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Islam et intégrisme - La liberté de pensée a disparu sous le tapis de prière
Les musulmans doivent devenir des citoyens libres

9 février 2011

par Necla Kelek, sociologue

Necla Kelek est une sociologue allemande d’origine turque arrivée en Allemagne à l’âge de 8 ans avec sa famille musulmane. Ci-dessous, le discours qu’elle a prononcé lorsqu’elle a reçu le Prix de la liberté de la Fondation Friedrich Naumann, le 9 novembre 2010. Elle invite les musulmans à reconnaître les problèmes de leur culture d’origine et à les résoudre en mettant à profit la liberté dont ils jouissent en Occident.

Sa dénonciation du problème de la « société parallèle » des musulmans en Allemagne et sa critique de l’islam lui ont valu d’être attaquée par la tendance multiculturaliste. Sa réplique a été tellement convaincante que l’opinion publique s’est rangée de son côté.

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« L’amour est la chose la plus importante dans la vie, mais la liberté est encore plus importante », disait un poète oublié. Alors, parlons de liberté, car j’ai l’impression que nous devons libérer ce concept de définitions aléatoires et de la récupération par les populistes.

Tout d’abord, j’aimerais parler de la liberté des femmes. Il y a cinq ans, j’ai publié un rapport tiré de mes observations sur la vie des femmes turques en Allemagne : Die fremde Braut (La fiancée importée) afin d’attirer l’attention sur le sort de ces épouses importées, sur ces femmes et ces filles mariées sous l’ordre patriarcal, pour des raisons religieuses, et amenées en Allemagne pour vivre pratiquement une forme d’apartheid et d’esclavage dans une société parallèle.

Ce rapport a connu un retentissement énorme, ainsi que d’autres évènements, et a suscité une controverse fondamentale sur l’intégration et l’islam. Je suis reconnaissante aux médias d’avoir rendu ce débat possible, et en particulier à Alice Schwarzer du magazine Emma, qui a défendu – avant les autres médias et de façon plus soutenue - ce sujet maintenu tabou chez les politiciens et les faiseurs d’opinion. Alice est notre Abla, notre grande sœur du mouvement contre l’oppression des femmes, et elle m’a appris à ne jamais perdre de vue le point central : la situation des femmes et les droits humains. Je n’ai jamais été une victime, je n’ai pas été affectée personnellement par cette répression, ni dans la publication de mon rapport, ni dans mes recherches, mais j’étais toujours consciente du sujet et je m’y tenais.

Bannir le mariage forcé : acte symbolique de condamnation

Je n’ai pas eu un destin spécial, ma vie ressemble à celle de beaucoup d’autres. Je sers parfois d’exemple, tout comme le grand sociologue Richard Sennett qui a décrit, par ses exemples vécus, les effets de la modernité sur l’individu. L’attention des médias a permis que la loi pour interdire les mariages forcés, demandée depuis des années, devienne enfin une réalité. C’est plus qu’un acte symbolique. C’est la condamnation d’une pratique inique, où des milliers de « cas isolés » de jeunes gens étaient mariés contre leur gré. Nous ferons appliquer cette loi et nous allons préparer des lignes de téléphone d’urgence et des mesures de soutien appropriées, pour qu’elle devienne un véritable instrument de libération.

L’interdiction du mariage forcé, l’imposition de l’âge minimal de 18 ans et la maîtrise de 300 mots d’allemand pour la réunification de la famille, ainsi que l’analyse du système patriarcal, des traditions et des légitimations religieuses rencontrent encore une très forte résistance chez les Turcs, les organisations islamiques, les chercheurs de l’immigration et beaucoup de politiciens. Même encore maintenant, ils m’accusent de diffamer l’islam et les Turcs seulement parce que je parle d’un sujet considéré comme tabou dans ces communautés, parce que, non seulement j’essaie de comprendre et d’aider, mais je veux également éveiller les esprits et changer les choses. Malgré toutes ces critiques, le nombre de fiancées importées a diminué de deux tiers, ces dernières années, parce que cela est devenu plus difficile d’importer une fiancée en Allemagne. Ainsi, grâce à une simple mesure légale, des dizaines de milliers de jeunes hommes et de jeunes femmes peuvent avoir la chance de décider de leur propre vie.

