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Pour l’égalité de fait pour toutes : une politique de lutte contre l’exploitation sexuelle de l’image et du corps des femmes et des filles

14 février 2011

par la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES)

Mémoire présenté à la Commission des relations avec les citoyens
par La Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES).

Vers un deuxième plan d’action gouvernemental pour l’égalité entre les femmes et les hommes
Février 2011



Introduction

En 2006, le gouvernement québécois a adopté une politique Pour que l’égalité de droits devienne une égalité de fait. La Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES), à l’instar de plusieurs organismes, a applaudi cette politique ouvrant la voie à l’application de ce que le mouvement des femmes, ainsi qu’une bonne partie de la population considèrent comme étant incontournable dans une société démocratique et de droits, soit l’égalité entre les femmes et les hommes et l’égalité pour toutes. Outre le fait qu’une telle politique donne de nouveaux outils pour évaluer l’avancement et l’atteinte d’objectifs spécifiques concernant l’égalité, la CLES souligne tout particulièrement la reconnaissance explicite que l’exploitation sexuelle sous toutes ses formes est une violence envers les femmes.

La Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle n’avait pas participé à la consultation précédent le premier plan d’actions accompagnant la politique. Nous avions cependant noté que l’orientation 5 du plan d’actions 2007-2010 pour le respect de l’intégrité des femmes et leur sécurité dans tous les milieux ne faisait qu’effleurer la question de l’exploitation sexuelle en la limitant à la traite des êtres humains.

À nos yeux, une réponse adéquate à cette orientation passait et passe toujours par la lutte contre les différentes formes d’exploitations sexuelles dont les femmes et les filles sont victimes. À partir de notre expérience des dernières années auprès des femmes ayant un vécu en lien avec la prostitution et l’industrie du sexe sous toutes ses formes, nous affirmons que l’égalité de fait pour toutes passe par une lutte spécifique contre l’exploitation sexuelle de l’image et du corps des femmes et des filles.

La lutte contre l’exploitation sexuelle ne se limite pas à assurer la sécurité des femmes, elle suppose aussi un travail pour créer les conditions sociales et économiques pour que les femmes aient de véritables choix et puissent bénéficier du soutien nécessaire pour sortir de l’industrie du sexe mais aussi disposent de moyens de ne pas y être amenées. Aussi, nos recommandations touchent diverses orientations présentes dans la politique :

• La promotion de modèles égalitaires
• L’égalité économique
• L’approche en santé adaptée aux femmes
• L’intégrité et la sécurité des femmes

Nous croyons fermement en la nécessité de doter la société québécoise d’une approche cohérente avec l’engagement de la politique sur l’égalité afin que l’égalité soit une réalité quotidienne pour chacune des femmes et des filles vivant au Québec. Nous espérons que le deuxième plan d’action s’aura s’appuyer sur le travail accompli entre 2007 et 2010 par les différents acteurs concernés tout en intensifiant les mesures de lutte contre les inégalités socio-économiques existantes entre les femmes et les hommes.

Dans cette perspective, et conformément à notre expertise, nous proposerons dans ce mémoire présenté à la Commission des relations avec les citoyens, une réflexion critique et un plan d’action pour la mise en place d’une politique de lutte contre l’exploitation sexuelle de l’image et du corps des filles et des femmes.

(...)

Politique de lutte contre l’exploitation sexuelle de l’image et du corps des femmes et des filles

L’exploitation sexuelle se définit comme toute pratique par laquelle une ou des personnes obtiennent une gratification sexuelle, un gain financier ou un avancement quelconque en abusant de la sexualité d’une autre personne ou d’un groupe de personnes, lésant ainsi le droit de ces dernières à la dignité, à l’égalité, à l’autonomie et au bien-être mental. L’exploitation sexuelle se situe dans le continuum de la violence envers les femmes, incluant la prostitution sous toutes ses formes (la danse et les massages dits érotiques, les services d’escortes, la prostitution de rue, la pornographie, la traite à des fins sexuelles, l’esclavage sexuel, le tourisme sexuel) ainsi que le mariage par correspondance ou forcé, les publicités sexistes, la sexualisation de l’espace public, etc.
Cet éventail d’exploitation repose sur les rapports inégalitaires entre les femmes et les hommes. Dans une société où l’égalité sociale, tout particulièrement l’égalité entre les femmes et les hommes, est une valeur portée par un ensemble d’institutions, de politiques, de règlements et par la population, il importe d’aller plus loin dans la lutte contre cette forme de violence

• Politique spécifique

Au Québec, nous avons élaboré et mises en application diverses politiques luttant très clairement contre la violence physique et sexuelle envers les femmes. Ces politiques ont permis, au fil des années, d’obtenir des résultats probants pour ce qui concerne la reconnaissance et la dénonciation de la violence des hommes envers les femmes en tant que réalité sociale inacceptable. Il reste encore bien du chemin à parcourir pour affirmer que la violence est chose du passé mais il y a, pour le moins, une meilleure connaissance du phénomène et de son lien étroit avec l’accès à l’égalité pour toutes. Ceci est le fruit du travail de milliers de féministes qui ont mis sur pied et maintiennent, avec le soutien de l’état, des ressources spécifiques qui, bien qu’insuffisantes, permettent à des milliers de femmes d’être entendues, accompagnées et soutenues.

En ce qui concerne les différentes formes d’exploitation sexuelle, trop peu d’attention a été portée à ce type de violence envers les femmes, et encore moins en ce qui concerne la prostitution et la pornographie. Cela s’explique de diverses façons mais l’avènement d’un discours banalisant ces deux formes de violence envers les femmes y est pour beaucoup. Ce n’est que récemment qu’un travail a été amorcé par exemple par les centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (calacs) et des organismes comme la CLES ou la Maison de Marthe à Québec, pour dénoncer et intervenir afin de contrer son expansion et défaire les mythes et préjugés l’entourant.

