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L’élection de l’ADQ représenterait un recul

9 avril 2003

par Jocelyn Côté<BR>

Jocelyn Côté a écrit à M. Mario Dumont, chef de l’Action démocratique du Québec, en faisant une analyse systématique des principaux points de son programme, notamment la tentation de la privatisation. Il explique pourquoi le revenu de citoyenneté serait une mesure démocratique et équitable. Ni le chef de l’ADQ, ni les député-es auxquel-les cette lettre est adressée, n’ont accusé réception du document.



Québec, 12 février 2003

M. Mario Dumont
190-A, boulevard de l’Hôtel-de-Ville
Rivière-du-Loup (Québec)
G5R 4S2

Objet : instauration d’un revenu de citoyenneté québécois progressif

Monsieur Dumont,

Je suis un simple citoyen, un citoyen ordinaire, comme on a l’habitude de dire, un citoyen instruit ayant connu diverses fortunes : petit travailleur, entrepreneur, commerçant, fonctionnaire fédéral, contractuel, chômeur, prestataire de la sécurité du revenu et artiste, et c’est sur la base de cette expérience que vous trouverez dans les pages qui suivent une proposition d’instauration d’un revenu de citoyenneté progressif (allocation universelle) qui pourrait bien être la réponse à ces « changements » que souhaite tant la population du Québec.

J’étais le secrétaire du Comité sur le revenu de citoyenneté du Rassemblement pour l’Alternative progressiste (RAP). Ce comité avait pour but d’alimenter la réflexion des membres du parti sur la question du revenu de citoyenneté en vue du Congrès de juin 2001.

J’ai analysé dans l’article « Les résolutions du Congrès spécial de juin 2001 - Le RAP jouera-t-il chez les pee-wee ou dans les ligues majeures ? » (1), annexé à la présente lettre, les résolutions adoptées par le RAP concernant le revenu de citoyenneté. Si vous le lisez, vous y trouverez un bref résumé de la démarche et de la position du Comité sur le revenu de citoyenneté. Vous y trouverez également un ensemble d’informations pertinentes sur le revenu de citoyenneté.

Le programme de l’Action démocratique du Québec, « Pour un Québec responsable et prospère - Recueil des propositions adoptées », en date du printemps 2002, propose pour sa part un « revenu minimum de citoyenneté ». Qu’en est-il de ce revenu en particulier et, en général, des idées qui fondent ce programme politique ?

Réduire la taille de l’État pour satisfaire le secteur privé

Dans votre programme, vous expliquez que le Québec est dans une impasse, que notre population vieillit alors que nous faisons face à un problème de dénatalité, que nous sommes surendettés, surtaxés, que les problèmes en Santé ne cessent de se multiplier augmentant d’autant ses coûts, que l’État coûte cher, que les filets de sécurité sociale coûtent cher, sans omettre les régions et tous les dossiers environnementaux qui sont devenus prioritaires. Vous nous dites que nous devons impérativement nous « adapter aux réalités changeantes de l’économie », si nous voulons espérer survivre et créer dans le futur les conditions d’une vie prospère et de qualité pour l’ensemble des citoyens. L’ère industrielle a laissé place à celle du savoir et du savoir-faire et ceci dans un contexte de mondialisation, modifiant ainsi les règles du jeu, ce que le gouvernement en place ne semble pas avoir compris. L’économie est en pleine mutation et, comme le phénomène est mondial, nous n’avons aucun contrôle sur lui. C’est pourquoi il nous faut « prendre le virage économique ».

Et l’ADQ envisage d’adopter « une stratégie agressive » à ce niveau. Alors, ne perdons pas un instant, mettons-nous au travail tout de suite, courageusement, guidés par le sens du devoir, du sacrifice et une grande discipline. Oui, il y a du soleil à l’horizon, nous pouvons atteindre la prospérité économique et sociale qui nous permettra enfin de redistribuer cette belle richesse que tout le monde attend depuis si longtemps. Mais il faut d’abord se serrer la ceinture, parce qu’on doit rembourser la dette et payer toutes les factures qui s’accumulent de plus en plus vite. Et n’oublions pas les générations à venir, à ces générations nous avons la responsabilité de léguer un héritage viable. Votre mot d’ordre est donc « innovons ! », partout, en tout temps, mettons à profit notre expertise et assumons pleinement la nouvelle ère du savoir et du savoir-faire, soyons productifs, devenons des experts, les meilleurs dans tous les domaines. Pour ce faire, votre instrument privilégié sera les « nouvelles technologies » et, en premier lieu, vous brancherez le Québec à 100 %.