De la différence entre le hasard et la liberté

Le parti des Verts ne s’en préoccupe absolument pas et même tourne en ridicule ceux qui ne peuvent tolérer « quelques petites différences culturelles », comme si le débat sur l’intégration concernait le kebab ou le sushi plutôt que des droits humains fondamentaux. Ces moralisateurs arrogants – particulièrement les intellectuels - qui relativisent tout et n’importe quoi, minimisent les problèmes (surtout quand ils ne sont pas concernés), se moquent des souffrances des autres, et considèrent la liberté comme un fourre-tout, où le pur hasard ferait bien les choses, et qui ignorent que la liberté sans responsabilité se détruit elle-même - ces gens-là sont en fait les vrais responsables de l’échec de l’intégration.

Le débat s’est élargi à cause de l’augmentation des problèmes sociaux et grâce au livre de Thilo Sarrazin et à ses froides statistiques, pour dépasser largement le cadre étroit de l’oppression des femmes. Sarrazin va au-delà des cas particuliers et des échecs sociaux, éducatifs et d’intégration, et remet en cause la politique du « comprendre et aider » et l’intervention sociale comme politique sociale. Sarrazin prône plutôt la responsabilisation des individus, y compris des immigrés. La liberté signifie être responsable de soi-même, se tenir debout, y compris pour les immigrés. Ces mots peuvent paraître froids et je ne suis pas toujours d’accord avec le point de vue de Sarrazin. Sa description des racines du problème peut être débattue, mais son livre représente indéniablement un vaste changement dans la façon d’aborder le problème de l’intégration.

La rééducation des Allemands de l’Est à la démocratie sert de modèle

Permettez-moi d’élargir par une pensée la phrase qui commence par « l’islam » ou « le christianisme » et se termine par « fait partie de l’Allemagne ». Ici, également, il s’agit de liberté et de socialisme. Le socialisme a fait partie de l’Allemagne pendant plus de 20 ans. L’Allemagne de l’Est était la réalité et quiconque osait contester le modèle socialiste avant 1989 à l’Ouest était ridiculisé, considéré comme une personne archaïque, quelqu’un qui ne sait pas reconnaître les signes du temps. À l’Est, cette personne était punie en tant que dissidente. Je vis en Allemagne depuis plus de quarante ans maintenant, j’ai voyagé dans les nouveaux Länder en 1991 à la fin de mes études et après la chute du mur de Berlin. En tant que professeur à l’Université de Greifswald, j’ai enseigné la démocratie à d’anciens fonctionnaires de Wolgast et du Nouveau-Brandebourg.

Pour ces anciens citoyens de l’ex-RDA, qui au départ étaient réticents envers les « Wessis » (les Allemands de l’Ouest), comme moi, la liberté n’était pas inconditionnelle comme pour nos classes moyennes. Pour eux, la liberté signifiait « disposer du nécessaire », soit ce qui avait été scientifiquement défini comme nécessaire, en réalité, ce que le Parti communiste avait décidé. La liberté était une sorte de bien collectif, car « c’est seulement collectivement avec les autres que l’individu possède les moyens de développer ses atouts ; la liberté individuelle n’est possible que dans un cadre collectif », selon les dires de Marx et Engels.

Le désir de liberté d’une adolescente

Un jour, alors que j’avais seize ans, j’ai demandé à ma mère, emprisonnée mentalement dans les traditions turques et musulmanes, quand je serais libre, quand je pourrais décider par moi-même. Elle m’a répondu : « La liberté n’est pas pour nous », en fait, elle ne comprenait pas ma question. Pour elle « être libre » signifiait « libre comme l’air » (la connotation est « hors-la-loi »), et de ce fait sans aucune protection. « Etre libre », dans la compréhension de l’oumma, signifie non protégé, rejeté de tous, de sa famille, de son clan, de sa tribu. Le prix de la « protection » est le pouvoir des hommes sur les femmes.

