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Précieuse Amira

28 mars 2011

par Pierre Foglia

Adil vend des ordinateurs dans une boutique de Ghadir, un quartier populaire, très animé. Il m’a invité à souper... à ma demande ! Je lui ai expliqué que je souhaitais être reçu dans une famille moyenne de Bagdadis. Il a trois jeunes enfants, sa femme enseigne l’électricité, il habite avec sa mère et ses deux frères une petite maison qu’ils ont payée 120 000$ il y a deux ans, juste ça : de quoi a l’air une maison de 120 000$ à Bagdad ?

Il a posé trois conditions : il ne fallait qu’on me voie entrer chez lui. Pas de photos. Pas de vrais noms dans mon article.

Dans l’auto, en nous rendant chez lui, Adil m’annonce une grande nouvelle : exceptionnellement, Amira, sa femme, dînerait avec nous et je pourrai ainsi lui poser des questions sur sa job de prof. Il a ajouté ceci, qui m’a laissé au bord de l’évanouissement : c’est bien parce que tu es vieux, si tu avais 10 ans de moins, ma femme ne se serait pas montrée. Comme tu le sais, dans nos maisons, les femmes disparaissent lorsqu’entre un étranger.

Je le savais, bien sûr. C’est le « si t’avais 10 ans de moins » que je ne saisissais pas très bien. Tu sais, Adil, si j’avais 10 ans de moins, j’en aurais tout de même 60, et à 60 ans, ça faisait déjà un bon moment que je ne sautais plus sur les musulmanes en abaya noire, voilées...

On arrivait chez lui. Il m’intima de ne pas sortir de l’auto avant qu’elle soit entrée dans la cour et qu’il en ait refermé la grille. Et surtout chut, pas un mot. Même pas hello à ses frères qui allaient probablement nous accueillir dans la cour. Pas un mot avant d’être dans la maison. Il montrait une réelle nervosité.

Plus tard il m’expliquera que le danger était que les voisins bavassent. Adil recevait des étrangers, pauvre Adil qui ne sait pas que les étrangers sont des agitateurs, que leur but est seulement de détourner les bons musulmans de leur religion... Les extrémistes auxquels je pense, me précisa Adil, tiennent le concombre pour un symbole phallique qu’il ne faut pas mettre sur le même étal que les tomates au marché, imagine ce qu’ils peuvent penser d’un journaliste canadien...

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Pierre Foglia


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