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La décriminalisation de la prostitution n’est pas une solution à la violence envers les femmes

12 octobre 2010

par la CLAP

Le débat est lancé à savoir si le gouvernement canadien devrait décriminaliser la prostitution et ce, en raison du jugement récent de la cour supérieure de l’Ontario établissant comme inconstitutionnelles trois des quatre articles du code criminel relatifs à la prostitution, soit l’article 212 (l’interdiction de vivre des fruits de la prostitution, ce qui inclut le proxénétisme), l’article 210 (l’interdiction de tenir ou de fréquenter une maison de débauche) et l’article 213 (l’interdiction de communiquer à des fins de prostitution). Deux positions principales s’affrontent, soit celle en faveur d’une décriminalisation complète de la prostitution, telle la position des groupes « pro-travail du sexe », et celle de ses opposants, tels les groupes abolitionnistes dont fait partie la CLAP.

Soyons clairs, les deux clans s’entendent sur quelques points. Tout d’abord, la position du Canada en matière de prostitution est floue et doit être clarifiée : l’acte en soi n’est pas illégal, mais toutes les activités l’entourant le sont. Deuxièmement, les femmes prostituées sont grandement victimes de violence, que cette dernière soit physique, sexuelle ou psychologique. Troisièmement, les clients et les proxénètes sont les principaux responsables de cette violence. Finalement, nous sommes d’accord que les femmes prostituées ne devraient pas être traitées comme des criminelles, donc que la section du code criminel relatif à la communication (art. 213) devrait être modifiée. Cependant, les ressemblances entre nos discours s’arrêtent là.

En effet, les deux camps divergent quant à la façon de contrer le phénomène de la violence envers les femmes prostituées. Selon les groupes « pro-travail du sexe », ce sont les lois actuelles qui sont responsables du danger et de la violence auxquels les femmes prostituées font face et ce, en les forçant à mener leurs activités dans la clandestinité. Une décriminalisation de la prostitution leur permettrait donc de pouvoir engager un « garde-du-corps », de travailler dans un endroit « sécuritaire » et de rapporter les crimes à leur endroit à la police, sans crainte d’être ensuite poursuivies.

Ces arguments sont pourtant réfutés par les groupes abolitionnistes. Selon nous, la violence est inhérente à la prostitution, que la pratique soit légale ou non. En effet, la prostitution est une institution qui, d’une part, découle du système d’oppression des femmes et qui, d’autre part, renforce ce système et amplifie les inégalités hommes-femmes. Elle ne peut être égalitaire ni sécuritaire. Rappelons-le, la prostitution relève d’un système où d’un côté, on inculque aux femmes la valeur de la chasteté (la sexualité des femmes étant perçue comme étant « mal », alors qu’une sexualité active est valorisée pour les hommes), tandis que de l’autre côté, on crée un groupe minoritaire de femmes (que l’on méprise et marginalise), dont le mandat est de servir les hommes sexuellement. Voici le scénario patriarcal parfait : d’un côté, les femmes « pures » et « respectables » que les hommes pourront marier, de l’autre les « putes », les esclaves sexuelles que l’on méprise. Finalement, on crée un sentiment de haine entre les deux groupes de femmes de manière à miner tout effort de solidarité, et le tour est joué !

Comme on le note dans les pays qui ont décriminalisé ou légalisé la prostitution, de telles lois ne réduisent en rien la criminalité envers les femmes prostituées. S’il existe de la violence sexuelle, psychologique et physique à l’endroit des femmes prostituées, ce n’est pas en raison des lois qui interdisent la pratique, mais en raison des valeurs misogynes que partagent un bon nombre d’hommes et qui les poussent à croire qu’il est acceptable de mépriser, d’insulter, de violer, de frapper, voire de tuer une femme prostituée. Que l’acte se déroule dans un établissement reconnu, dans la rue, chez le client ou chez soi, la violence se produit quand même. De plus, s’il est déjà difficile de prouver une agression sexuelle pour une femme ne travaillant pas dans l’industrie du sexe, imaginez la résistance qu’une femme prostituée rencontrera lorsqu’elle tentera de porter plainte pour agression sexuelle ! On peut facilement imaginer la réponse qu’on lui offrira : « Mais n’est-ce pas ton travail ? ».