Pourtant, nous sommes à la croisée des chemins et pour parvenir à contrer une forme de violence qui est en train de gagner du terrain à la fois sur le plan de la banalisation et de celui de l’expansion ici comme ailleurs dans le monde, nous nous devons d’agir de façon concertée et déterminée.

Tel que mentionné en introduction, il est très utile d’avoir une politique d’égalité qui reconnaît l’exploitation sexuelle, dont la prostitution, comme une forme de violence envers les femmes. Il faut aussi souligner l’effort du gouvernement québécois pour porter cette question sur la scène internationale en proposant à l’Organisation internationale de la francophonie l’adoption, en mars 2010, d’une Déclaration sur la violence faite aux femmes incluant la dénonciation de l’exploitation de la prostitution et l’esclavage sexuel. Ce sont là des pas importants. Cela étant, les déclarations de principe ne suffisent pas, à elles seules, à enrayer ces formes de violence et à changer les conditions de vie de plusieurs milliers de femmes et de filles en attente de soutien et d’actions claires. Une politique de lutte contre l’exploitation sexuelle de l’image et du corps des femmes et des filles permettrait d’amener une analyse critique, de cibler et mettre en pratique des objectifs, des actions spécifiques et des moyens collectifs pour enrayer ces violences.

• Loi contre la violence envers les femmes

La lutte contre la violence envers les femmes doit guider l’action gouvernementale en faveur de l’égalité. C’est une condition sine qua non pour changer la vie des québécoises et québécois. Les diverses politiques et déclarations adoptées jusqu’à maintenant constituent un bon socle pour construire une véritable loi sur la violence envers les femmes. Ultimement, une loi cadre permettrait d’avoir une plus grande portée et de lier indéniablement le développement social et économique du Québec à l’établissement de rapports égalitaires entre les femmes et les hommes.
Nous sommes conscientes que l’adoption d’une telle loi demande plusieurs consultations et réflexions et nous sommes inspirées par la Loi sur la paix des femmes que la Suède a adopté en 1999 et qui permet, encore aujourd’hui, de lier toutes les formes de violence envers les femmes et le développement d’une société plus juste et plus égalitaire. C’est sûrement là une des raisons pour laquelle ce pays, comme d’autres pays nordiques, se retrouve, année après année, parmi les pays où les droits des femmes sont les plus avancés. La Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle souhaite qu’éventuellement nous puissions, comme société québécoise, adopter une telle loi sur la violence envers les femmes pour que l’égalité de droits, devienne une égalité de fait.

Problématiques et préoccupations quant à l’exploitation sexuelle de l’IMAGE des filles et des femmes

L’exploitation sexuelle de l’image des filles et des femmes entretient un lien étroit avec l’exploitation sexuelle de leur corps ; tout comme il existe un lien entre la manière dont les jeunes filles et les jeunes garçons sont élevés, les représentations qui leur sont associées, l’imaginaire dans lequel ils et elles grandissent et leurs comportements respectifs. « Travailler à des changements effectifs et en profondeur des rôles différenciés des filles et des garçons » (1), c’est avant tout identifier les facteurs favorisant ces inégalités et porter un regard critique sur les mécanismes de discrimination ou de banalisation.

• Socialisation sexiste et inégalitaire

À l’instar de nombreux groupes, organismes et individus, nous sommes préoccupées par la socialisation différenciée et inégalitaire à travers laquelle les jeunes filles doivent évoluer et grandir. En effet, nous sommes choquées de voir que dès la petite enfance, et ce à travers les stratégies d’éducation et les référents imaginaires, les petites filles sont poussées vers des mondes roses, de vedettariat et de princesses « sex-ductrices »(2) ; tandis que les garçons sont amenés à performer, à jouer au soldat ou au super héros. Les unes sont présentées et encouragées à entrer dans des rôles plutôt passifs (plaire, être jolie, être oisive, être sage etc.), et les autres sont incarnés par des valeurs de domination, de conquête et de performance. À cela s’ajoute l’injonction d’une mode hypersexy (3) pour les filles, auxquelles dès deux ans l’on propose de porter une culotte à dentelle sur laquelle est inscrit « sexy bab’ ». Comme le montre le dernier film de Sophie Bissonette « Etre ou paraître » (4), les stéréotypes sexuels véhiculés par l’industrie des jeux ou du divertissement par exemple ont des impacts négatifs réels sur le comportement des jeunes, et ce de manière asymétrique selon que la personne est une fille ou un garçon. Cette socialisation sexiste renforce les dominations et limite l’éventail identitaire (5).

Notes

1. Cahier de consultation Pour que l’égalité de droit devienne une égalité de fait. Vers un deuxième plan d’action gouvernemental pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine. 2010, p. 5.
2. Carole Boulebsol, « La socialisation des filles : un facteur de risque ? », Communication, Symposium féministe annuel. Université McGill, 14 mai 2010
3. Mariette Julien, « La mode hypersexy mise à nu », Médiane, Vol.2, No 1, p.27-32
4. Sophie Bissonnette, avec la collaboration du Y des femmes de Montréal, « Etre ou paraître les enfants face aux stéréotypes sexuels », ONF, 2010.
5. Carole Boulebsol, Lilia Goldfarb, « Penser la sexualisation : de l’économie de réflexion au renforcement des discriminations » in Francine Descarries et Richard Poulin ( sous la direction), Luttes, oppressions, rapports sociaux de sexe, Nouveaux Cahiers du socialisme, Écosociété, no 4, Automne 2010, p. 236-250.

 On peut télécharger le document complet sur le site de la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES).

Mis en ligne sur Sisyphe, le 6 février 2011

la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES)


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