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La polygamie est une atteinte à l’égalité des sexes, dit le Conseil du statut de la femme

21 novembre 2010

QUÉBEC, le 13 nov. 2010 - La présidente du Conseil du statut de la femme, Mme Christiane Pelchat, rend aujourd’hui public l’avis du Conseil, La polygamie au regard du droit des femmes. Cet avis paraît au moment où la Cour suprême de la Colombie-Britannique est appelée à se prononcer sur la constitutionnalité de l’article 293 du Code criminel du Canada, interdisant la polygamie. Cette question est à l’étude à la suite d’un renvoi adressé, en octobre 2009, à la Cour suprême par le ministre de la Justice de cette province dans le contexte d’accusations portées contre des chefs religieux d’une communauté mormone pratiquant la polygamie depuis longtemps, en vertu de leurs croyances religieuses.

« La polygamie institutionnalise l’inégalité des sexes, perpétue la subordination des femmes et nie leur droit à la dignité humaine, a déclaré la présidente. L’analyse des conséquences sociales liées à la polygamie démontre qu’elles sont néfastes pour les femmes et les enfants, même quand cette pratique est légalement admise. La liberté de religion a ses limites. Ici, l’égalité des sexes doit freiner cette pratique issue de sociétés patriarcales qui visent l’infériorisation des femmes. »

Pour le Conseil, les conséquences d’une légalisation de la polygamie au Canada seraient multiples. La polygamie porte clairement atteinte à la dignité des femmes et à leur droit à l’égalité, garanti par les chartes canadienne et québécoise. Le Canada manquerait aussi à ses engagements internationaux relatifs à l’adoption de mesures assurant l’égalité des droits entre les sexes, principe totalement nié dans le mariage polygame. Par ailleurs, en autorisant la polygamie, le Canada deviendrait le seul pays occidental à le faire, ce qui le rendrait très attrayant pour ceux qui adhèrent à cette pratique.

Dans son avis, le Conseil analyse les enjeux d’une éventuelle légalisation de la polygamie au Canada, sous l’angle de ses retombées sociales sur les femmes et les enfants. Il traite de cette pratique chez les mormons vivant en Amérique du Nord et dans des contextes musulmans et africains. Il examine les répercussions de la polygamie dans un contexte d’immigration à partir du cas de la France, puis déconstruit les arguments en faveur de la polygamie au regard des droits des femmes et des enfants.

Dans son avis, le Conseil conclut que la décriminalisation, préconisée notamment par les mormons canadiens, n’est pas la solution aux problèmes complexes associés à la polygamie, mais qu’elle ne ferait, au contraire, que les amplifier, et ajoute que la politique actuelle de non-intervention de l’État en matière de polygamie donne libre cours aux violations des droits des personnes les plus vulnérables au sein des groupes minoritaires. Le Conseil formule donc 11 recommandations s’inscrivant dans une approche tridimensionnelle portant sur le droit, l’immigration et l’aspect social.

« La polygamie est explicitement interdite au Canada, elle doit le demeurer. Il ne faut pas banaliser le phénomène ; il serait naïf de croire qu’il suffit de décriminaliser la polygamie pour éliminer tous les problèmes qui y sont liés », a conclu Mme Pelchat.

Le Conseil du statut de la femme a pour mission de conseiller le gouvernement et d’informer la population sur les questions d’égalité entre les femmes et les hommes.

 Consultez l’avis sur le site Web du Conseil.

ANNEXE 1 - Liste des recommandations - Extrait de l’avis

Le Conseil du statut de la femme croit que tolérer ou décriminaliser la polygamie ne ferait qu’amplifier les effets négatifs sur les personnes qui la subissent et sur la société toute entière. C’est ainsi que, dans son avis, il émet les recommandations suivantes :

Volet juridique

1. La criminalisation de la polygamie au Canada doit être maintenue et les gouvernements doivent soutenir vigoureusement la constitutionnalité de l’article 293 du Code criminel devant les tribunaux.
2. Des politiques d’intervention doivent être élaborées afin que l’action de l’État contre la polygamie soit renforcée et ciblée.
3. Il faut maintenir et renforcer les lois actuelles interdisant la délégation aux autorités religieuses des pouvoirs relatifs au droit de la famille.

Volet de l’immigration

4. Le Canada et, à plus forte raison, le Québec doivent refuser l’admission de toute personne immigrante engagée dans une union polygame pour éviter d’accroître le nombre de familles polygames vivant au pays.
5. Renforcer la règle faisant en sorte que la nationalité obtenue sous de fausses déclarations concernant la polygamie pourra être retirée, afin de limiter les cas de fraude.

Volet social - Prévention et éducation

6. Exercer une plus grande vigilance à l’égard des écoles privées confessionnelles de toute origine pour s’assurer de trois conditions indispensables :
a) que le programme enseigné dans ces écoles soit bien conforme aux exigences du ministère de l’Éducation ;
b) que les filles y reçoivent un enseignement complet, identique à celui des garçons, afin qu’elles aient accès à toutes les professions ;
c) qu’aucune promotion de la polygamie et aucun contenu à caractère misogyne ou raciste ne se glissent dans l’enseignement religieux ou autre. Ultimement, cesser de subventionner les établissements qui promeuvent, de quelque façon que ce soit, la polygamie et l’inégalité entre les sexes.
7. Assurer la formation adéquate des intervenants sociaux impliqués auprès des communautés issues de sociétés polygames, pour que ces personnes puissent reconnaître et comprendre les implications sociales de la polygamie et qu’elles soient en mesure de protéger les droits des femmes et des enfants concernés.
8. Promouvoir activement les droits des femmes et les droits des enfants, particulièrement auprès des nouveaux immigrants et des membres des communautés où la polygamie est admise, afin de prévenir l’augmentation des mariages polygames au pays.