En cas de doute, la femme est à la merci de la violence des hommes, car les hommes de la tribu protègent les femmes contre la violence des hommes des autres tribus. Si le mari lui-même est violent, alors c’est « kismet » : le destin. Les hommes musulmans sont donc les gardiens et les protecteurs des femmes musulmanes. Pour une femme musulmane, il s’agit d’être libre de « quelque chose » : libre des hostilités étrangères, mais aussi libérée des responsabilités envers elle-même, dans le sens d’être dénuée de volonté propre.

L’islam en Europe

À l’instar des autres religions monothéistes, l’islam n’était pas une religion de paix, mais était militairement offensif et agressif. En fait, cette nouvelle religion promettait à ses guerriers soit le butin des pillages, soit l’accès direct au paradis. Au Moyen-Orient, dans les 7ème et 8ème siècles, les philosophes grecs s’épuisaient dans de vaines querelles concernant le Talmud et le christianisme. La philosophie grecque était encore enseignée principalement à Bagdad, qui avait été conquise par les musulmans. Un début de réconciliation a eu lieu entre la sagesse d’Aristote et l’islam, mais les dogmatiques ont gagné, ils ont alors banni le rationalisme et imposé leur propre école de pensée.

J’aimerais maintenant démystifier cette fable, répétée maintes et maintes fois, qui attribue une influence de l’islam sur la culture européenne. On prétend que l’islam aurait sauvé la pensée d’Aristote en Europe, cette affirmation donne à l’islam une image plus valorisante. Parmi d’autres philosophes et mystiques arabo-andalous, nous connaissons Ibn Rushd, appelé aussi Averroès. Au douzième siècle à Cordoue, il a traduit en arabe les textes philosophiques d’Aristote que l’on croyait perdus, et il les a commentés. Dans l’un de ses commentaires, il a analysé la relation entre la raison et la foi, ce qui provoqua une forte résistance des croyants musulmans.

L’islam considère la philosophie comme étant déjà réfutée

Le représentant de la doxa islamique, Al-Ghazali, a d’abord essayé par la méthode du doute philosophique de prouver l’existence divine, puis il a lui-même succombé à un scepticisme angoissant, et enfin il a perdu toute confiance dans la raison humaine et retrouvé ses propres certitudes dans la foi seule. Finalement, il a rejeté totalement la philosophie en tant que chemin possible vers la vérité et considéra la révélation coranique et la création du monde par Allah comme uniques garanties de la vérité. En réalité, c’est bien Al-Ghazali lui-même, avec son ouvrage sur la « Réfutation des philosophes », qui a scellé l’islam contre toute forme de questionnement et a exilé la religion dans cette boîte qui, jusqu’à nos jours, la prive de toute possibilité d’innovation, de recherche et d’actualisation par rapport au monde réel.

Ce fameux Ibn Ruchd-Averroès, qui est présenté de nos jours comme faisant partie du patrimoine des musulmans, a été de son temps exilé par les chefs religieux, et ses enseignements ainsi que ceux d’Aristote ont été prohibés dans le monde de l’islam. La contribution de la philosophie islamique à la culture européenne est une hérésie, du point de vue de l’islam, et cela encore de nos jours. Ibn Ruchd était un hérétique pour le monde islamique et, avant de l’invoquer, les musulmans devraient d’abord le réhabiliter.

Au final, par le fait de renier toute recherche philosophique, le monde musulman a abandonné le discours culturel en Europe depuis presque 1000 ans. Cela fait un millénaire que l’islam s’est fermé lui-même, non seulement à la philosophie, mais également aux sciences naturelles. La liberté de pensée a disparu sous le tapis de prière. Si des mathématiciens, des physiciens, des astronomes connurent la gloire pendant les trois premiers siècles de l’islam, ils disparurent complètement pendant les siècles suivants. Actuellement, les pays musulmans dépendent entièrement de la technologie occidentale. Leurs efforts inefficaces pour maîtriser, au moins, la technologie leur permettant d’extraire eux-mêmes leur pétrole est l’une des blessures à vif du monde musulman. L’informatique et la téléphonie mobile ne sont pas de simples technologies, mais l’aboutissement de cinq siècles de l’histoire culturelle de l’Occident.