Le parti de l’Action démocratique du Québec démontrera qu’il est un modèle d’innovation en étant « un agent de changement qui s’adapte et indique la voie dans ce nouveau contexte ». Et une de ses tâches les plus urgentes consistera à diminuer l’importance de l’État dans l’économie du Québec, car, croyez-vous, c’est seulement de cette manière que nous récupérerons la marge de manoeuvre financière indispensable au redémarrage de notre économie. Bien entendu, cela n’ira pas sans l’abolition de postes dans la fonction publique. Il y aura aussi des services « non essentiels » dont les coûts seront dorénavant défrayés par l’utilisateur. De même, en révisant l’article 45 du code du travail, l’État pourra céder à la sous-traitance une partie de ses services actuels.

Votre programme précise : « Un gouvernement de l’ADQ fera en sorte que les conditions de travail en vigueur dans le secteur public soient comparables à celles que l’on retrouve dans le secteur privé. Il s’agit d’une question de justice à l’endroit de ceux et celles qui paient, par leurs taxes et impôts, les salaires des employés du secteur public. » Une des conséquences immédiates en serait la fin des emplois garantis à vie. Vous vous attaquerez aussi aux « abus du principe de l’ancienneté », un acquis du passé et l’un des nombreux « dogmes » et « rigidités » que nous nous devons aujourd’hui de dépasser. Vous nous dites encore : « Un gouvernement de l’Action démocratique du Québec reconnaîtra que la compétence est complémentaire à l’ancienneté dans les relations de travail. Pour ce faire, l’État québécois doit donner l’exemple dans le secteur public. Ainsi, il est essentiel de revoir les conventions collectives afin de reconnaître la formation additionnelle acquise par les travailleurs, d’instaurer les primes au rendement et de faire reposer l’attribution de responsabilités supérieures sur la compétence et le sens de l’innovation des employés. »

Élection de l’ADQ=recul du Québec

Il faut donc s’attendre, avec l’élection d’un gouvernement adéquiste, à un recul marqué des conditions de travail québécoises et des relations de travail à nouveau dominées par le patronage en tout genre, les passe-droits, les avantages personnels, les pressions sournoises, lui je l’aime, lui je l’aime pas. Et qui va juger ces si précieuses compétences des employés, qui va juger à qui accorder les primes au rendement, ou du sens de l’innovation de la personne vouée à un poste supérieur ? Des humains, avec leurs forces et leurs faiblesses. Sans oublier qu’il y aura un coût rattaché à tout ce temps utilisé pour justifier que tel employé mérite la prime au rendement, le poste, etc. Cela impliquera aussi une surveillance accrue des employés. Les gens ont déjà bien assez de mal à faire face aux conditions de travail actuelles, du moins s’il faut en juger par la consommation grandissante de pilules qui leur permettent de suffire à toutes les tâches qui se greffent progressivement à leur emploi et aux obligations de leur vie personnelle. Juste à titre d’exemple, Radio-Canada annonçait, il n’y a pas si longtemps, qu’il en coûtait 4 milliards de dollars par année en soin de santé mentale lié au stress et à l’anxiété au Québec. Le stress aussi coûte cher. Pour tout le Canada, les ordonnances pour des antidépresseurs ont augmenté de 40 % depuis 1997, et peut-être avez-vous entendu parler de l’étude du professeur Jean-Pierre Brun, de l’Université Laval, sur le phénomène d’épuisement au travail, incluant les cadres.