Volet social - Protection des personnes à risque

9. Intégrer dans les programmes existants un volet visant à assurer la protection des femmes et des enfants vivant dans des familles polygames et prévoir des mesures adaptées à leurs besoins.
10. Accorder du soutien aux femmes et aux adolescentes qui souhaitent quitter le mode de vie polygame.
11. Finalement, étant donné la complexité des questions soulevées par la pratique de la polygamie, financer des études sur les femmes polygames ou ex-polygames pour mieux comprendre leurs réalités et leurs besoins et mettre sur pied des tables de concertation afin d’engager et de poursuivre la réflexion avec des membres de la société civile, incluant les femmes touchées par la polygamie, dans le but de freiner et d’éliminer cette pratique, dans le respect des droits des femmes et des enfants.

ANNEXE 2 - Quelques faits relatifs à la polygamie

Le terme « polygamie » désigne le mariage d’une personne avec « plusieurs conjoints ». Les anthropologues font une distinction entre « polygynie » qui désigne l’union d’un homme avec plusieurs femmes et la « polyandrie » qui désigne l’union d’une femme avec plusieurs hommes. Dans les faits, la polyandrie est plutôt rare. Le terme polygamie est donc couramment utilisé dans le sens de polygynie.

Il existe quatre modèles de mariages polygames dans le monde :

  • Légaux, pour tous les citoyens, indépendamment de la religion (ex. : Burkina Faso)
  • Légaux, uniquement pour les populations musulmanes, selon les lois religieuses de la charia (ex. : Égypte)
  • Interdits, selon le droit civil laïque, sauf pour les mariages multiples qui sont reconnus s’ils sont contractés à l’étranger (ex. : Angleterre) ou s’ils sont antérieurs à la loi (ex. : Bénin)
  • Interdits, selon le droit civil laïque et les mariages multiples ne sont pas reconnus (ex. : Danemark, États-Unis et Canada)

    La polygamie a été explicitement interdite au Canada dans le premier Code criminel canadien, en 1892. La constitutionnalité de la loi est présentement à l’étude devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Si elle est jugée inconstitutionnelle en regard de la Charte qui garantit la liberté religieuse, l’abrogation de cette loi aurait de lourdes conséquences pour l’ensemble des Canadiennes et des Canadiens.

    La polygamie accentue l’inégalité entre les femmes et les hommes. Elle légitime l’appropriation du corps des femmes et des fillettes et renforce la subordination des femmes.

    La polygamie met une énorme pression sur les femmes qui la subissent, les contraignant à l’obéissance totale à leur époux ainsi qu’à sauvegarder l’image d’harmonie familiale, servant à maintenir en place ce système.

    Dans la plupart des cas, les femmes africaines, musulmanes ou mormones savent pertinemment qu’elles ne peuvent se soustraire à la polygamie, qui reste la prérogative des hommes dans leur société.

    Dans les faits, les femmes n’ont pas le choix, ni de marier un homme qui l’est déjà, ni que celui-ci prenne une autre épouse. Mariées jeunes, sans études, leur liberté et leur autonomie sont grandement restreintes.

    La santé physique et mentale des femmes vivant dans un mariage polygame est lourdement affectée, notamment par les grossesses nombreuses, la solitude et la détresse, l’anxiété et le stress, la dépression, les symptômes de stress post-traumatiques.

    Violences physiques et psychologiques, abus sexuels à l’égard des femmes et des enfants, conflits et rivalités entre coépouses et entre les enfants de chacune d’elles, voilà à quoi ressemble le quotidien des familles polygames.

    Un mari polygame peut avoir jusqu’à 40 à 80 enfants. Cette situation conduit le père à se désinvestir envers ses enfants et accroît les difficultés à les soutenir économiquement, rendant la famille plus dépendante des services publics.

    Le déséquilibre lié au grand nombre de femmes pour un même époux prive bon nombre de jeunes hommes de la possibilité de se marier et de fonder leur propre famille. Ce phénomène encourage la traite des femmes et le mariage des jeunes filles mineures.

    L’analyse des effets sociaux liés à la polygamie démontre que les conséquences qui en découlent sont néfastes, même lorsque cette pratique est légalement admise.

    Si le fait de s’engager dans une union multiple relève d’un « choix personnel », le plus souvent celui des hommes, ses conséquences sont collectives. Loin d’être anodine, cette décision a un effet structurel sur l’ensemble d’une société en plus de contribuer à nier les droits et la dignité des femmes.

    Prétendre que l’adultère est une activité similaire à la polygamie ne tient pas la route. Pas plus que le parallèle que certains font avec le fait d’être marié puis séparé, et de s’engager avec une autre personne, sans avoir divorcé. De plus, il faut souligner que la polygamie, contrairement à l’infidélité, est fondée sur une relation asymétrique, y compris des obligations conjugales contraignantes.

     Lire aussi : « Polygamie - Le Comité de réflexion sur la situation des femmes immigrées et “racisées” appuie l’avis du CSF »

    Mis en ligne sur Sisyphe, le 13 novembre 2010




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