Une constitution qui a préséance sur les rois et les dieux

Parlons maintenant de la liberté en Europe. La Cité (« polis » en grec), la Cité-État de l’Antiquité grecque, a été la première organisation de l’État offrant une égalité en droits à ses citoyens, bien que seulement aux citoyens libres. Aristote a placé l’état de droit, donc l’ordre constitutionnel, au-dessus des despotes et des dieux. Il a affirmé qu’un régime régi par les hommes plutôt que par la loi n’est pas un régime de liberté. Nous devons donc aux Grecs non seulement la démocratie, mais également un système juridique.

Ce système a ensuite été élargi à Rome, grâce à Cicéron, autour des concepts d’humanité et des efforts vers de plus amples développements culturels. Il a instauré le droit civil et le droit de la propriété privée, l’un des prérequis pour que l’individu indépendant puisse se développer et se dégager de la collectivité tribale. Le judaïsme ainsi que le christianisme croyaient à l’idée d’égalité de tous devant Dieu, et avec la personne de Jésus, la responsabilité individuelle devient une norme de conduite. Ces valeurs n’ont joué aucun rôle dans la vision du monde de l’islam tel qu’il est apparu aux septième et huitième siècles. Dans le monde de l’islam, la garantie de « l’égale liberté » de l’Antiquité est devenue « l’égale liberté dans la dévotion à Allah et dans la soumission à sa volonté ».

La conscience devient la mesure du comportement éthique

Inspiré par Averroès, le théologien Thomas d’Aquin identifie l’être humain en tant que sujet, agent actif de l’Histoire doté de libre arbitre dans sa relation à Dieu. Il établit ainsi les bases intellectuelles de la pensée scientifique en Europe.

Ensuite, avec la Réforme et la Renaissance au nord, les gens admettent la nécessité de la laïcité, la théorie des deux royaumes de Luther, la séparation des pouvoirs temporels et spirituels, ainsi que le développement de la conscience individuelle en tant que mesure du comportement humain.

Depuis lors, le royaume de Dieu de la doctrine chrétienne « n’est pas de ce monde » et ne peut, par conséquent, être jugé selon les critères humains. Par contre, un ordre vérifiable était souhaitable sur terre. Les décisions « sur terre » sont d’une part évaluées selon la conscience morale de l’individu et, d’autre part, jugées par des lois de ce monde qui prennent en charge le châtiment et la protection. Il n’existe pas dans l’islam de séparation entre ce monde sur terre et le monde surnaturel, et c’est seulement en tant que membre d’un ordre abstrait que le musulman peut remplir son devoir. Par conséquent, la politique pour un musulman est l’accomplissement des tâches assignées par Allah, et qui reviennent à Allah seul.

La conscience comme guide de la conduite n’existe pas dans l’islam car l’être humain n’a pas le pouvoir de décider ce qui est bien ou mal. Allah précise « ce qui est juste et ce qui est condamnable » et le croyant a le devoir de se conformer à ces prescriptions. En cas de doute, Allah peut punir ou pardonner le pécheur, parfois aussi tard qu’au Jour du Jugement, mais seul Allah décide.

Un noyau juridique serait insuffisant comme base sociale

Le droit constitutionnel allemand est la quintessence des leçons de l’Histoire et du développement de cette culture de la liberté obtenue contre les Églises, mais nous réduirions notre société à un simple noyau légal si nous ne la replacions pas dans le contexte de ses valeurs éthiques. Il y a un « Esprit des lois », ainsi que l’avait formulé Montesquieu. Ainsi, l’État-providence est l’une des expressions de la charité chrétienne en tant que valeur de solidarité humaine. Nier ce contexte éthique serait comme réduire la valeur d’un arbre au prix du bois.