En privatisant les services de l’État, vous transformerez, à compétences égales (les téléphonistes de Bell ont goûté à une telle médecine), une masse d’emplois assez bien payés en emplois mal payés. Cela signifiera une classe moyenne qui s’effrite encore davantage alors qu’elle porte une bonne partie du fardeau sur ses épaules et, en bout de ligne, une population qui s’appauvrit, et tout le monde sait que plus on est pauvre plus on est malade, donc coûts en santé, coûts en criminalité, et ça finit par atteindre tous les aspects de la vie sociale. Pourtant, c’est la classe moyenne que votre programme dit vouloir soulager en premier lieu.

La mondialisation de l’économie néolibérale

Le pouvoir d’achat de la population du Québec a fondu, vous le faites vous-même remarquer, et on se rend compte, depuis un bon moment déjà, que cette tendance à l’appauvrissement est mondiale. Alors, comment un type de gestion économique, qui n’a fait que nous appauvrir depuis les années soixante-dix, peut-il tout à coup nous enrichir ? Vous savez, la mondialisation de l’économie n’est pas une si grande nouveauté. Il s’agit de notre bonne vieille économie libérale que la mondialisation rend plus féroce à mesure que s’accroît son indépendance par rapport aux États. Les grands argentiers de cette planète savent depuis longtemps comment agir avec les nations qu’ils contraignent maintenant à participer à cette course olympique économique mondiale du meilleur en tout au meilleur prix. À ce jeu, les nations s’affaiblissent en même temps que grandit leur méfiance les unes à l’égard des autres. Et à la vitesse où vont les choses aujourd’hui, nous en serons bientôt réduits à dépenser nos précieuses petites économies rien que pour sauver ce qui restera des meubles devant les tribunaux du libre-échange. La taxe américaine sur le bois d’oeuvre canadien en est un exemple. Ce scénario mène à la catastrophe, et pourtant vous nous demandez de l’endosser, quel qu’en soit le prix, même si c’est, comme nous l’avons vu précédemment, en sabrant dans l’État québécois, en réduisant les salaires et en abaissant la qualité des conditions de travail.

À quoi nous sert-il de tout sacrifier au privé ? Serons-nous mieux gouvernés par les multinationales ? Les scandales financiers récents d’Enron et de Global Crossing, par exemple, sont pour moi une réponse suffisante. Jean Ziegler explique dans son livre, Les nouveaux maîtres du monde - et ceux qui leur résistent, que les présidents de ces deux importantes entreprises américaines, à la veille de déclarer faillite, se sont faits voter par leur conseil d’administration respectif, en toute légalité, des primes de séparation, pour Kenneth Lay, d’Enron, de 205 millions de dollars et pour Gary Winnick, de Global Crossing, de 730 millions. Bien d’autres généreux avantages financiers sont accordés aux gestionnaires des grandes entreprises, toujours légalement acquis et souvent net d’impôt. (2) Des milliers et des milliers de personnes ont eu à souffrir de ces procédés et des faillites qu’ils ont entraînées. Croyez-vous qu’il s’agisse de cas isolés ? Croyez-vous que ça crée des emplois ou que ça profite d’une quelconque manière à la multitude des humains de cette planète ? Au moins, avec l’État, on a des services. Les multinationales sont toujours là à nous expliquer que la saine compétition du marché va faire baisser les prix, qu’on paiera moins pour les mêmes bons vieux services, et même que ce sera encore mieux. C’est un mythe, on finit chaque fois par payer plus pour des services moindres, et l’État se retrouve avec des entreprises en moins.

