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En France et ailleurs, 2010, une mauvaise année pour les femmes

13 janvier 2011

par Annie Sugier, présidente de la Ligue du Droit International des femmes

"Mais qu’est-ce qu’elles veulent encore ?", on se le demande ! Au dix-neuvième siècle, déjà, la question était posée aux premières féministes, alors que tout était à conquérir ! Même étonnement au siècle suivant, dans les années 1970, quand le Mouvement de libération des femmes (MLF) réclama le droit à une maternité libre et la condamnation des violences sexistes. Quarante ans plus tard (tout de même !), les violences faites aux femmes sont décrétées "grande cause nationale", pour un an…

Le chemin parcouru par ce tout jeune mouvement – le féminisme – qui n’a derrière lui que 200 ans d’histoire, est pourtant remarquable. Mais comment ne pas voir ce qui reste encore à faire ? 2010 aura dévoilé bien des injustices masquées. En France, par exemple, le cumul des inégalités professionnelles fait que les retraites des femmes sont inférieures de plus de 45% de celles des hommes ! Quant aux chiffres sur la violence, ils sont proprement effarants : en 2009, 305 000 femmes ont été victimes de violences physiques ou sexuelles inter-ménage et 445 000 hors ménage ! Au niveau international, ce n’est pas mieux. Passons sur les condamnations à la lapidation, les crimes d’honneur ou autres formes de barbarie. S’il n’y avait qu’un scandale à retenir, ce serait l’entrée de l’Iran dans la Commission du statut des femmes à l’ONU.

Pourtant je ne m’arrêterai pas là. Car si j’écris cette tribune, avec une sorte de colère rentrée, c’est surtout pour dénoncer ce qui est invisible et, à ce titre, encore plus dangereux, à travers trois faits d’actualité apparemment anodins. Trois événements tellement révélateurs d’une forme inconsciente et grave de mépris à l’égard des femmes, qu’ils déclencheraient des torrents de protestations s’ils mettaient en cause toute autre catégorie de la société.

Il y a d’abord une tribune (1) parue dans la rubrique Débats du Monde du 19 novembre sous le titre "Remaniement : les femmes seule incarnation de la diversité". L’article est signé Azouz Begag, ancien ministre de l’Égalité des chances. Admettons que, de la même manière que nous, féministes, critiquons la quasi-absence de femmes dans les échelons supérieurs de la hiérarchie, Monsieur Begag dénonce l’absence d’hommes parmi les ministres issus de la diversité. Ce qui est choquant, ce sont les arguments utilisés. Ainsi, il écrit : "Au sein de la population arabo-musulmane de France, cette féminisation exclusive de l’intégration des minorités passe mal. Elle a un goût amer de provocation. Elle symbolise aux yeux de beaucoup une émasculation (sic), une volonté de créer une image qui vous paralyse, qui vous fait honte de ce que vous êtes, tellement elle est mauvaise…". Et d’ajouter, pour ceux qui n’auraient pas compris, "cette féminisation de l’élite politique issue de la diversité a accru le sentiment d’éviction des jeunes Arabes, alors que depuis trois décennies ce sont eux qui subissent la plus grosse charge des vexations, des humiliations et des violences sociales et économiques". Monsieur Begag pourrait se poser la question des vexations et des humiliations subies par les jeunes filles des cités de la part de leurs propres frères ou amis de leurs frères, alors qu’elles démontrent tous les jours une meilleure réussite que les garçons dans le système scolaire ?

Deuxième fait d’actualité : la désignation le 2 décembre, du Qatar, comme pays hôte de la Coupe du monde 2022, par la Fédération internationale de football association (FIFA). Depuis, les critiques se sont multipliées à l’encontre de l’instance dirigeante du foot mondial. Les écologistes ont été parmi les premiers à tirer. Ainsi Bruno Rebelle, ancien directeur de Greenpeace, qui dans une tribune (2) publiée le 14 décembre dans Libération, considère sans doute à juste titre que ce choix n’est pas "écologiquement supportable". Il souligne le bilan carbone catastrophique de l’opération avec ses neufs stades tous climatisés, sans oublier les besoins en eau, et puis, ajoute-t-il, "on peut craindre que l’énorme chantier ne change pas grand-chose aux pratiques sociales dans les pays du Golfe où la main d’œuvre pakistanaise, indienne ou chinoise est surexploitée". Pour répondre à ces critiques, on trouve naturellement de magnifiques avocats, cités dans l’article très documenté de Mustapha Kessous paru dans Le Monde du 18 décembre. Zinédine Zidane souligne : "Le Qatar et à travers lui tout le Moyen-Orient méritaient cette épreuve !". Quant au prince saoudien Nawaf Faisal Fahd Abdulaziz, ministre des Sports et membre du CIO, "il voit dans le choix du Qartar ’la victoire du monde arabe’". Avec raison d’ailleurs, car le président de la FIFA, Sepp Blatter, affirme que l’essentiel est "d’ouvrir" ce sport "à un nouveau monde et à une nouvelle culture". Ce que ces messieurs oublient, y compris les écologistes quand ils s’attaquent au choix du Qatar, c’est que ce pays fait partie, avec l’Arabie Saoudite, des trois derniers membres de la famille olympique qui, en contradiction avec la Charte olympique, n’ont jamais envoyé de femmes aux JO. Lorsque l’Afrique du Sud excluait les Noirs, elle en paya le prix fort en étant radiée de la famille olympique pour 30 ans !

Le troisième exemple nous est fourni par le pape Benoît XVI. On aurait pu espérer, qu’échaudé par le scandale des prêtres pédophiles, il fasse preuve de plus d’ouverture d’esprit à l’égard des femmes et de leur rôle dans l’Église. Bien au contraire ! Comme l’écrit Juan G. Bedoya, dans le grand quotidien espagnol El Pais, sous le titre "La femme secondaire" : "Le pire était à venir. Le 15 juillet dernier, le pape Ratzinger a renforcé le Code Vatican afin de durcir les peines encourues pour les délits les plus graves qui peuvent se commettre en son sein. Avec la pédérastie, il inclut l’ordination des femmes prêtres !"

Ces exemples témoignent de l’incapacité de l’opinion à réaliser qu’il y a injure à l’image des femmes quand on continue à assimiler le féminin à l’émasculation de hommes, quand on ne "voit" pas qu’une région du monde qui ambitionne d’être en tête des nations sportives discrimine ses propres sportives, soit en les excluant des compétitions soit en les attifant du voile islamique, où quand l’idée même de donner de vraies responsabilités aux femmes est considérée comme un crime… Tant qu’on ne remarquera même pas le caractère injurieux de ces situations, on continuera à conforter les stéréotypes qui sont la cause des violences dont sont victimes les femmes.

Notes

1. Le Monde, le 19 novembre 2010.
2. Libération, le 14 décembre 2010.
3. Le Monde, 17 décembre 2010.

 Publié dans Le Monde, le 5 janvier 2011, et reproduit sur Sisyphe avec l’accord de l’auteure.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 5 janvier 2011

Annie Sugier, présidente de la Ligue du Droit International des femmes


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