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Une vision féministe de l’économie

7 juillet 2010

par Elsie Hambrook, présidente du Conseil consultatif sur la condition de la femme au Nouveau-Brunswick

« Que dites-vous... le féminisme et l’économie ? Un prix est un prix. Le marché est le marché. Les hommes et les femmes sont touchés par l’activité économique de la même manière, qu’ils soient noirs ou blancs, hétérosexuels ou gais, non ? La fluctuation des taux d’intérêt a le même effet sur tout le monde indépendamment des sexes, non ? » Dans le livre Liberating Economics, des économistes Drucilla Barker et Susan Feiner, les économistes féministes répondent toutes par la négative à ces questions.

On admet que le sexe d’une personne influence plusieurs aspects de sa vie : son espérance de vie, les maladies dont elle est susceptible de souffrir, les attentes quant à son apparence et à sa conduite. Mais on a aussi tendance à penser que certains aspects de la vie sont objectifs, par-delà toute considération de sexe et de discrimination.

On tient notamment l’économie pour impartiale. D’accord, l’économie n’est pas une science exacte, mais rares sont ceux qui estiment que le genre puisse avoir une quelconque influence sur elle. Or, l’économie repose sur des traditions qui écartent tout un pan de la réalité. L’économie ne se questionne pas à savoir si les recherches et les conclusions tirées s’appliquent aux femmes ; elle ne considère les faits que dans leur globalité. Plus souvent qu’autrement, lorsqu’on parle en termes généraux, c’est du point de vue des hommes.

L’économie étudie ou devrait étudier l’activité humaine. « Notre travail, notre foyer, notre famille et les décisions que nous prenons quotidiennement », c’est en ces termes que le blogue du New York Times décrit la réalité économique. En effet, tous ces aspects de la vie sont colorés par le sexe d’une personne.

Au moment de prendre le pouls de l’économie, les féministes veillent à inclure non seulement l’objet traditionnel de l’étude économique, soit l’homme blanc privilégié, hétérosexuel et apte au travail, mais tout le monde. Elles sont à l’affût des stéréotypes, par exemple, l’idée que les femmes ne sont pas « productives », et cherchent à corriger les injustices économiques.

L’économie féministe reconnaît notamment le travail sous-payé ou non rémunéré des femmes. Selon Liberating Economics : « On considère les tâches domestiques non rémunérées comme essentielles sur le plan économique (...) Il y a presqu’autant de femmes que d’hommes sur le marché du travail, mais la responsabilité des enfants et des personnes à charge revient toujours principalement aux femmes. Dans notre société moderne, bien des femmes occupent un emploi dit « masculin », mais elles continuent d’accomplir les tâches invisibles, dévalorisées et mal payées "qui incombent aux femmes" (...) Du plancher qui leur colle aux talons au plafond de verre qui limite leur évolution professionnelle, les femmes des pays prospères se heurtent encore à bien des obstacles. »

En 2009, 17% des travailleuses canadiennes ont indiqué occuper un emploi à temps partiel, compte tenu de leurs obligations familiales (dont les soins aux enfants). Seulement 2% des hommes travaillant à temps partiel se sont justifiés de la même manière. En 2005, les Néo-Brunswickoises consacraient quotidiennement 4,2 heures aux travaux ménagers, et les hommes, 2,5 heures.* Les femmes sont plus que jamais actives, mais elles ont toujours le fardeau des tâches domestiques.

L’économie féministe repose aussi sur la solidarité communautaire. L’économie traditionnelle part habituellement de l’hypothèse que les gens sont des personnes libres et rationnelles au sein du marché et que leurs choix reposent sur leurs intérêts personnels. Mais les décisions des femmes ne suivent pas ce modèle. L’économiste féministe Diana Strassman déclare que l’hypothèse « ne reconnaît pas le fait que les êtres humains sont connectés les uns aux autres, et la complexité de leurs relations. La notion de personne libre qui ne cherche à satisfaire que ses propres besoins est une vision privilégiée du monde, soit celle des hommes. »

L’économiste de renom Nancy Folbre a récemment écrit ceci à propos du nombre d’années qu’il faut à un contribuable moyen pour rembourser au gouvernement (et à la société) les fonds publics dont il a profité au cours des 21 premières années de sa vie. Elle réagissait au célèbre « Jour de libération fiscale » préconisé par les centres d’études et de recherches anti-solidarité représentant les intérêts privés américains, c’est-à-dire « le jour béni » à partir duquel les contribuables commencent à payer pour les biens qu’ils choisissent, si on calcule que leur salaire a été remis au gouvernement sous forme d’impôts depuis le 1er janvier.

Nancy Folbre soutient qu’on oublie le fait qu’on reçoit en début et en fin de vie bien davantage qu’on paie sous forme d’impôts. Elle est d’avis qu’un travailleur moyen devrait travailler plus de 17 ans pour rembourser les contribuables plus âgés des sommes dont il a profité.

Elinor Ostrom, la première femme à avoir reçu le Nobel de l’économie (qui lui a été décerné l’an dernier), a passé sa vie à étudier comment les gens peuvent coopérer et agir pour le bien commun. Pendant la seconde guerre mondiale, elle a vu sa mère et un groupe de personnes entretenir un jardin « de la victoire » pour survivre. Voici un extrait de son livre le plus connu, Governing the Commons : « Selon le courant dominant, la meilleure façon de gérer quelque chose serait de le privatiser ou de le réglementer. » Les idées d’Elinor Ostrom ont servi à résoudre divers problèmes, dont la gestion des stocks par les pêcheurs de homard.

L’économie féministe reconnaît également que notre société doit tenir compte des sexes au moment de l’évaluation des situations et des solutions. La récession que nous venons de traverser a souvent été qualifiée de « récession touchant les hommes », étant donné la perte d’emploi massive dans les secteurs cycliques comme la construction et le secteur automobile. Les emplois féminins (généralement sous-payés) dans les secteurs de la santé, de l’administration, etc., sont plus stables. On a donc injecté des fonds pour sauver les industries en difficulté. Pourtant, les femmes chef de famille ont été durement touchées par la récession. Pour ces femmes, ainsi que pour leurs enfants et leur communauté, il aurait été plus avantageux que ces fonds soient consacrés à consolider l’infrastructure sociale.

Notre analyse économique devrait toujours tenir compte de tous les emplois et du fait que la population est constituée d’hommes et de femmes.

* Note de Sisyphe

Le taux de participation des femmes aux activités domestiques est de 91,8% contre 78,5% pour les hommes. Selon des données de 2005 2005, les Québécoises consacraient quotidiennement 4 heures et les hommes 2,6 heures aux travaux domestiques. Source : Portrait des Québécoises en 8 temps, Conseil du statut de la femme du Québec. À télécharger en format PDF à ce lien.

Elsie Hambrook est présidente du Conseil consultatif sur la condition de la femme au Nouveau-Brunswick (ASWCCCF). Sa chronique sur les questions féminines est publiée à tous les jeudis dans le Times & Transcript. Nous la remercions de publier cet article sur Sisyphe. On peut communiquer avec elle à l’adresse courriel acswcccf@gnb.ca.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 7 juillet 2010

Elsie Hambrook, présidente du Conseil consultatif sur la condition de la femme au Nouveau-Brunswick


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