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Culpabilisation des victimes d’agression sexuelle et de violence conjugale
Le point de vue d’une femme

21 février 2011

par Elsie Hambrook, présidente du Conseil consultatif sur la condition des femmes au Nouveau-Brunswick

S’il existait des conseils "garantis" pour prévenir l’agression sexuelle, ils comprendraient ce qui suit :

  • Éviter de chercher à contrôler le comportement des gens en mettant de la drogue dans leur verre ;
  • Éviter de faire semblant qu’on est un ami généreux pour gagner la confiance des gens et ensuite les agresser ;
  • Ne pas agresser les gens dont la voiture est en panne, lorsqu’on s’arrête sur le bord de la route pour les aider.

    Ces conseils ont été tirés d’une liste réelle établie dans un blogue, mais cette liste demeure une blague lourde de sous-entendus. Nous avons l’habitude des conseils pour prévenir l’agression sexuelle qui, au fond, ont tendance à rendre les victimes responsables de leur sort.

    Lorsqu’un Américain reconnu coupable d’un viol a déclaré récemment qu’il espérait que sa victime avait tiré une leçon de son "expérience", c’est-à-dire qu’elle avait appris à garder ses portes fermées à clé, pour une fois, ce ne sont pas seulement les personnes qui militent contre le viol qui ont réagi. Les fonctionnaires et les médias, qui adressent systématiquement des conseils semblables aux femmes, étaient tout aussi consternés.

    L’auteure Naomi Wolf, mieux connue pour son livre féministe Le mythe de la beauté publié en 1991, a critiqué récemment la pratique qui consiste à ne pas révéler l’identité des femmes qui signalent une agression sexuelle. Elle soutient que cette pratique de longue date traite les femmes comme des enfants, contribue à la stigmatisation de l’agression sexuelle et nuit aux progrès visant à réduire les agressions. D’autres femmes n’ont pas tardé à rappeler au monde entier que les survivantes de l’agression sexuelle reçoivent cette protection en raison des reproches acerbes qu’elles s’attirent en tant que victimes.

    Les femmes qui signalent une agression sexuelle font l’objet d’un examen rigoureux que très peu de victimes d’autres actes criminels ont à supporter. Les gens ne croient pas que l’incident s’est produit. Ceux qui croient qu’il s’est produit soutiennent que l’acte était consensuel ou qu’il ne s’agit pas d’un "vrai" viol. Si le rapport sexuel était clairement non consensuel, certains se demandent ce que la victime a fait pour "se faire" agresser. Les gens s’interrogent sur ce qui a "motivé" la victime à signaler l’incident, laissant entendre qu’elle est portée à la vengeance. Avant que la justice suive son cours, l’agression est traitée à la légère, la réputation de la victime est salie… et les autres femmes se rappelleront le message si jamais elles sont victimes d’agression.Bien sûr, la situation empire de manière exponentielle si l’accusé est une célébrité quelconque.

    Les femmes qui accusent leur partenaire de violence conjugale font l’objet du même examen rigoureux. Leurs "motifs" peuvent être mis en doute. On peut laisser entendre qu’elles sont violentes ou qu’elles ont fait quelque chose pour provoquer la violence. Quand on rend la victime responsable, on confirme ce que dit l’agresseur : ce qui lui arrive est sa faute.

    Si le comportement de la victime ne correspond pas à notre idée préconçue de ce qui constitue une réaction crédible à la violence ou à l’agression sexuelle, nous avons des soupçons. Pourquoi n’a-t-elle pas crié ? Pourquoi n’a-t-elle pas cherché à se défendre ? Pourquoi a-t-elle attendu avant d’appeler la police ? Pourquoi n’agit-elle pas comme une personne traumatisée ? Pourquoi
    continue-t-elle de travailler, d’avoir des activités sociales ou de vivre avec l’agresseur ?

