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Journée internationale des femmes 2011 - Briser le silence sur toutes les formes de sexisme

12 mars 2011

par Élaine Audet

Nasrine Sotoudeh, avocate féministe iranienne condamnée à 11 ans de prison en 2010. Photo : Iran Focus, 2010

À l’approche de la Journée internationale des femmes, le 8 mars, nous ne pouvons nous empêcher de faire le bilan de nos victoires et de nos défaites. Peu de changements dans l’écart salarial entre les hommes et les femmes, faible représentation de ces dernières en politique ou à la tête des conseils d’administration des entreprises, remises en question du droit à l’avortement. Une année marquée par le soulèvement des peuples arabes et la résistance tenace du peuple iranien pour la défense de ses droits fondamentaux, notamment de ceux des femmes, de la prise de parole de celles-ci à l’intérieur des conflits pour souligner la persistance de l’inégalité et de la violence sexiste, d’un bout à l’autre de la planète.



Une année qui a vu la dénonciation grandissante de la marchandisation du corps des femmes par la prostitution, la traite internationale, la maternité de substitution et, surtout, la pornographisation effrénée de la société. Une hypersexualisation profonde de la culture qui remet à l’ordre du jour la rivalité entre femmes pour capter l’attention masculine et les rendre captives, plus que jamais, de stéréotypes patriarcaux réducteurs. Une réalité qui se perpétue, il ne faut pas se le cacher, grâce au silence et à la complicité de nombreuses femmes et qui donne l’impression de se répéter et de mener les mêmes luttes sans pouvoir crier victoire.

Silence sur les rapports sexuels de domination

Olympe de Gouges. Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, guillotinée en 1793. Photo : penelop

On doit toutefois se réjouir de la traduction et de la publication en français du Contrat sexuel de la philosophe américaine Carole Pateman, initialement paru en 1988 (1). La Révolution française a prétendu avoir enterré au XVIIIe siècle la monarchie et la loi du père, mais elle a conservé un contrat sexuel implicite dont continuent à se prévaloir les hommes en invoquant le consentement des femmes dans leur domestication, la prostitution de leur corps et la marchandisation de leur ventre, de leurs fonctions reproductives, au nom d’un marché dont chacun tirerait sa part de profit. Aussi longtemps, que les femmes ne déchirent pas le voile qui masque des rapports sexuels et sociaux de domination, hypocrites, inégaux et violents, elles participent encore, en 2011, à leur propre assujettissement.

Il faut aussi se réjouir de la forte levée de bouclier contre la loi ontarienne qui tente de décriminaliser totalement la prostitution (2), de légitimer les vendeurs et les acheteurs de ce viol tarifé des femmes. De nombreuses voix ont brisé le silence en dénonçant la banalisation de la mise en marché locale et internationale des femmes et des enfants au nom du droit inné d’accès des hommes à l’ensemble des femmes. Parmi ces prises de parole courageuses et vibrantes, soulignons celles des femmes prostituées qu’a filmées la réalisatrice québécoise Ève Lamont dans son film L’imposture (3) et toutes celles qui se feront entendre lors du Tribunal populaire sur l’exploitation sexuelle commerciale (4) qui aura lieu à Montréal du 18 au 20 mars 2011.

Silence sur le viol

Dans le même ordre d’idées, qui vise à souligner en ce 8 mars toutes les tentatives de briser la loi du silence sur l’oppression brutale encore subie par nombre de femmes, il faut ajouter le choix de la journaliste américaine de CBS Lara Logan de rendre public le viol collectif dont elle a été victime de la part de manifestants égyptiens célébrant le départ de Moubarak sur la Place Tahrir. Le choix de Lara Logan de rompre la loi du silence proclame à la face du monde qu’elle n’a pas à avoir honte, mais que ce sont les violeurs qui sont des criminels et devraient être jugés. Des journalistes, dont Marie-Claude Lortie au Québec (5), ont souligné le caractère sexiste de cette agression et dénoncé les commentaires iniques qui affirmaient qu’elle l’avait cherché, que sa place n’était pas là, qu’elle était trop séduisante, trop ambitieuse, etc.

D’autres femmes journalistes, tout en saluant le courage de Logan, craignent un ressac quant à l’envoi de femmes comme correspondantes étrangères et que, sans leur présence, une chape de silence ne s’abatte sur la couverture de la situation des femmes dans le monde. Elles reconnaissent aussi que plusieurs d’entre elles ont gardé le silence sur les agressions sexuelles dont elles ont été victimes dans l’exercice de leur métier, de peur d’être rejetées par leurs patrons et confrères masculins (6).

Pendant ce temps, dans la République démocratique du Congo, les viols massifs continuent au vu et au su des casques bleus de l’ONU et des gouvernements dits démocratiques. À Winnipeg au Canada, des femmes sont descendues dans la rue pour réclamer la démission d’un juge qui évoquait le consentement implicite d’une femme violée et qui avait déjà dans le passé innocenté le violeur d’une fillette de 14 ans (7). Tant qu’individuellement et collectivement, les femmes n’auront pas le courage et suffisamment d’estime de soi pour refuser d’entériner les différentes formes de violence sexiste, sous prétexte qu’elles sont parties inhérentes de la masculinité, nos acquis continueront à être piétinés impunément.