L’État, l’outil des citoyens et citoyennes

L’État doit prendre une place conséquente dans l’économie québécoise. Vous souhaitez réduire cette place, mais l’État est l’outil des citoyens-nes et c’est par lui que ses intérêts sont représentés. Vous vous souvenez du moteur-roue d’Hydro-Québec ? Beaucoup de gens s’en souviennent. Son développement, financé par la reine de nos sociétés d’État, avait été médiatisé et, lorsqu’il a été prêt, les caméras de télévision étaient présentes pour témoigner de la réussite. Nous étions tous réjouis de voir qu’une technologie de pointe dans le secteur de l’automobile était développée par le Québec. La démonstration était parfaite. Nous suivions avec intérêt la voiture bi-énergie dans ses déplacements pour nous apercevoir que notre moteur-roue fonctionnait à merveille. Soudain, coup de théâtre, Hydro-Québec abandonne le projet. Peu de temps après, l’ingénieur responsable de la mise au point du moteur-roue dénonçait Hydro-Québec et exigeait de connaître les raisons de ce changement de cap. Hydro ne donnant pas suite, l’ingénieur filma avec une caméra cachée l’un des hauts responsables de la société d’État qui, au cours de la rencontre, finit par lui dire que, si le moteur-roue appartenait à Hydro-Québec, il pouvait donc en faire ce qu’il voulait ! Qu’est-il advenu de notre moteur-roue ? Je me demande ce qu’aurait pu donner un plan concret de fabrication et de mise en marché d’un tel produit. Le moteur-roue nous aurait fait dépasser les objectifs de Kyoto en matière de réduction des gaz à effet de serre. Il aurait été très rentable sur le plan économique pour le Québec, puisque nous possédons sur notre territoire de l’électricité en abondance, une des deux énergies utilisées par cette technologie. J’aimerais rappeler, en passant, que le bureau du premier ministre du Québec se trouve dans la tour d’Hydro-Québec à Montréal.

Hydro-Québec est un symbole très puissant dans l’imaginaire québécois, et pourtant nos élus ont régulièrement planifié de le vendre au privé, un peu comme le faisait le Parti québécois avec les petites centrales privées, jusqu’à ce que la pression grandissante de la population oblige monsieur Landry à déclarer publiquement qu’il n’y aurait plus de telle concession à l’avenir. Pour en revenir à notre moteur-roue, le gouvernement d’alors, qui disposait d’un atout technologique de premier plan dans son jeu, a baissé les bras. Je ne crois pas qu’on puisse parler dans ce cas d’une décision responsable, le gouvernement qui l’a prise avait de toute évidence les mains liées. C’est pourquoi ceux qui gouvernent le Québec, ou qui aspirent à le faire, doivent abandonner cette idée fixe de diminuer la taille de l’État dans notre économie.

L’impôt négatif de l’ADQ est une mesure coercitive

Quel est ce « programme de revenu minimum de citoyenneté » inscrit à l’agenda politique de l’Action démocratique du Québec ? On peut dire en partant, malgré son nom, qu’il ne s’agit pas d’un revenu de citoyenneté, mais d’un impôt négatif appelé à remplacer progressivement la majeure partie des programmes de soutien au revenu. Cet impôt négatif s’adresse « aux citoyens aptes au travail qui vivent avec un revenu inférieur à un seuil acceptable. » Un revenu de citoyenneté, pour sa part, est universel, c’est-à-dire qu’il s’adresse à tous les citoyens et toutes les citoyennes. Il est également inconditionnel, c’est-à-dire que le montant octroyé l’est sans qu’on nous pose de questions sur notre situation ou qu’on nous impose des conditions pour le recevoir. Il s’agit d’un véritable droit de citoyenneté, pas d’une charité que l’on nous fait. L’impôt négatif de l’ADQ est une mesure coercitive qui vise principalement à remettre tout le monde à l’ouvrage.

« Nous voulons donc, dit votre programme, par le biais d’un régime fiscal de revenu minimum, nous assurer qu’il soit en tout temps plus payant d’occuper un travail que de le refuser. » Vous dites aussi que le gouvernement prendra ses responsabilités, mais « que la personne concernée a aussi une responsabilité, soit celle de collaborer et de saisir de bonne foi les occasions offertes de réintégrer le marché du travail. En cas de refus de prendre cette responsabilité, les versements associés au Revenu minimum devront être ajustés. » C’est le genre de menaces que se font perpétuellement servir les prestataires de la sécurité du revenu.

