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Prostitution - Nous ne devons pas nous contenter de la simple "réduction des méfaits"
Résolution contre la prostitution adoptée le 24 mai 2008

10 octobre 2010

par l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry

L’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry (ACSEF) dénonce comme criminelles les actions de ceux qui font la promotion et tirent profit de la traite et de l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants.



Résolution de l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry contre la prostitution adoptée le 24 mai 2008.

Proposée par : Les comités d’action sociale et exécutifs de l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry.

Enjeux abordés dans cette résolution :

. Réduire la criminalisation des femmes ;
. Agir pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes ;
. Favoriser l’équilibre des sexes dans les réactions du système de justice pénale en vue de promouvoir une véritable égalité des femmes.

Fondement de la résolution :

Attendu que l’ACSEF a pris position sur la prostitution il y a plus de 20 ans et qu’à cette époque, nous avons simplement adhéré à la décriminalisation. Notre position d’alors prônait l’élimination de la criminalisation des femmes. Bien sûr, nous sommes toujours de cet avis, mais cette position nous semble aujourd’hui incomplète si nous omettons de nous prononcer contre la légalisation et en faveur du droit à une aide sociale adéquate et/ou à un revenu minimum garanti comme étant des droits de la personne fondamentaux ; et

Attendu que de précédentes tentatives d’aborder la nature genrée de la criminalisation des femmes qui sont prostituées ont résulté en un langage neutre quant à la discrimination sexiste qui continue de criminaliser et d’envoyer des femmes en prison pendant que des hommes sont détournés vers des écoles pour « clients ». Nous proposons donc d’examiner la prostitution à travers les yeux des femmes ; et

Même si une minorité de femmes qui sont prostituées se sont prononcées en faveur de la légalisation, cette position n’est pas généralement celle de la majorité des femmes dans les régions et les États nations où le commerce du sexe a été légalisé. La majorité des femmes prostituées disent plutôt vouloir échapper à cette « industrie », mais gardent le silence. La prostitution est une institution systématiquement discriminatoire envers les femmes, les jeunes, les pauvres et les groupes subordonnés en raison de leur ethnie. La prostitution ne peut pas être rendue plus sécuritaire ou légèrement « améliorée » par la légalisation ou la décriminalisation (Raymond, 2003). Comme l’indique Farley (2004), le commerce du sexe et la traite des personnes sont une institution particulièrement vicieuse d’inégalité entre les sexes ; et

Attendu que le Comité permanent multipartite de la condition féminine a déclaré en 2007 que, « la généralisation de la traite des femmes et des enfants, dans le commerce du sexe à l’échelle mondiale » est « une catastrophe de droits humains qui atteint des proportions gigantesques … et que … pour la majorité des nations de la planète, depuis les plus hauts échelons du pouvoir politique jusqu’à celui du policier sur le terrain, ce dossier n’est toujours pas considéré comme prioritaire » (2007, p. 5) ; et

Attendu que « en réduisant les femmes à une marchandise susceptible d’être achetée, vendue, louée, appropriée, échangée ou acquise, la prostitution affecte les femmes en tant que groupe. Elle renforce l’équation archaïque et machiste entre femme et sexe, réduit les femmes à une humanité moindre et contribue à les maintenir dans un statut inférieur partout dans le monde… la légalisation des marchés du sexe, renforce les activités de proxénétisme et celles du crime organisé, mais surtout, elle légitime l’inégalité entre les hommes et les femmes » (Poulin, 2006) ; et

Attendu que les centres anti-viol de l’ACCCACS ont convenu que, pour empêcher les femmes d’être prostituées, nous avons de toute urgence besoin d’un revenu minimum garanti … de mesures policières efficaces de lutte contre la violence envers les femmes, de poursuites plus énergiques contre les agresseurs et d’un meilleur accès aux tribunaux, de l’élimination des mesures de diversion pré-audition dans les procès d’hommes ayant violenté des femmes. Nous devons reconnaître et affronter la nature raciste et colonialiste de la plupart des violences faites aux femmes, y compris la prostitution, et nous devons exercer des pressions en faveur de processus de paix internationaux, de résolutions aux revendications territoriales, de changements aux politiques sur l’immigration et à notre exploitation du tiers monde pour intervenir face au fait que la majorité des femmes et des enfants victimes de la traite sont motivés par la pauvreté et la dégradation environnementale de leurs pays d’origine, y compris les réserves (ACCCACS 2007) ; et

Attendu que les femmes autochtones du Territoire occupé salish de la Côte défendent les intérêts de celles dont les voix n’ont pas été entendues dans les discussions au sujet de la prostitution et des bordels légalisés pour les Jeux olympiques de 2010, l’Aboriginal Women’s Action Network s’oppose à la légalisation des bordels pour les dits Jeux olympiques. Elles déclarent notamment :

