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Lettre pour la pluralité des voix en matière d’islam et POUR la liberté de conscience !

17 février 2011

par Micheline Labelle, Mounia Chadi, Marie-Michèle Poisson, Yasmina Chouakri

Des « …cellules cancéreuses qui rongent notre société de l’intérieur ». C’est ainsi qu’une activiste islamiste de Montréal (Samira Laouni*) a qualifié dans une lettre ouverte les quatre panélistes de la conférence du 25 janvier sur « Laïcité, genre et immigration : Mythes, réalité et stigmatisation », organisée par la Table des groupes de femmes de Montréal (TGFM).

Nous considérons ce discours comme étant haineux. Des « cellules cancéreuses », ça tue. Recourir à cette image est une tactique très révélatrice. Nous considérons qu’il s’agit d’une double stratégie : de marginalisation des voix libérales dans l’islam et de culpabilisation des voix critiques de l’islamisme dans la société majoritaire.

Ce discours haineux réagit par des insultes et des taxations d’« islamophobie » et de « xénophobie » à des points de vue solidement argumentés. Nous tenons à attirer l’attention de l’opinion publique au Québec sur le danger que certains milieux de l’activisme islamique s’accaparent la parole au nom de l’islam et montrent du doigt tout penseur libre qui ait un point de vue différent.

Les panélistes de la conférence du 25 janvier dernier avaient bien abordé l’ensemble des thèmes reliés à la conférence, notamment l’histoire de la laïcisation au Québec, l’intérêt de valeurs communes rassemblant les Québécois(e)s de diverses origines, les mythes entourant une perception misérabiliste des femmes musulmanes qui les réduit à « une histoire de voile », phénomène minoritaire alors que leur histoire est bien plus complexe, riche et diversifiée, la polysémie du voile qui s’oppose au paradigme dominant actuellement et selon lequel le voile représente « l’Expression » de la religion musulmane qui essentialise le groupe des femmes musulmanes, la stigmatisation de l’ensemble des femmes immigrées du fait du contexte intérieur - confronté à des demandes de nature religieuse - et extérieur, caractérisé par une montée des fondamentalismes religieux, en particulier du fondamentalisme islamique, l’existence d’un racisme systémique qui exclut certains groupes de la population d’une représentation à l’image de la diversité de la société québécoise, l’absence d’imputabilité des institutions québécoises face à la non-application des Programmes d’accès à l’égalité dans les institutions publiques et privées, la présentation de résultats partiels d’une tournée récente dans différentes régions du Québec démontrant que la question du port du voile ne constitue pas un enjeu prioritaire pour les Néo-Québécoises et, enfin, de l’urgence de se pencher sur les vrais enjeux de l’intégration des femmes immigrantes, qui passe avant tout par une intégration socioéconomique.

Il se trouve que parmi les panélistes à la conférence du 25 janvier, il y avait deux femmes d’origine et de culture musulmane qui ont fait la liaison entre la montée du phénomène d’un islam radical dans le monde et la montée du port du foulard islamique, y compris en Occident. Elles ont également considéré que selon les interprétations radicales de l’islam, couvrir le corps de la femme par le hijab (Les Coalisés, 59) vient à l’origine de la considération que le corps féminin est « souillure » (La Lumière, 30 et 31) et peut induire à la « fitna » (révolte contre Dieu.). Ceci a été dit, entre autres choses, dans le contexte bien plus large de cette conférence. Cependant, ces réflexions ont complètement été isolées de leur contexte.

Il est, à notre avis, dangereux que le « politiquement correct » au Québec aille dans le sens d’intimider toute voix qui apporte une analyse différente sur le port du voile et démontre son caractère oppressif ou considère encore que le Québec n’échappe pas à l’influence du phénomène du radicalisme islamique. Semble-t-il donc que c’est en train de devenir tabou au Québec de penser l’islam et les femmes musulmanes autrement, de prôner un modèle d’intégration citoyenne au lieu d’un modèle de communautarisme religieux. Les pressions de l’activiste Samira Laouni pour étouffer nos voix ne vont-elles pas à l’encontre de l’esprit d’une telle conférence et à l’encontre d’une société laïque et démocratique où s’exerce la liberté de conscience et d’Opinion ?! C’est pourtant cela la démocratie et c’est cela qui permet un débat éclairé même si certains propos ne sont pas considérés comme « politiquement correct » par certaines islamistes et une minorité de féministes présentes.

Cette conférence avait démontré tout le contraire d’un échec ou d’un « détournement » du thème prévu tel qu’affirmé par les auteurs de la lettre ouverte infamante et intolérante. Un public nombreux, et ses commentaires en majorité favorables lors du débat ainsi qu’auprès des panélistes, témoignaient bien de l’intérêt des Québécoises et des Québécois de toutes origines présents d’avoir participé à une conférence et un débat permettant d’entendre un discours différent, bien argumenté et touchant à un ensemble de problématiques reliées.

Madame Laouni, vous ne réussirez pas à empêcher le débat et la diversité des opinions chez les femmes musulmanes et les féministes québécoises et vous ne détournerez pas les femmes immigrées, musulmanes ou non, des vrais enjeux qui les concernent, à savoir l’intégration socio-économique. Car pour elles, les instruments juridiques qui protègent la liberté de religion au Québec et au Canada existent déjà, alors que ceux permettant une réelle égalité des femmes immigrées et « racisées » sont toujours insuffisants. S’ils l’étaient, les femmes immigrées ne seraient pas encore dans la situation où elles sont !

Micheline Labelle, professeure, département de sociologie UQÀM
Mounia Chadi, doctorante en sociologie UQÀM
Marie-Michèle Poisson, professeure de philosophie Collège Ahuntsic, présidente du Mouvement laïque québécois
Yasmina Chouakri, politologue

Mis en ligne sur Sisyphe, le 15 février 2011

Micheline Labelle, Mounia Chadi, Marie-Michèle Poisson, Yasmina Chouakri

P.S.

 *Note de Sisyphe : Samira Laouni était candidate pour le Nouveau parti démocratique (NPD) dans la circonscription montréalaise de Bourrassa, lors de la campagne électorale de 2008. Le NPD a annoncé, le 31 janvier 2011, que Madame Laouni ne se représenterait pas lors de la prochaine élection fédérale.




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