En effet, l’arbre est plus que du bois : l’arbre est vivant, il porte des fruits, donne de l’ombre et offre de la beauté. Les « arbres de la Liberté » de la révolution de 1848 sont des symboles vivants de cet esprit et de cette volonté de liberté. Une société démocratique a besoin de démocrates tout comme l’arbre a besoin de lumière et d’eau pour vivre. Une société qui cesse de croire à cette idée et de développer ses propres valeurs éthiques, encore et encore, à l’image de l’arbre qui renouvelle ses feuilles à chaque printemps, mourra, elle deviendra une coquille vide et sera une proie facile pour les coccinelles et les tempêtes.

Les droits humains soumis à la charia

La valeur d’une vie humaine, l’égalité des droits des hommes et des femmes, la liberté d’expression, la liberté de conscience et de religion, le droit de se réunir et de s’associer librement, la séparation du religieux et de la politique, tous ces concepts sont depuis la Renaissance les principes fondamentaux de la société européenne. Avec certains délais, ces principes ont été traduits dans des lois et des constitutions, ils ont façonné l’orientation des valeurs éthiques de la société civile et, jusqu’à ce jour, constituent l’essence même de l’identité européenne.

L’islam politique et, par là, je fais référence aux 57 pays de l’Organisation de la conférence islamique, subordonne tous les droits humains à la charia, la loi divine. Les organisations islamiques, même en Allemagne, mettent l’emphase sur la charia, et c’est bien pour cela qu’il est si difficile de séparer « islam » et « islamisme ». Le rejet de la laïcité et de la culture occidentale par l’islam est plus qu’un volet militant ; il constitue l’essence même de la politique de presque toutes les institutions musulmanes.

La religion est seulement une partie de la liberté

L’Europe n’est pas uniquement issue d’une tradition de religions monothéistes, son identité ne se limite pas à son héritage judéo-chrétien, car finalement, c’est la bataille pour la liberté individuelle, les Lumières, l’Humanisme qui ont fondé notre société civile libérale et civilisée. Les religions font indubitablement partie de cette société civile, mais seulement en tant que parties de cette société, elles ne sont pas la liberté elle-même. Les religions font partie de nos libertés, mais elles n’ont pas préséance sur la constitution, et cela est vrai également pour l’islam en Europe.

Finalement, nous allons aborder le sujet de la liberté de l’islam en Europe. En réalité, il n’y a qu’en Europe que les musulmans sont libres, car ils peuvent faire usage d’un droit qui n’existe absolument pas dans un pays musulman : la liberté de religion. En Turquie, par exemple, chaque citoyen est musulman et membre de facto de la secte sunnite parrainée par l’État. Les quelques chrétiens vivent dans la clandestinité et n’ont pas leur place, et les Alévites, une communauté Soufie avec des influences chiites qui est majoritaire dans plusieurs régions de l’Anatolie centrale, sont placés sous la tutelle de l’État. L’islam ne reconnaît en aucun cas la liberté religieuse, mais seulement la liberté de croire. La fameuse phrase « pas de contrainte en religion » n’est pas un droit à la liberté de religion, mais seulement le droit pour le croyant de décider de sa façon de pratiquer sa religion.

L’islam n’a pas d’autorité centrale

L’islam en tant qu’institution n’existe pas. Il n’a pas d’organisation hiérarchique ni de théologie commune, ce n’est pas une Église, c’est une religion mondiale sans adresse connue. Il est impossible de signer un traité avec lui, impossible de conclure un accord, et il n’a aucune notion de responsabilité.

Aucune mosquée et aucune organisation musulmane, même si elle s’y autorise, ne peut parler au nom de « l’islam » ni même au nom de la majorité des musulmans.