Vous souvenez-vous de ce que nous prédisaient les futurologues des années 60 et 70 pour l’an 2000 ? Ils imaginaient un monde qui avait mis fin aux préoccupations de la survie. Des technologies fabuleuses étaient au service des humains qui vivaient dans des conditions idéales à leur épanouissement. Le travail ? Une vingtaine d’heures semaine tout au plus. Ce futur, ils l’appelaient la « société des loisirs ». La très grande majorité des gens, à l’époque, avait d’ailleurs cette même vision optimiste de l’avenir. Qu’est-il donc advenu de la société des loisirs ? Où est passé toute cette richesse ? Au lieu du partage attendu, une colossale ponction a été pratiquée à même notre richesse collective par le biais d’un mode de gestion économique qui ne fait qu’appauvrir les individus et les États, parce qu’il est clair maintenant que les bénéfices des inventions et des innovations technologiques ont profité à d’autres intérêts que ceux de la population du Québec et des autres populations du globe.

J’aimerais citer à nouveau Jean Ziegler qui a donné récemment une interview à Stéphane Bureau, au Point, de Radio-Canada, dans laquelle il a dit : « Nous sommes 6,2 milliards d’êtres humains sur Terre. Pour la première fois de l’histoire de l’humanité, la pénurie est vaincue. La planète croule sous les richesses. (...) le produit mondial brut a doublé les onze dernières années, le commerce mondial a triplé. (...) Mais, en même temps, la misère, la marginalisation, la destruction des hommes ont effroyablement augmenté. Je vous donne quelques chiffres : toutes les sept secondes, un enfant, en dessous de dix ans, meurt de faim ; cent mille personnes meurent de faim, ou des suites immédiates de la faim, tous les jours, et 826 millions, toujours les chiffres de la FAO, des Nations unies, 826 millions d’hommes et de femmes et d’enfants, comme vous et moi, sur cette planète, sont gravement et en permanence sous-alimentés. (...) mais si vous prenez le World Food Report, qui est incontesté, qui sort tous les ans, (...) l’humanité, dans l’étape du développement actuel des forces de production agricole, pourrait nourrir, sans problème, 12 milliards d’êtres humains. Sans problème veut dire donner à chaque individu, chaque jour, 2700 calories ; sans problème, 12 milliards d’êtres humains. (...) C’est pour ça que tout le débat sur les OGM, par exemple, est tellement faux. On n’a pas besoin du transgénique pour nourrir l’humanité, les aliments qui sont là sont amplement, mais très très amplement, suffisants. »

Partager la richesse par un revenu de citoyenneté progressif

Arrêtons la saignée, modifions les règles du jeu en notre faveur et instaurons un revenu de citoyenneté progressif au Québec. Par ce revenu, le partage de la richesse pourra commencer. Nous serions, à ma connaissance, le premier État au monde à instaurer un revenu de citoyenneté. De très nombreux regards se porteraient alors dans notre direction pour suivre les étapes du processus d’instauration, puis l’impact du revenu de citoyenneté proprement dit sur notre société. L’effet d’entraînement ne se ferait pas attendre. Ce serait une sorte de néo-révolution tranquille à large échelle.

À quelle hauteur devrait débuter le revenu de citoyenneté ? Pour ma part, un montant bas, sans être négligeable, serait ce qu’il y a de plus profitable sur le plan économique, de même que sur tous les autres plans. Le montant du revenu de citoyenneté pourrait, par exemple, se situer entre 100 et 150 $ par mois, pour un total annuel respectivement de 1200 et 1800 $. Ce montant serait distribué à toutes les personnes ayant la citoyenneté québécoise. Le revenu de citoyenneté entrerait toutefois dans le calcul fiscal et, à partir d’un certain seuil de revenu, serait graduellement récupéré. Une fois instauré, le revenu de citoyenneté serait augmenté, d’année en année, jusqu’à un niveau jugé suffisant. La progressivité du revenu de citoyenneté aurait l’indiscutable avantage de nous permettre de manoeuvrer en douceur, tout en évitant les erreurs parfois lourdes de conséquences que cause la plupart du temps la précipitation. Et nous créerions ainsi l’abondance plutôt que de continuer à gérer la pauvreté.