Silence sur les droits égaux pour les femmes du monde

En Égypte, les femmes ont participé à la lutte pour renverser la dictature, mais le Comité constitutionnel récemment formé a exclu les femmes juristes de ses travaux. Il y a donc tout à craindre, écrivent les féministes égyptiennes, pour "la démocratie et les objectifs principaux de la révolution qui se sont initialement énoncés en terme d’égalité, de liberté, de démocratie et de participation de tous les citoyens et citoyennes (8)." Avant de crier victoire, il faudrait s’assurer que les femmes occupent la place qui leur revient dans les futures institutions démocratiques et n’avoir pas peur de dénoncer publiquement leur absence, s’il y a lieu.

Shirin Ebadi, féministe iranienne et prix Nobel de la paix, rappelle qu’il y a trente-deux ans, quelques jours à peine après la chute du Chah, le régime islamique rendait le port du voile obligatoire et proclamait que la valeur d’une femme était la moitié de celle d’un homme, même si les femmes avaient participé à part entière à la lutte pour le renversement de la dictature Pahlavi. Ces mêmes hommes de Dieu, élevés dans la culture patriarcale, édictèrent des lois légitimant la polygamie et le droit pour les Iraniens d’avoir quatre épouses et encouragèrent l’appropriation de dizaines d’épouses temporaires (sigheh), une forme de prostitution à peine voilée.

À l’occasion du 8 mars 2011 (9), l’avocate féministe rappelle aux Iraniennes que, depuis des années, non seulement les mollahs au pouvoir, mais aussi des intellectuels de gauche ont cherché à leur imposer le silence sur leurs revendications, prétextant l’unité de toutes les forces contre l’Irak ou la nécessité de ne pas semer la division au sein de la révolution. Plusieurs de ces indomptables militantes des droits des femmes ont été battues, fouettées, violées, condamnées à de lourdes peines de prison ou exécutées.

Manifestation en Iran 2009.

Au cœur de la lutte contre la dictature théocratique et, plus tard, dans la rédaction d’une nouvelle Constitution, conclut Ebadi, les femmes ne doivent sous aucun prétexte remettre à plus tard ou subordonner à quoi que ce soit leurs aspirations à l’égalité, à la dignité, à la liberté. On pourrait recommander la même chose à ces indépendantistes qui défendent le patrimoine catholique dans les institutions publiques québécoises (crucifix, prières à la mairie), en passant sous silence le rôle odieux joué par l’Église dans la subordination des femmes pendant des siècles. Quel patrimoine ? Celui du patriarcat ?

En ce 8 mars 2011, osons briser l’omerta sur la persistance des rapports sexuels de domination. Renouons avec l’indignation, si chère à la regrettée Hélène Pedneault, et osons dénoncer, dans notre vie privée et sociale, toutes les formes de violence sexiste en refusant le silence et la complaisance.

Notes

1. Carole Pateman, Le contrat sexuel, Éd. La Découverte/Institut Émilie du Châtelet, Paris, 2011, 332 p. Carole Pateman est professeure dans le département de science politique de l’Université de Californie à Los Angeles. Elle a été la première femme à présider l’Association internationale de sciences politiques. Ses travaux en philosophie politique portent aussi bien sur la participation démocratique que sur le revenu minimal. Pour penser l’articulation entre « contrat sexuel » et « contrat racial », elle a coécrit avec Charles W. Mills, Contract & Domination (2007). Lire le compte rendu.
2. Rubrique sur le jugement Himel
3. Micheline Carrier, "Le film L’imposture - La parole de femmes qui veulent se libérer de la prostitution", Sisyphe, 8 décembre 2010.
4. Tribunal populaire sur l’exploitation sexuelle commerciale
5. Marie-Claude Lortie, "Le viol de Lara Logan", Cyberpresse. 15 février 2011.
6. Lauren Wolfe, "Documenting Sexual Violence Against Journalists", Committee to Protect Journalists (CPJ), February 16, 2011.
7. "Justice : Juge Robert Dewar ne siègera plus dans des affaires de nature sexuelle", Nouvelles Sympatico, 2 mars 2011 :
8. Centre égyptien pour les droits des femmes, "Égypte - Une soixantaine d’organisations dénoncent l’exclusion des femmes juristes du Comité constitutionnel", Sisyphe, 24 février 2011.
9. Shirin Ebadi, Déclaration pour le 8 mars 2011. Le Mouvement vert a appelé à manifester le 8 mars afin de souligner le courage des femmes pour la défense de leurs droits et le renversement de la dictature.

Mis en ligne sur Sisyphe le 2 mars 2011

Élaine Audet

P.S.

 Brian Stelter, "CBS Reporter Recounts a ‘Merciless’ Assault", New York Times, April 28, 2011.
 Scott Pelley, "Lara Logan breaks silence on Cairo assault", 60 minutes, April 28, 2011.
 Flore Vasseur, "Lara Logan, reporter violée place Tahir", Marianne, 11 mai 2011.




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