable. (50)

Les autorités anglaises

En Angleterre et au Pays de Galles, c’est à deux reprises que la Cour d’appel a eu à traiter des dossiers s’appuyant sur le SAP : Re L (Contact : Domestic Violence) ; Re V (Contact : Domestic Violence) ; Re M (Contact : Domestic Violence) ; Re H (Contact : Domestic Violence) (51) et Re C (Prohibition on Further Applications). (52) À chaque fois, la Cour d’appel a exprimé de sérieux doutes à propos de ce syndrome.

La première fois, la Cour, qui en a le loisir, a commandé un rapport d’expert préalablement à l’examen du dossier. Le résultat de cette demande est un rapport préparé et ensuite publié par deux psychiatres renommées, les docteurs Claire Sturge et Danya Glaser. (53 Ce rapport présente des principes de psychiatrie liés au développement des enfants qui fournit des principes pour guider les tribunaux en matière de cas de droits de visite. Répondant aux questions qui lui ont été posées, le rapport indique les références pertinentes en la matière et les avantages et inconvénients potentiels des droits de visite en général. Le rapport traite ensuite de violence domestique et d’autres situations difficiles. Les auteures analysent spécifiquement le SAP, qu’elles estiment inutile. (54) Récusant les recommandations du SAP en matière de cause et de traitement, les expertes préfèrent recommander une approche au cas par cas. (55)

La Cour d’appel a expressément accepté la teneur et les conclusions du rapport, et, dans la discussion concernant le troisième appel conjoint, Re M, la Présidente de la Cour, Dame Elizabeth Butler-Sloss s’est à nouveau référée à ce rapport. Elle a noté le diagnostic de SAP posé dans ce dossier par l’expert du tribunal, le Dr LF Lowenstein, et le fait qu’il recommandait une thérapie d’au moins six séances suivie d’un nouveau rapport. (56) La présidente a par ailleurs indiqué que même l’aliénation d’un enfant par l’un de ses parents est “très loin d’être un syndrome reconnu nécessitant l’intervention d’experts en santé mentale”, que non seulement le Dr Lowenstein se situe “à l’extrémité du champ large des professionnels de santé mentale” mais qu’il est également “regrettable” que les avocats des parents aient été “incapables de trouver un expert qui se situe dans le courant modéré de ce domaine”.

Dans Re C, la Cour d’appel a redit son scepticisme quant à la plainte, s’appuyant sur le SAP, d’un justiciable. Mais cette fois, la Cour s’est moins penchée sur le SAP lui-même que sur d’autres explications, bien plus plausibles, justifiant le refus d’une enfant de rencontrer son père. (57) L’arrêt rendu par la Présidente de la Cour exprime son mécontentement constant à l’égard de la théorie du SAP. (58)

La Cour n’a toutefois pas indiqué que les arguments s’appuyant sur le SAP ne devraient être acceptés comme preuve qu’à condition que la théorie soit conforme aux tests de fiabilité des preuves utilisés pour vérifier les théories scientifiques récentes. Or, en montrant que dans Re L (Contact : Domestic Violence) le SAP n’avait pas satisfait à ce test et que Re C (Prohibition on Further Applications) ne démontrait pas le contraire, la Cour avait la possibilité de faire taire ces voix qui affirmaient sans fondement mais avec véhémence que l’arrêt Re C reconnaîtrait la légitimité du SAP. (59)

Dans les faits, le SAP a fourni des avantages dans les litiges judiciaires aux parents qui n’ont pas la garde de leurs enfants et qui sont suffisamment fortunés pour payer des avocats et des experts. (60) Il est possible que de nombreux avocats et professionnels de santé mentale aient en l’espèce simplement saisi une occasion d’obtenir une nouvelle source de revenus — une manière de “faire quelque chose pour le père lorsqu’il me paye” comme l’a déclaré un avocat. Pour ceux qui s’intéressent au bien-être des enfants, il importe peu que le SAP soit un exemple de plus de ces “mythes de comptoir” complaisamment endossés par les medias et ceux qui sont impliqués dans les conflits autour de la garde des enfants, ou qu’il soit le signe qu’avocats et professionnels de santé mentale ne savent pas véritablement évaluer les nouvelles théories en psychologie. (61) Cette dernière hypothèse peut cependant expliquer pourquoi le prix annuel décerné aux travaux de recherche par la section “résolution alternative des conflits” de l’Association du Barreau sméricain a été attribué à un travail consacré au SAP (62), qui n’en évaluait nullement la qualité et qui est donc irrecevable. La même hypothèse peut aussi expliquer pourquoi des articles consacrés au SAP, qui rendent mal compte de la recherche actuelle, ont pu être publiés dans des revues dotées d’un comité de lecture. (63)

Le rapport de Sturge et de Glaser a déjà acquis de l’importance en Angleterre et il est certain qu’à mesure qu’il sera connu, son impact ailleurs sera favorable. Parce qu’il reflète précisément la recherche et les connaissances récentes en la matière (64), il se distingue de la littérature qui cherche à promouvoir le SAP. Trop souvent, dans cette littérature, la recherche scientifique et le droit jurisprudentiel (case law) sont exclus de la discussion (65), ou s’ils sont pris en compte, c’est sans les comprendre ou bien en les déformant. (66) (...) -> Lire la suite dans le document à télécharger ci-dessous.

Note de Sisyphe - Nous avons supprimé les notes de bas de pages pour la publication électronique dans cette page, mais les très nombreuses références contenues dans le document intégral fournissent des renseignements essentiels à une pleine compréhension de cet article de nature technique.

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© Carol S Bruch 2008. Ce texte est la traduction autorisée de l’article “Parental Alienation Syndrome and Alienated Children - getting it wrong in child custody cases”, 14 Child & Family Law Quarterly381 (2002), disponible, ainsi que cette traduction, dans cette page et dans celle-ci. En cas de divergence, se reporter à la version anglaise. Cet article contient des informations relatives aux autorités anglaises et reprend, avec autorisation, des éléments préalablement publiés dans les articles de Carol S Bruch, “Parental Alienation Syndrome : Junk Science in Child Custody Determinations”, 3 European J.L. Reform 383 (2001) et “Parental Alienation Syndrome and Parental Alienation : Getting it Wrong in Child Custody Cases”, 35 Family Law Quarterly 527 (2001), disponibles à cette adresse et à celle-ci.

© Version française de cet article : Hélène Palma, Maître de Conférences en études anglophones à l’Université de Provence (Aix-Marseille I). Merci de demander l’autorisation de la traductrice pour reproduction de cette version autre que pour usage personnel.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 7 juillet 2010

Carol S. Bruch, professeure et chercheure en droit

P.S.

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