« Nous ne voulons ni devenir des produits marchands pour ce qu’on appelle « l’industrie du sexe », ni offrir aux touristes sexuels nos soeurs et nos filles, comme autant d’objets jetables après usage. L’Aboriginal Women’s Action Network s’oppose à la légalisation de la prostitution comme à toute réglementation de la prostitution par l’État qui contribue à ancrer les femmes et les enfants autochtones dans ce qu’on appelle le « commerce du sexe ». Nous soutenons que le fait de légaliser la prostitution à Vancouver ne rendra pas celle-ci plus sécuritaire pour les personnes qui sont prostituées ; cela ne fera qu’accroître le nombre de ces personnes. Contrairement à ce qu’en disent présentement les médias, les données existantes indiquent qu’une telle mesure serait en fait nuisible : elle multiplierait la prostitution, encouragerait la traite et ne servirait qu’à rendre la prostitution plus sécuritaire et plus profitable pour les hommes, ceux qui exploitent et causent préjudice aux femmes et aux enfants que l’on prostitue. Même si beaucoup de personnes bien intentionnées pensent que la décriminalisation se résume à protéger de l’arrestation les femmes prostituées, cette réforme comprend également une dangereuse décriminalisation des clients et des proxénètes. C’est ainsi que la prostitution est normalisée, les clients se multiplient, et les proxénètes et trafiquants finissent par être perçus comme des entrepreneurs légitimes. Nous disons « Non ! » à cette insouciance face au sort des femmes et enfants que marginalise cette industrie qui voudrait en faire de simples objets de consommation ! »

Un modèle de « réduction des méfaits », qui prétend aider les femmes prostituées en les repoussant derrière des portes closes dans des bordels légalisés, échouera non seulement à réduire les torts faits à ces femmes, mais il aura pour effet de déguiser les véritables problèmes. Il n’existe aucune preuve que la prostitution pratiquée à l’intérieur soit plus sécuritaire pour les femmes impliquées. En fait, cette prostitution est tout aussi violente et traumatisante. La prostitution est violente en soi, c’est le prolongement de la violence que la plupart des femmes prostituées ont vécu dans l’enfance. Nous ne devons pas nous contenter d’une simple réduction de ce méfait - comme s’il s’agissait d’un mal nécessaire et/ou inévitable - mais viser plus haut et nous efforcer de l’abolir complètement. Les personnes qui font la promotion de la prostitution parlent rarement des facteurs de classe, de race ou d’ethnicité qui rendent les femmes encore plus vulnérables. On pourrait rédiger tout un traité au sujet de la vulnérabilité des femmes autochtones basée sur notre race, notre condition socioéconomique et notre genre : il suffit de rappeler à quel point nous sommes surreprésentées dans la prostitution de rue. On peut même déceler un préjugé de classe dans la conviction que la prostitution de rue est bien pire que les formes de prostitution pratiquées derrière des portes closes. Ce n’est pas la rue en soi - ou l’existence des lois, en fait - qui est la source du problème, mais bien la prostitution elle-même, dont l’exploitation dépend de l’existence d’une sous-classe ou d’une caste dégradée de femmes. Un facteur important du peu d’attention accordée aux femmes qui ont disparu à Vancouver est l’absence d’intervention policière et la conviction sociale insidieuse que ces femmes ne méritaient pas de protection, un message communiqué de façon explicite aux clients, qui leur donne le feu vert pour traiter ces femmes avec impunité.

Si nous voulons protéger les plus vulnérables des femmes, nous pourrions commencer par décriminaliser les femmes prostituées, plutôt que les hommes qui leur font du mal. Même si personne n’y fait allusion dans la couverture médiatique locale, l’approche suédoise en matière de prostitution offre un exemple que nous devrions sérieusement envisager. On y criminalise seulement l’achat du sexe, et non sa vente ; on cible le client, le proxénète, l’entremetteur et le trafiquant, plutôt que la femme prostituée. Et on offre toute une gamme de services sociaux pour aider les femmes à quitter la prostitution. Compte tenu que la très grande majorité des femmes prostituées souhaitent échapper à la prostitution, nous devons surtout travailler à trouver des façons pour les aider à le faire, plutôt que de les ancrer encore plus dans la prostitution en la légalisant et en l’institutionnalisant. Ici, à Vancouver, si nous voulons aider les femmes qui sont le plus dans le besoin, les jeunes femmes autochtones, il serait utile de penser à plus long terme, de mettre davantage l’accent sur la guérison et la prévention. Évitons-nous la gaffe d’une pseudo-solution qui ne serait même pas un bandage superficiel, qui viendrait plutôt aggraver nos blessures. (AWAN, 2007) ; et