Les cent ou cent cinquante dollars supplémentaires par mois profiteraient d’abord aux très nombreux travailleurs qui peinent à joindre les deux bouts. Il est d’ailleurs paradoxal de constater que les gens qui font leurs quarante heures semaine, au salaire minimum, demeurent pauvres. Cet argent aiderait aussi les aîné-es. Il aiderait les familles. Bien que le montant de départ du revenu de citoyenneté n’ajouterait rien de plus au montant mensuel que reçoivent les bénéficiaires de la sécurité du revenu, il les aiderait du moins en faisant qu’une portion de leur prestation cesse d’être conditionnelle. En d’autres termes, cent ou cent cinquante dollars par mois seraient devenus un droit de citoyen, plutôt qu’une charité assortie de conditions, et l’aura de déshonneur nourri à l’égard des prestataires s’estomperait rapidement avec la compréhension du revenu de citoyenneté.

Financièrement, le revenu de citoyenneté serait pleinement bénéfique pour le Québec, puisqu’en plaçant de l’argent dans les poches des citoyens, qui le dépenseront, il donnerait un nouveau souffle à notre économie, un souffle durable puisque le revenu de citoyenneté garantirait que l’eau alimente continuellement le moulin, et même que le débit augmente progressivement avec les années. Ce revenu aiderait les régions, car comme le dit votre programme : « Entre 1991 et 2016, la population totale du Québec devrait s’accroître de 17,1 %, soit de 1,2 million d’habitants. Mais cette variation de la population diffère de façon notable d’une MRC à l’autre. Ainsi, pour 60 des 102 MRC ou territoires assimilés, les perspectives révèlent un portrait plus sombre. En effet, toutes les MRC de la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, du Bas-Saint-Laurent et du Saguenay-Lac-Saint-Jean devraient afficher une décroissance de leur population. »

De nombreuses régions du Québec sont donc en train de s’asphyxier lentement, et rien ne semble pouvoir arrêter ce mouvement. Le revenu de citoyenneté apporterait l’oxygène dont elles ont un si urgent besoin. En ayant plus d’argent à dépenser, les gens des régions pourraient développer leur propre économie. Ils auraient aussi de moins en moins à compter, pour subsister, sur l’installation d’une grosse usine, qui peut s’en aller à tout moment, quand ses dirigeants en prennent la décision. Le revenu de citoyenneté dynamiserait le marché de l’emploi partout au Québec. Au lieu de gaver les entreprises avec notre argent pour qu’elles créent des emplois, mettons-le directement dans les poches des citoyens, nous obtiendrons un rendement bien supérieur, tout en développant une économie plus locale, parce que les gens consomment généralement près de chez eux.

Peut-on se payer un revenu de citoyenneté progressif ? Facilement. Il nous suffit d’adapter progressivement la fiscalité, les modes de gestion et les politiques économiques du Québec en fonction du revenu de citoyenneté. Cependant, il ne faudrait pas que l’instauration d’un revenu de citoyenneté devienne prétexte à nous donner de l’argent d’une main et nous retirer des services et des droits acquis de l’autre.

Le revenu de citoyenneté serait un pas important vers notre émancipation. D’autres personnes défendent la taxe Tobin sur les transactions financières et la fin des paradis fiscaux, ce qui complète la trilogie qui signera la véritable libération des citoyens du monde.

(1) Publié dans la Tribune libre du site internet du RAP.
(2) Jean Ziegler, Les nouveaux maîtres du monde - et ceux qui leur résistent, Fayard, 2002, pages 112-114.

Merci, Monsieur Dumont, d’avoir porté attention à cette lettre.

Jocelyn Côté

c. c. Marie Grégoire
Sylvie Lespérance
François Corriveau
François Gaudreau


Rassemblement pour l’Alternative progressiste,
"Document du Comité d’étude sur l’Allocation universelle/Revenu de citoyenneté." Document soumis aux consultations régionales
en vue du Congrès des 9 et 10 juin 2001.


Jocelyn Côté,"LES RÉSOLUTIONS DU CONGRÈS SPÉCIAL DE JUIN 2001. Le RAP jouera-t-il chez les Pee-Wee ou dans les lignes majeures ?"

Jocelyn Côté<BR>

P.S.

Un site à visiter absolument : NonADQ.com




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