    Ces questions ne tiennent pas compte du fait que la plupart des agressions sexuelles ne sont pas des attaques-surprises faites par des étrangers, mais plutôt des actes commis par des personnes que la victime connaît et qu’elle ne peut peut-être pas éviter par la suite. Elles ne tiennent pas compte non plus du fait que chaque personne réagit différemment et que les victimes d’une agression souffrent d’un traumatisme et ne sont pas nécessairement rationnelles.

    Nous aimons penser qu’il arrive seulement de mauvaises choses aux mauvaises personnes et que si nous suivons "les règles", nous serons sans danger. Cela tient davantage de la superstition que de la prévention. Plus tôt ce mois-ci, dans un contexte très différent, le président des États-Unis, Barack Obama, lors d’un discours prononcé à l’occasion du service tenu pour les victimes de la fusillade dans l’Arizona, a déclaré ce qui suit : "Il arrive de mauvaises choses, et nous devons nous garder par la suite de fournir des explications simplistes."

    En fin de compte, la culpabilisation des victimes touche toutes les femmes, car elle leur attribue la responsabilité de s’assurer qu’elles ne seront pas agressées.

    Voici des exemples de cas récents où les victimes ont été tenues responsables.

    En Nouvelle-Zélande, un homme a assassiné sa conjointe (après qu’elle lui eut annoncé qu’elle le quittait), et l’enquêteur principal a déclaré que le cas faisait ressortir le besoin pour les femmes d’obtenir de l’aide. "Il y a une femme qui a perdu la vie et des enfants qui ont perdu leur mère et
    dont le père sera incarcéré à long terme." Il aurait pu dire que le cas faisait ressortir le besoin pour les maris de ne pas recourir à la violence.

    En Égypte, une campagne destinée à lutter contre le nombre croissant de viols conseille vivement aux femmes de porter le voile. La campagne utilise une affiche montrant une sucette non emballée à laquelle des mouches se sont collées, de même qu’une sucette emballée qui est "protégée".

    "Non, arrête. Je t’en prie, arrête. Non, je t’en prie… Je t’en prie, arrête de monter à bord des taxis non inscrits". C’est le message qu’indiquent les affiches effrayantes d’une campagne menée par un maire du Royaume-Uni en réaction "aux jeunes femmes qui continuent d’utiliser les taxis irréguliers malgré les dangers qu’ils posent".

    En Haïti, une équipe internationale chargée d’examiner le taux élevé de viols dans les camps de personnes déplacées depuis le tremblement de terre de l’an dernier a conclu que l’opinion de certains représentants du gouvernement haïtien, pour qui les victimes sont à blâmer pour une raison ou pour une autre, nuit à la capacité de prendre des mesures.

    En Australie, un joueur de football a appris que deux de ses collègues avaient agressé sexuellement des femmes. Il a écrit sur Twitter ce qui suit : "Les filles ! Quand allez-vous apprendre que lorsque vous êtes saoûles au petit matin, vous demandez pour ainsi dire d’être violées et vous perdez le droit de dire “non” ?".

    Au Nouveau-Brunswick, près de la moitié des répondants à un sondage mené en 2009 ont indiqué que ce n’est pas un crime de donner une gifle à sa conjointe après une dispute. Selon le même sondage, un homme sur trois et une femme sur cinq sont d’accord pour dire que "la violence faite aux femmes arrive souvent parce que les femmes la cherchent en faisant des remarques à leur partenaire ou en le critiquant".

     Elsie Hambrook est présidente du Conseil consultatif sur la condition de la femme au Nouveau-Brunswick. Sa chronique sur les questions féminines est publiée dans le Times & Transcript tous les jeudis. On peut joindre Mme Hambrook par courrier électronique à cette adresse. Reproduction de ce texte sur Sisyphe autorisée par Le Conseil consultatif de la condition de la femme au Nouveau-Brunswick.

     Lire aussi : "Rape Myths Persist : Reactions to the Assault on Lara Logan"

    Mis en ligne, le 18 février 2011

    Elsie Hambrook, présidente du Conseil consultatif sur la condition des femmes au Nouveau-Brunswick


    Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=3785 -