Les sociétés démocratiques ne devraient pas commettre l’erreur d’accepter « l’islam » en tant qu’institution car il n’y a rien de tel dans l’islam. Mais alors, que faire ? Revenons-en à nos principes démocratiques, revenons à notre héritage, revenons à notre liberté individuelle et, sur ces bases-là, nous ne trouvons pas plus « un musulman » qu’« un islam ». Ici, nous trouvons un paysan anatolien qui vit sa tradition dans une mosquée, là, nous trouvons une doctoresse sécularisée qui n’a jamais mis les pieds dans une mosquée, et là, encore, un boulanger qui ne prie jamais mais se définit en tant que croyant. Ailleurs, vous trouverez une épouse cloîtrée soumise à sa belle-mère ou, encore, un journaliste assimilé qui considère comme superflu tout débat sur l’islam. Et tant et tant d’autres. Vous trouverez de multiples structures culturelles et traditionnelles telles qu’elles sont vécues par les familles et les sociétés musulmanes. L’existence des musulmans est une réalité concrète, et leur socialisation est trop souvent réduite à un cliché même par les chercheurs, qui devraient pourtant être mieux avisés.

Opposer le savoir à la peur

En tant que sociologue, je considère que ma tâche est de démontrer ces conditions de vie et les restrictions dues à la religion, afin de définir des chemins pour fuir la peur. On peut toujours s’opposer à la peur par la connaissance. Les musulmans ont des difficultés à affronter leur propre religion. Un faible engagement à étudier de façon critique le coran commence cependant à poindre. Les croyances, les traditions et la politique sont mélangées dans la plus grande confusion. La liberté de la pensée scientifique, la rationalité appliquée à l’islam feraient le plus grand bien aux musulmans, levant le bannissement de la pensée critique, et examinant ce qu’il y aurait dans cette foi qui pourrait aider l’être humain de nos jours.

Les citoyens de confession musulmane en Europe ont la chance incroyable de vivre en liberté. Ils vont devoir faire face à la tâche historique de lire le coran avec un regard critique, afin de pouvoir trouver leur place dans une société occidentale moderne et sécularisée, et je suis persuadée que la majorité des musulmans désirent cela. Ils veulent s’affranchir de l’infantilisation, mais pour ce faire, ils ont besoin du soutien d’une société qui vit et défend ses propres libertés et celles de chaque citoyen.

Les musulmans assimilés doivent se sentir responsables

Ce sera seulement lorsque les musulmans feront preuve de loyauté envers la société d’accueil et reconnaîtront le principe des libertés individuelles, seulement lorsqu’ils cesseront de nier leurs propres problèmes, mais y feront enfin face, qu’ils pourront accomplir leur devoir de citoyens. Une grande part de responsabilité incombe aux musulmans intégrés ou assimilés, ceux qui ont été reçus en Allemagne et ont rencontré le succès. Ils doivent reconnaître les problèmes de leur culture d’origine afin de les résoudre.

Oui, la réalité de la vie musulmane est devenue une part de l’Allemagne, oui, les citoyens de confession musulmane font partie intégrante de l’Allemagne, mais ils sont également plus que cela : ils sont des citoyens et non pas des victimes. Eux aussi sont le peuple. Cela signifie que leur liberté doit être protégée, mais en même temps, leur responsabilité doit être engagée. Notre société leur offre la liberté. Il appartient aux musulmans de comprendre qu’il s’agit d’une occasion.

Approprions-nous la liberté, car ni la charia, ni la fusion de la religion et de la politique, ni les prétentions de l’Oumma à l’infaillibilité, ni l’apartheid entre l’homme et la femme ne peuvent devenir une partie intégrante de l’Allemagne. Cela serait une trahison de la liberté, de notre constitution et des musulmans qui pour la première fois de leur histoire, font l’expérience de la liberté.

Source : "“Freedom of Thought Disappeared Under the Prayer Rug”, par Necla Kelek, Gates of Vienna, December 14, 2010. Traduction de la version anglaise par Marie pour Poste de veille, le 6 janvier 2011. Le texte original a été publié en allemand dans Frankfurter Allgemeine Zeitung.

Nous remercions Poste de veille de partager avec nous cette traduction.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 15 janvier 2011

Necla Kelek, sociologue


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=3751 -