Attendu que des détenteurs d’intérêts commerciaux, dans des villes comme Vancouver, Toronto et Montréal, s’allient à d’autres hommes d’affaires partout dans le monde qui réclament la création de quartiers voués à la prostitution, que des pays entiers, comme la Thaïlande, ont été transformés en immenses zones d’exploitation sexuelle, et que le gouvernement du Canada subit d’énormes pressions pour créer ici des conditions semblables ; et

Attendu que l’expérience de Victoria, en Australie, où la prostitution a été décriminalisée et légalisée, révèle que la légalisation n’a réussi à atteindre aucun de ses objectifs, mais que, comme les actions en bourse du plus important bordel de Melbourne ont rapidement fourni un des meilleurs rendements sur le marché, le gouvernement continue de soutenir la réglementation de la prostitution et persiste à la caractériser comme une industrie pouvant être réglementée comme n’importe quelle autre. La légitimation de la prostitution à Victoria a créé une culture de la prostitution dans l’ensemble de l’État, et il est devenu acceptable pour les hommes de Victoria d’acheter des femmes pour leur gratification sexuelle. La légalisation n’a rien fait pour les femmes prisonnières de ce système d’exploitation. La légalisation de la prostitution comme « travail » a simplement contribué à normaliser la violence et l’exploitation sexuelle que vivent les femmes sur une base quotidienne, (Farley, 2004) ; et

Attendu que le gouvernement canadien reconnaît que la vaste majorité des personnes trafiquées sont des femmes et des enfants et que 92 % des victimes le sont à des fins d’exploitation sexuelle. Une bonne part des femmes et des enfants trafiqués à l’intérieur et autour du Canada sont réduites en esclavage, terrorisées et violentées, et on estime que l’impact économique de la traite de personnes migrantes au Canada se situe entre 120 et 400 millions de dollars par année et touche entre 8 000 et 16 000 personnes arrivant illégalement au Canada à chaque année (Étude d’impact du crime organisé, Solliciteur général du Canada) ; et

Attendu que des recherches effectuées dans le quartier Downtown East Side à Vancouver montrent que la plupart des hommes qui achètent des femmes prostituées dans le quartier le plus pauvre du Canada – femmes dont bon nombre sont autochtones et dont la plupart affirment qu’elles arrêteraient immédiatement de vendre leur corps si elles avaient d’autres moyens de gagner leur vie – peuvent en fait se permettre d’acheter des femmes à des fins de services sexuels dans des agences d’escortes et des salons de massage. En somme, les hommes ont assez d’argent pour acheter des services sexuels dans un lieu sécuritaire et propre, mais ils en décident autrement. La recherche montre que les hommes n’achètent pas réellement des services sexuels mais bien plutôt la capacité de dégrader et de violenter des femmes. Robert William Pickton avait de l’argent. Il avait la capacité d’acheter des services sexuels dans des agences d’escortes mais, contrairement aux affirmations d’exploitants d’entreprises et de défenseurs des libertés civiles, il voulait en réalité dégrader, torturer et tuer des femmes poussées dans la prostitution depuis l’enfance et caractérisées comme ayant fait un choix de carrière à l’atteinte de leur majorité, (Culhane, 2003) ; et

Attendu que la Charte canadienne des droits et libertés garantit la liberté et la sécurité de la personne, ces garanties sont des droits fictifs si nous ne faisons rien pour nous assurer de mettre un terme à l’exploitation actuelle, qui confronte toute femme à la nécessité de « devoir être pénétrée pour avoir accès à de la nourriture ou un logement ». (Kler, 2007).

Résolution :
Il est par conséquent résolu que l’ACSEF s’unisse à d’autres organisations féministes et groupes de femmes en quête d’égalité et ayant une expérience concrète pour exiger la décriminalisation des femmes qui sont prostituées, trafiquées ou autrement exploitées ou objectifiées dans et par le commerce du sexe ; et

Il est en outre résolu que toutes les femmes doivent bénéficier du droit humain fondamental de vivre de l’abri du besoin, dans de bonnes conditions de vie (par l’aide sociale ou un revenu minimum garanti), et de services sociaux, de services de santé et de possibilités d’instruction ; et

Il est en outre résolu que l’ACSEF continue à dénoncer comme criminelles les actions de ceux qui font la promotion et tirent profit de la traite et de l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants.

Traductrice : Michelle Briand

Mis en ligne sur Sisyphe, le 4 octobre 2010

l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry


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