De plus, il y a des formes de violence qui ne laissent pas de trace sur le corps, mais qui marquent à tout jamais les femmes de l’industrie du sexe, telles les insultes, le mépris, se faire cracher au visage, les commentaires désobligeant sur son corps, son poids, le rejet… Toutes ces formes de violence blessent les femmes de l’industrie du sexe et la décriminalisation ne changera cette réalité en rien.

Certains affirment que la prostitution existe depuis bien longtemps, qu’il est illusoire de chercher à l’éradiquer, donc qu’il vaut mieux l’encadrer légalement afin de mieux la contrôler. Ce type d’argument est inacceptable ! Les meurtres et les viols existent dans nos sociétés depuis le début des temps. Est-ce une raison pour décriminaliser ces pratiques sous prétexte de mieux les encadrer ? S’il est évident que l’on ne risque pas d’éliminer un jour tout meurtre ou viol, il est primordial d’avoir des lois interdisant ces pratiques haineuses. Il en est de même pour la prostitution.

Certaines femmes prostituées diront qu’elles ont choisi de se prostituer et qu’elles choisissent leurs clients. La CLAP tient à rappeler qu’un agresseur sexuel, qu’un « batteur de femmes », qu’un tueur ne porte pas d’étiquette sur le front. Nous tenons aussi à souligner que l’âge moyen d’entrée dans la prostitution est de 14 ans au Canada. De plus, des milliers de femmes et de filles travaillent dans l’industrie du sexe contre leur gré, ou encore en raison de besoins financiers criants, sans oublier toutes celles qui ont des problèmes de dépendance aux drogues… Ainsi, bien souvent, l’argument du libre choix ne tient pas la route.

Si la CLAP est d’avis que la Canada doit s’opposer à la décriminalisation de la prostitution, elle tient toutefois à apporter certaines nuances. Tout d’abord, la loi à elle seule ne peut empêcher les crimes. À titre d’exemple, il y a bien une loi contre la prostitution des mineurs. Pourtant, la prostitution juvénile est extrêmement répandue et peu est fait pour contrer le fléau. En effet, la loi ne change pas grand-chose lorsque la société encourage subtilement la pratique en incitant les hommes à désirer de jeunes lolitas, de la « viande fraîche », comme on dit… Pour enrayer les comportements criminels, il est aussi essentiel de sensibiliser la population, de changer les valeurs qui gouvernent notre société. Pour améliorer le sort des femmes, telles les femmes prostituées, il nous faut non seulement des lois qui interdisent l’exploitation sexuelle, donc qui pénalisent les clients et les proxénètes, mais aussi des mesures sociales offertes aux femmes vulnérables, tant pour celles qui sont à risque de sombrer dans le monde prostitutionnel que pour celles qui désirent en sortir. De plus, il est essentiel de mettre en œuvre des campagnes de sensibilisation prônant l’égalité hommes-femmes, le respect et la non-violence. Dans ce sens, la CLAP prône la mise en place de mesures correspondant davantage au modèle des pays scandinaves, telle la Suède.

Décriminaliser entièrement les activités relatives à la prostitution n’est pas la solution à la violence envers les femmes. La CLAP espère que le gouvernement canadien saura prendre la bonne décision, soit décriminaliser les femmes prostituées et modifier l’article 213 du code criminel, en gardant toutefois intacts les articles interdisant l’exploitation sexuelle des femmes, soit les articles 210, 211 et 212.

Signé à Ottawa-Gatineau le 30 septembre 2010
par les membre de la CLAP
Collective des luttes pour l’abolition de la prostitution
Courriel.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 30 septembre 2010

la CLAP


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